Daniel Oren, maestro d’Israël, d’Italie et d’ailleurs !

C’est une voix, une tonalité, une personnalité rare… Daniel Oren, chef d’orchestre israélien né à Tel-Aviv, parle comme il joue, avec brio, ma non tropo maestroso…

Daniel Oren, maestro d’Israël, d’Italie et d’ailleurs ! (photo credit: DR)
Daniel Oren, maestro d’Israël, d’Italie et d’ailleurs !
(photo credit: DR)
«Dans toute l’histoire de la musique, Tosca est sans doute l’opéra italien à l’intensité dramatique la plus forte » : la voix de Daniel Oren est remplie de passion quand il déclare tout de go cette phrase dès le début de notre entretien téléphonique… C’est le petit matin pour lui et il est encore pris par la partition de Tosca qu’il a dirigée la veille au soir à l’Opéra Bastille de Paris. Décidément cet endroit est placé sous le signe des chefs israéliens. Après le jeune Dan Ettinger et sa sonore et magnifique Traviata, voici Daniel Orien, un habitué du lieu où il a déjà dirigé la création de La Juive, Rigoletto, La Bohème, Andrea Chénier, Cavalliera Rusticana. On sent Oren généreux à l’égard de ce plus jeune disciple au talent si prometteur : « Dan Ettinger est un élève de Daniel Barenboim et il est magnifique », ajoute-t-il avec ce drôle d’accent à mi-chemin entre Israël et l’Italie, sa seconde patrie. Et de ponctuer, un peu comme il pensait tout haut, dans une rêverie parlante : « C’est incroyable qu’un si petit pays puisse donner autant de musiciens. Dans tous les orchestres du monde y compris celui de Berlin, vous avez au pupitre des cordes, ou ailleurs, un Israélien, et je ne parle pas seulement des Israéliens, mais du peuple juif, avec ses multiples violonistes et pianistes : Zukermann et Perlman, Milstein, et Rubinstein…
La voix se fait joyeuse et égrène presque des notes de rires que l’on sent à l’autre bout du fil. Ses phrases sont souvent ponctuées de « ma », au lieu de mais, vestige des soleils italiens qu’il garde dans son cœur comme une mater dolorosa qui a façonné les années d’apprentissage du jeune homme.
Une jeunesse comme aucune autre
Il a 23 ans et vient d’obtenir le prestigieux prix Herbert Von Karajan (et un pied de nez pour le nazi qui avait pris sa carte du parti, nous ne le répéterons jamais assez) à Berlin. Le voici à Rome, après avoir fini en Israël son service militaire dans les corps d’élite, une expérience difficile. D’emblée, il va diriger Manon Lescaut, sa peur de l’époque est encore palpable : « J’étais comme Daniel qui va être jeté dans la fosse aux lions ». Ce n’est pas par hasard s’il cite la bible. Daniel Oren est traditionaliste et arbore parfois des jolis couvre-chefs brodés : « Enfant, j’étais dans un chœur religieux ».
De son père arabe israélien, musulman, il ne dit rien, ni de sa mère juive émigrée de l’ancienne Europe. A-t-on deviné de quel côté le cœur de Daniel a penché ? Etrange mélange. A cette époque, une lointaine conciliation était possible…
Très vite, il va diriger ce monument qui sera l’œuvre de sa vie : Tosca de Puccini. Là aussi il va trembler car il a encore à l’oreille l’interprétation légendaire de la Callas, Di Stefano et Gobbi dirigés par le grand chef italien Victor de Sabata.
Ce qui a marqué le maestro dans ses multiples expériences au sein de plusieurs théâtres italiens où il a été le directeur, c’est la Tosca de Naples avec le ténor mythique Luciano Pavarotti. La voix se tait à l’évocation de celui qu’il appelle mon ami : « Après lui, cela a été très difficile pour moi de diriger un autre chanteur dans ce rôle-là, car il était Mario Caravadossi, c’était une voix unique comme celle de Caruso, un monstre qui n’avait quasiment pas étudié, un instinctif “Aya li mazal” », dira-t-il comme si utiliser l’hébreu à ce moment comme langue sacrée confère une autre dimension à ses paroles : « Pavarotti, c’était la voix, l’interprétation et surtout la compréhension. La plupart du temps, les chanteurs se fichent du texte, résultat : une bouillie de mots. Luciano, non. »
Israël, sa maison
A l’autre bout de la ligne, quelque part dans le monde, les soupirs de Daniel nous traduisent sa nostalgie trop forte. Il revient rapidement au présent avec la version de l’opéra de Paris et son casting exceptionnel. « La surprise, c’est le Français Ludovic Tézier, magnifique d’élégance et de légèreté dans le rôle de Scarpia qui paraît parfois empreint de vulgarité. Et l’orchestre est si discipliné, c’est incroyable, les musiciens exécutent dans la seconde même ce que vous leur demandez, ils ont tant d’humanité, ce sont de grandes âmes. »
Vous voulez dire qu’ils ne sont pas comme les musiciens de l’opéra de Tel-Aviv ? lui demande-t-on. Le ton de Daniel Oren se fait joyeux, enjôleur et plein de fougue : « L’orchestre de Tel-Aviv, c’est notre peuple, ce sont nos frères. J’ai cette étrange sensation de rentrer à la maison et d’être chez moi. »
Daniel Oren dirige cet orchestre depuis vingt ans, en 2015 il succédera à David Stern en en devenant le directeur attitré. Récemment, il les a menés au cœur des vieilles pierres à Massada où il a dirigé Tosca. Pour fêter cet anniversaire, il prépare un Nabucco, ainsi la boucle sera bouclée puisque c’est avec ce même opéra qu’il a commencé en 1994 à Tel-Aviv, un de ses musts également.
Connu pour diriger essentiellement les opéras du répertoire italien dans lesquels il excelle, Daniel Oren se défend de cette étiquette qu’on lui a posée au fil des ans : « J’adore aussi l’opéra français, Bizet, Massenet, et Mozart qui est pour moi un dieu. » Quant à Wagner et à son interdiction d’être joué en Israël, Oren acquiesce, « C’est encore trop tôt, car notre but, en tant que chef d’orchestre, n’est pas de blesser ou de faire du mal, mais au contraire d’apporter du bonheur, et pour certaines personnes c’est encore très douloureux d’entendre cette musique. C’est pour cela que je ne dirige pas Richard Wagner, même si je trouve par ailleurs sa musique admirable.
Daniel Oren aime Israël et son pays le lui rend bien. Il n’y a pas une occasion où il n’intervient pas avec sa baguette magique. On se souvient du concert avec le philharmonique d’Israël pour l’anniversaire de la ville de Jérusalem.
L’Italie, sa seconde patrie
Depuis 2007, Il est directeur artistique du Teatro Giuseppe Verdi de Salerne, où il a dirigé tous les grands opéras. Mais il a été aussi celui de Rome, Trieste, Naples, Gênes, Florence, Turin. Pas un coin de la botte italienne qui n’ait de secret pour Oren, considéré par les Italiens comme un des leurs. Une musicalité toute italienne le caractérise. S’il avait été réalisateur de cinéma, Oren aurait opté pour les péplums tant les mises en scène de ses opéras sont vastes, abondantes, et aux décors infinis…
Pour sa magnifique Tosca, les accents des mélodies frappent le cœur comme des millions de larmes. Une sensation augmentée par l’intensité dramatique forte et vibrante impulsée par Oren. Dans la fosse des musiciens, avec sa gestuelle impressionnante, le chef d’orchestre se donne entièrement. En résulte une sonorité dynamique, lumineuse, où les cuivres tintent comme des cloches dorées et où les voix miraculeuses émergent transcendées par ce maître-d’œuvre qui façonne la partition et la conduit à son summum.
Profondément marqué par sa rencontre avec Léonard Bernstein, Daniel Oren a gardé dans sa conscience les conseils de cet homme qu’il considère encore aujourd’hui comme le plus grand des chefs d’orchestre. Lui aussi affichait un amour sans limite pour le philharmonique d’Israël… Alors, en attendant Nabucco à Tel-Aviv, Il faut se précipiter à la Bastille.
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