Guide de survie pour exilés

La vie en exil devrait être réduite à l’essentiel.

Haggada (photo credit: © DR)
Haggada
(photo credit: © DR)
La Haggada est un produit du judaïsme de Diaspora, rédigé au cours de la période Gaonique (8e - 9e siècle de notre ère) à Babylone. Ses auteurs ont effectué une extraordinaire compilation, basée sur des sources talmudiques et autres textes sacrés, et respectée jusqu’à nos jours par les Juifs du monde entier. Sa particularité : elle inspire sans cesse de nouvelles interprétations.
La Haggada porte en elle un message caché. Au premier abord, elle raconte l’histoire de la sortie d’Egypte et les origines du peuple juif. Mais le récit n’est pas chronologique, et s’autorise quelques sauts, d’un épisode à l’autre.
Ce qui pourrait donner envie de dire que l’ouvrage de référence du Seder de Pessah, jonché de métaphores et d’événements historiques, a été écrit dans le désordre. Il est étrange que la figure principale de l’Exode, Moïse, soit absente du texte, tout comme celle d’Aaron.
Car au lieu de s’attarder sur ces deux personnages principaux, la Haggada se concentre sur les rabbins des deuxième et troisième siècles, propose des paraboles sur des enfants de toutes sortes, et évoque Lavan l’Araméen. Un premier indice sur les raisons qui ont motivé son écriture.
A l’époque de sa rédaction, Babylone constituait le centre historique de la civilisation araméenne, où vivaient précisément les auteurs de la Haggada. Exilés d’Eretz Israël durant le 6e siècle avant notre ère, les Juifs avaient construit une dynamique et cohérente communauté axée autour de la Torah qui a perduré sur près d’un millénaire.
Vers la fin de la période gaonique, cependant, en proie à l’assimilation et menacés de destruction, les rabbins babyloniens ont couché par écrit une sorte de manuel de survie juive. La Haggada est un guide compact pour les Juifs, dans l’impossibilité de profiter d’ouvrages originaux, souvent isolés, et désireux d’enseigner à leurs enfants des rudiments de judaïsme.
Via des histoires et de simples comptines, elle véhicule un profond message. Transmet les outils nécessaires à la survie de la foi juive et permet d’inculquer à la fois les bases de la conscience historique et une vision prophétique de la rédemption, tout en gardant en ligne de mire un attachement inconditionnel à la Terre d’Israël. Elle rappelle aussi que l’histoire juive commence avec le culte des idoles et l’esclavage. La sortie d’Egypte est non seulement synonyme de liberté, mais commémore également notre naissance, en tant que nation et en tant que peuple.
Le texte permet de comprendre comment fonctionne l’histoire juive : la nation est déterminée par la géographie, l’occupation de l’espace, la notion de peuple. Une création spirituelle et culturelle, et son existence dans le temps. Elle est bâtie sur l’édification d’une civilisation, avec des institutions politiques, judiciaires, économiques et civiques. Mais la naissance d’un peuple est transcendante.
Elle se fonde sur l’histoire, la mémoire et une destinée commune. La Haggada consiste en une compilation d’instructions sur la façon de survivre, comme des étrangers, sur des terres qui ne sont pas les nôtres. L’accent est mis sur la Terre d’Israël et la compréhension du judaïsme et de l’histoire juive.
Ses points de référence : les rabbins qui ont guidé le peuple juif, de la destruction du Second Temple jusqu’à Yavné, et à travers l’exil qui a suivi la révolte de Bar Kochba. Comme Rabban Gamliel, rabbi Akiva, le rabbin Tarfon, le rabbin Eliezer, le rabbin Yeoshoua et le rabbin Eleazar. Cités dans le Talmud et dans Pirké Avot, leur importance indique l’accent porté sur l’exil.
La force des symboles
Les histoires pour enfants et autres chansons traditionnelles sont des paraboles qui illuminent les chemins obscurs de la souffrance, comme des rayons d’espoir. En tant qu’individus et en tant que peuple, nous sommes tous les quatre enfants : le simple, le coléreux, le rebelle et le fidèle. Ce qui nous unit ? Une croyance commune en un seul Dieu, telle qu’exprimée dans le Shema. Et cela est devenu, en exil, une manière simple de l’attachement.
Rabbi Akiva, alors qu’il était martyrisé, aurait prononcé les phrases du Shema et appelé ses disciples : “Il est temps de réciter le Shema !” Cette affirmation de la foi est le commencement et la fin du judaïsme, dans la vie et la mort. Le Shema, toutefois, n’évoque pas seulement le monothéisme, mais également la communauté dans son ensemble. “Ecoute, Ô Israël”, notre connexion en tant que peuple, en exil, malgré l’oppression et la souffrance.
Pour les Juifs en exil, souvent avec peu de ressources juives, cette unique phrase contenait en elle une identité et un but. Les auteurs de la Haggada ont compris que les choses devaient être réduites à leur essentiel. Manger de la matsa ne requiert aucune croyance. Mais la raison pour laquelle nous mangeons du pain azyme invite au dialogue, et mène à l’engagement.
Les symboles ont remplacé les actions elles-mêmes, les prières se sont substituées au culte du Temple. La matsa également est riche en paradoxes. Elle représente la liberté, mais reste le “pain de l’esclavage”.
En exil, nous nous devons de nous diriger vers la rédemption. Mais comment ? Mangez de la matsa, nous indique la Haggada, avec du maror, doux amer, et avec le korban de Pessah, sacrifice rituel offert dans le Temple de Jérusalem. L’endroit semble loin, et aurait pu être quasiment oublié, mais nous relie à Dieu, à notre peuple, et à la Terre d’Israël.
Au milieu de la destruction et du chaos, la Haggada interroge : “D’où viens-tu, et où vas-tu ?” En tant que Juifs, nous nous souvenons non seulement que nous avons été choisis comme messagers de la Torah et exemples vivants du monothéisme éthique, mais également de notre patrimoine et de notre patrie.
Parler à notre âme d’enfant
En outre, la Pâque n’est pas un jour férié isolé, mais le début d’une période de 50 jours qui culminent à Shavouot, célébration du don de la Torah et moment où les premiers fruits d’Israël étaient apportés au Temple, au milieu de la masse d’offrandes qui résonnaient tout au long de l’année.
S’adressant à notre âme d’enfant, la Haggada nous enseigne l’histoire de la persécution juive à travers des chansons sur des animaux et symboles naturels. Une chèvre achetée pour deux pièces de monnaie (zouzim), un chat (l’Egypte), un chien (Assyrie), un bâton et du feu (Babylone), de l’eau (Perse et Médie), un boeuf (Grèce), un boucher (Rome), l’ange de la mort (les croisés, les musulmans, les assassins nazis et soviétiques) et la phase finale de rédemption.
Suit le chant rituel sur la signification des chiffres, et l’enseignement à en tirer. Les éléments de base du judaïsme sont passés en revue : l’unicité du Tout-puissant ; les Tables de la loi ; les patriarches, les matriarches, les cinq livres de la Torah, la Mishna, le Shabbat, la brit-mila, la naissance, les Dix Commandements, les constellations, les douze tribus d’Israël et les treize attributs de Dieu.Avec Dayenou (Cela nous aurait suffi), la Haggada nous invite à apprécier les miracles de Dieu.
Au travers de ces récits et chansons, défile notre histoire, en tant que peuple et nation. Dans l’esclavage et la liberté, dans la souffrance et dans l’espoir. La Haggada nous rappelle que “nous étions esclaves, il fut un temps”, en exil, mais que nous ne le sommes pas restés. Axée dans la prière, la conscience et le rituel, notre table du Seder devient un mécanisme pour nous transporter dans l’histoire, et nous propulser dans l’avenir. Et au moment de la quatrième coupe de vin, nous sommes à deux doigts d’y parvenir : oui, nous avons été des esclaves, mais rendez-vous l’année prochaine. A Jérusalem.