Israël : un décor à ciel ouvert

pays comparé à la France ou aux Etats-Unis, Israël recèle néanmoins d’un potentiel géographique qui a largement été exploité au cinéma. Et cela, dès les débuts du 7e art

nath (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Sa taille (environ 20 000 km2 comparé aux 640 000 km2 de la France ou aux 9 629 091 km2 des Etats-Unis) n’en dit pas long sur ses capacités. Israël recèle en effet d’un potentiel géographique qui a largement été exploité au cinéma. Que ce soit aussi bien par les premiers pionniers que par les producteurs hollywoodiens.
1895, date de naissance du cinéma avec la “Sortie des usines Lumière”. A peine deux ans plus tard, Louis Lumière se rend en Palestine mandataire, terre exotique s’il en faut, pour tourner un film documentaire d’une minute : “Départ de Jérusalem en chemin de fer”. Une caméra fixée à l’arrière du train filme en noir et blanc les passants, premiers Européens, arabes et juifs, qui marchent le long des voix ferrées et saluent de leurs chapeaux dans un décor constitué de ruines et du paysage rocailleux autour de la gare de Jérusalem.
L’intérêt porté à la géographie du pays en tant que terre lointaine, terre biblique, terre des premiers pionniers ou terre de combat, compte parmi les raisons qui favorisent l’éclosion de productions cinématographiques sur le petit territoire. Car cette géographie s’y prête bien : partagé entre le littoral, les paysages de Galilée, la vallée du Jourdain et le désert du Néguev, le pays offre une topographie variée de grands espaces et agglomérations urbaines, qui à elle seule permet de faire voyager au travers de régions naturelles et des strates de l’histoire.
Pour bon nombre de cinéphiles israéliens, les paysages de leur pays ont été immortalisés en 1973 avec le film Jésus Christ Superstar, produit par le Canadien Norman Jewison. Une comédie musicale à succès qui a mis en valeur la région de Judée en traitant de la fin de vie de Jésus.
Alors quels sont ces lieux ? En premier plan, le désert de Judée et ses beautés comme les canyons sculptés dans le calcaire par les courants d’eau d’antan. Puis Beit Gouvrin, site archéologique au sud de Beit Shemesh célèbre pour ses grottes et son site de Maresha. Mais aussi Beit Shean, l’une des villes les plus anciennes d’Orient. Ou encore les paysages arides autour de ce lac couleur de plomb : la mer Morte.
La caméra au service de la Terre et de la nation
Historiquement, c’est sans doute sous l’influence du sionisme que les premiers films sur la terre d’Israël apparaissent.
Comme avec Eretz Yisrael de Yaakov Ben- Dov. Ce “père du cinéma juif”, auteur des premières prises de vue lors des fouilles de la synagogue de Hamat Gader, reprendra ensuite ces images pour produire en 1920 son film Le retour à Sion (Shivat Zion). A la fin de sa carrière, les archives de ses films seront rachetées par Baruch Agadati, danseur et chorégraphe venu d’Odessa, qui produira en 1935 Ceci est la Terre (Zot Hi Haaretz).
Le prologue de ce film illustre bien l’imaginaire du sionisme : “En ce tempslà, la Terre sainte était une étendue sauvage...”, et les premières images dépeignent les richesses que pouvait offrir la terre aux pionniers Bilou, ce mouvement de jeunesse juif nationaliste de Russie, de retour dans la patrie originelle. Terre antique jadis fertile, la mer et le port de Jaffa, ruine de l’ancienne synagogue de Capharnaüm, désert et chameaux : autant de séquences qui offrent un panorama complet de la Palestine et des mythes sionistes de l’époque.
Dans un autre registre (mais pas si différent), Oded l’errant (Oded Hanoded, 1933) de Chaim Halachmi filmé entre la vallée du Jézreel et Ramat Gan raconte l’histoire d’un enfant perdu qui parcourt Eretz- Israël et que des Bédouins ramènent dans son village.
Enfin, toujours sur le thème de l’errance, Edward Dmytryk produira plus tard en 1953 Le Jongleur, avec Kirk Douglas qui raconte l’histoire de Hans Muller, rescapé des camps nazis qui échoue en Israël où il sera obligé de fuir à pied à travers le pays après avoir attaqué un policier.
Mais l’année marquante du cinéma israélien reste 1955, avec la sortie du premier long métrage produit entièrement en Israël : Colline 24 ne répond pas de Thorold Dickinson, film de combat sur l’héroïsme lors de la guerre de 1948 entre Jérusalem et les contrés désertiques aux frontières du jeune Etat israélien. Un film dont le titre fait étrangement écho à un autre grand classique du cinéma israélien sorti en 1976 : L’unité Halfon ne repond plus (Giv’at Halfon Eina Ona), satire de Tsahal dont l’action se déroule dans une base anonyme dans le désert du Sinaï.
Péplums et productions hollywoodiennes
Dès les années 1950, et idem pour la décennie suivante, le cinéma hollywoodien s’installe en Israël. Un phénomène illustré par des films comme Exodus (1960) d’Otto Preminger avec Paul Newman, premier grand film américain (d’une durée de 3h28) produit en Israël ou David et Goliath, péplum italien de Ferdinando Baldi, sorti la même année.
Les années 1980 marqueront une continuité logique avec les précédentes. Israël attire toujours de nombreuses vedettes, notamment celles des blockbusters américains. C’est dans l’Etat hébreu que Rambo 3 avec Silvester Stallone ou The Delta Force avec Chuck Norris seront tournés. Mais aussi des films comme Paradise (1982) de Stuart Gillard, l’histoire de deux adolescents qui voyagent de Bagdad à Damas en caravane ; Sahara (1983) avec Brooke Shields et Lambert Wilson réalisé par d’Andrew V. Mc Laglen(1986) de Moshé Mizrahi, où le héros (Tom Hanks), pilote américain de la RAF, l’aviation britannique, tombe amoureux d’une jeune Juive pendant sa convalescence à Jérusalem.
Toutefois depuis quelques années, l’agitation dans la région a réfréné les producteurs hollywoodiens et les compagnies d’assurance internationales qui préfèrent éviter de prendre des risques en venant tourner sur la Terre sainte. Les dernières grosses productions américaines se référant directement au pays ont été tournées en dehors de l’Etat hébreu : La Passion du christ (2004) de Mel Gibson a été tourné en Italie, Kingdom of Heaven (2005), film sur les croisades de Ridley Scott a été tourné au Maroc, de même que la scène de la promenade le long de la place à Tel- Aviv dans le film Munich (2005) de Steven Spielberg, mise en boîte à Malte.
Réalisateurs israéliens : fidèles à leur terre patrie
Aujourd’hui, quatre productions internationales sont tournées en moyenne chaque année en Israël, sachant que la majorité d’entre elles sont européennes.
D’après Yoram Honig, producteur de films israélien, né à Jérusalem, “il est absurde que des films qui prennent place à Jérusalem soient filmés à Malte, au Maroc ou en Grèce”. Afin de pallier cette déficience, il a fondé il y a trois an un Fonds du film de Jérusalem qui a permis de développer 30 projets et de produire 16 longs métrages et 5 séries pour la télévision sur Jérusalem. Des fonds du même genre existent également à l’échelle municipale à Tel-Aviv ou Haïfa.
Par ailleurs, en 2008, le gouvernement israélien a fait passer une loi offrant des réductions d’impôts, des assurances contre les attaques terroristes et des subventions pouvant aller jusqu’à 400 000 dollars pour les compagnies étrangères qui décident de venir tourner leurs films en Israël.
Début 2011, Israël a aussi introduit des Fonds d’assurance qui permettent de couvrir les productions dans le cas où des actes terroristes ou de guerre venaient à nuire à leur production. Or, d’après le manager de l’industrie audiovisuelle du ministère de l’Industrie, Zafrir Asas, “la loi a eu peu d’effets dans la mesure où les réductions d’impôts sont de loin moins avantageuses que dans d’autres pays”.
Malgré les difficultés sécuritaires, les réalisateurs israéliens qui ont su se faire une réputation à l’étranger restent attachés à leur pays en l’abordant sous de nouveaux aspects. C’est le cas notamment d’Ari Folman qui produit Made in Israel en 2001, d’Amos Gitai avec Terre promise en 2004 et Free Zone en 2005.
Joseph Cedar, avec Beaufort (2007), pose ses caméras dans la forteresse de Nimrod sur le plateau du Golan pour son film qui se situe au Liban. Cela avait déjà été le cas avec Jamais sans ma fille, adaptation du roman du même nom qui bien que se déroulant en Iran avait conduit Brian Gilbert à le tourner en partie en Israël.
Mais ce qu’on remarque surtout aujourd’hui, c’est que les producteurs, israéliens ou travaillant en coopération avec Israël, se tournent vers un autre paysage : celui des villes. Et encore une fois la liste des films qui zooment sur les individus pris dans les méandres des agglomérations n’est pas exhaustive. Parmi les plus réputés : Les Méduses, couronné par la Caméra d’or lors du Festival de Cannes 2007 traite de la vie à Tel-Aviv et Footnote de Joseph Cedar, nommé lors du Festival de Cannes 2011 et aux Oscars en 2012 inspire la nostalgie de Jérusalem.
Enfin, pour les derniers projets en date, Jerusalem, I love you, déclaration amoureuse à la ville d’or, du réalisateur français Emmanuel Benbihy déjà connu pour Paris, je t’aime et New York, I love you.
En somme, le cinéma a largement de quoi exploiter la mine d’or israélienne. La preuve en est : depuis qu’Israël envoie des films aux Oscars dans la catégorie des Oscars du meilleur film en langue étrangère en 1964, 10 opus ont été nommés.
Le petit pays aux larges horizons promet de faire rêver encore de nombreux cinéastes et cinéphiles.