Le 7e art israélien : mirroir de la société

Le cinéma israélien ou le récit de la nation israélienne depuis sa création ; du sionisme, à la guerre d’Indépendance en passant par tous les autres conflits. Depuis une décennie, le 7e art s’intéresse de plus près à ses habitants métissés. Emotions garanties

 ‘Ironiquement, alors que l’industrie cinématographique américaine devenait une réussite commerciale phénoménale aux mains des Juifs immigrés et de leurs descendants, l’histoire du film israélien à ses débuts était conditionnée par ses limites financières”, relate le site FilmBirth. Pourtant, le cinéma a participé à la création de la nation.
Le septième art fleurit en Palestine mandataire dès l’invention de la technologie. En 1896 ou 1897, Alexandre Promio, le caméraman des Frères Lumières, se rend dans le pays. Il y tournera un documentaire muet d’une minute intitulé Départ de Jérusalem en chemin de fer. En 1911, c’est au tour de Murray Rosenberg de poser le pied en Terre sainte. Le Premier film en Palestine, inspiré de Théodore Herzl est considéré comme la première oeuvre cinématographique israélienne. Certains analystes parlent alors de “pré-cinéma”.
Dans les années 1920, avant la création d’Israël, les kibboutzniks, à l’instar des Bolchéviks, s’inspirent du cinéma révolutionnaire européen et soviétique. Leur objectif : fonder une nation. Dont le cinéma sera un moyen d’action privilégié. Leurs toutes premières bobines sont utilisées comme propagande sioniste.
Puis, avec Oded l’errant (1933) de Chaim Halachmi, cette terre qui deviendra Israël célèbre son premier film de fiction, bien sûr, toujours muet.
La production cinématographique d’Israël était et sera profondément marquée par les guerres. La Seconde Guerre mondiale, avec l’extermination des Juifs d’Europe notamment.
The Illegals (1947), un documentaire de Meyer Levin, raconte le parcours de Juifs sans papiers qui embarquent pour Eretz Israël, terre d’espoir pour déracinés. Puis le conflit avec les Palestiniens fait son apparition dès 1948 avec par exemple La colline 24 ne répond plus (1955) de Thorold Dickinson qui retrace le rôle de l’ONU pendant la guerre d’Indépendance. Au fil des années, les héros ne sont plus le support d’une histoire collective, mais deviennent des protagonistes à part entière, munis de leur propre individualité.
Les films Bourekas, ou quand le cinéma devient cliché
Israël se transforme rapidement en région d’accueil pour les Juifs du monde entier. Et Ben Gourion, Premier ministre, veut utiliser le cinéma comme vecteur de cohésion sociale. Pour promouvoir le sionisme et propager la langue hébraïque chez les nouveaux habitants.
Les années 1960 voient en effet se presser de nombreux Juifs sépharades en provenance des pays arabes. Une “guerre culturelle” s’amorce entre les descendants européens et ces récents immigrés, qui marque le début d’un nouveau genre cinématographique. C’est l’époque des films dits “Bourekas”, du nom d’une pâtisserie orientale, que l’on pourrait comparer aux westerns spaghetti italiens.
Quand l’Orient rencontre l’Occident, le cinéma devient clichés. Souvent, le héros des “Bourekas” est un Juif mizrahi. Presque toujours pauvre. Et futé. Il entre en conflit avec l’Etat ou des personnages ashkénazes, riches, suffisants, arrogants et sans coeur. Les acteurs usent et abusent des accents hébreux, notamment marocain, perse et polonais.
Parmi les opus les plus célèbres, citons Sallah Shabati d’Ephraïm Kishon (1964), gros succès commercial avec 1 200 000 entrées. Il avait reçu le premier prix au Festival international de San Francisco avant d’être nominé aux Oscars. Haïm Topol, l’acteur principal, devient alors une vedette internationale. Le succès de Sallah Shabati est tel qu’il va même littéralement éclipser la douzaine de films produits cette année-là. Signalons également Boaz Davidson, Zeev Revah ou George Obadiah, réalisateurs cultes de “Bourekas”.
Mais indépendamment des succès enregistrés, pour les critiques les plus puristes, qui reprocheront en particulier la superficialité de ces films nationaux-héroïques, la qualité n’est pas encore au rendez-vous.
De la Nouvelle vague à la Nouvelle sensibilité
A la même époque, apparaît le mouvement de la “Nouvelle sensibilité”, des productions artistiques sociales inspirées de la “Nouvelle vague” du Vieux continent. Un mouvement intimiste représenté par exemple par Moshé Mizrahi et sa Maison de la rue Chelouche (1973) ou Ouri Zohar, considéré comme le chef de file du genre.
Si la “Nouvelle vague” prend Paris comme toile de fond, la “Nouvelle sensibilité” installe ses décors à Tel-Aviv, jeune, vive et insouciante, ciel bleu et ouverte sur la mer.
Il faudra attendre les années 1970 pour que les caméras se focalisent sur les quartiers sépharades de la capitale balnéaire.
A ce moment, les remous politiques ainsi que la création d’un fonds de soutien pour les films de qualité relancent la production cinématographique israélienne.
L’optimisme de la décennie précédente laisse place à la désillusion. La guerre du Liban puis la première Intifada divisent la société israélienne. Et le 7e art devient contestataire, dès les années 1980. Les critiques du sionisme et les anti-héros en marge de la société bourgeonnent. Tel- Aviv la belle insouciante se mue en décor obscur et confiné.
Le cinéaste contestataire le plus connu réside en la personne d’Amos Gitaï. Son documentaire intitulé La Maison (1980) situe son intrigue dans une maison de Jérusalem-Est saisie par le pouvoir israélien depuis 1948.
Il sera accusé de faire le jeu des Palestiniens et devra s’exiler.
Amos Gutman réalise Amazing Grace (1992) qui traite de patients atteints du Sida. Tel-Aviv n’est plus synonyme de liberté mais un monde parallèle peuplé d’“outsiders”.
Quant à Au-delà des murs (1984) d’Ouri Barbash, il dépeint l’alliance entre des prisonniers israéliens et palestiniens qui combattent ensemble la corruption de leur prison.
L’opus a été nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur Film étranger.
Si le cinéma israélien commence à sortir de sa coquille, c’est en partie grâce à Lia van Leer, fondatrice des cinémathèques de Jérusalem et de Haïfa, au début des années 1980, selon le modèle de la Cinémathèque française de Paris. A l’écran : un mélange de classiques et films contemporains les plus prestigieux. C’est elle également qui lance les premiers festivals internationaux du film.
Exit les conflits, zoom sur le thème de l’identité
Le cinéma israélien est passé de cinq à huit films par an à une vingtaine d’oeuvres au début des années 2000. En 2001, l’Etat a en effet instauré un fonds de soutien, l’Israel Film Fund (IFF), qui distribue chaque année au moins 12 millions d’euros. Les chaînes de télévision contribuent, elles, au financement des documentaires. L’Etat facilite les coproductions internationales en baissant les taxes pour les sociétés cinématographiques étrangères, en même temps qu’il favorise le recours à des sociétés israéliennes.
Libéré des contraintes économiques, le cinéma israélien se diversifie. Exit les conflits. Le 7e art se veut plus intimiste.
Et fait de l’identité son nouveau thème privilégié.
“Dans ce pays en guerre depuis qu’il figure sur la carte du monde, où le conflit israélo-palestinien est vécu au jour le jour, le public est avide d’autre chose, cherche à se distraire, à oublier, à aimer comme partout ailleurs”, martèle l’actrice israélienne Ronit Elkabetz. Nouveau souffle donc pour la production cinématographique nationale.
Hubert Prolongeau, journaliste et écrivain approuve : “Désormais, les films abordent tous les sujets : le poids de l’armée sur la vie quotidienne (Une jeunesse comme aucune autre, de Dalia Hager), la prostitution (Mon trésor, de Keren Yedaya), la désagrégation familiale (Les Sept Jours, de Ronit et Schlomi Elkabetz), la religion (Kadosh, d’Amos Gitaï).”
Selon Elkabetz, c’est Mariage tardif de Dover Koshashvili qui a révolutionné la production en 2001. “Ce film a renversé le tabou qui pesait sur le cinéma israélien. Non seulement, tout le monde en parlait, mais pour la première fois un film israélien était accueilli très favorablement par la presse”.
Pour Amos Gitaï, “le meilleur service que l’on puisse rendre à sa patrie, c’est de faire un cinéma fort et critique”.
Pari relevé par les cinéastes nationaux récompensés à de nombreuses reprises lors de festivals du monde entier. En 2007, Etgar Keret, reçoit la Caméra d’Or au Festival de Cannes pour Les Méduses. Et La Visite de la fanfare, réalisé par Eran Kolirin, est retenu pour Un certain regard.
L’année suivante, l’ours d’argent du meilleur réalisateur revient à Joseph Cedar à Berlin pour son film intitulé Beaufort. Quant à Ronit et Shlomi Elkabetz, ils ouvrent la semaine de la critique sur la Croisette. Dernière nomination en date, Footnote de Joseph Cedar nominé aux Oscars 2012 dans la catégorie Meilleur Film étranger.