Le garde du corps raconte

Jean-Marie Le Pen, comme personne ne l’a jamais vu : éclairage unique sur un des hommes qui aura marqué la vie politique française de ces trente dernières années.

LEPEN (photo credit: Reuters)
LEPEN
(photo credit: Reuters)

Le Fouquet’s,enseigne prestigieuse sur les Champs Elysées à Paris. Un salon feutre aupremier.

Le déjeuner réunit quatre personnalités, des membres éminents de la communautéjuive, et leur hôte, le plus “infréquentable” des hommes politiques français,l’ennemi public numéro un : Jean- Marie Le Pen, le président du Front National.
Nous sommes en avril 2004. Des contacts, notamment avec l’ambassadeur d’Israëlen France Eliyahou Ben Elissar, avaient été initiés depuis la fin des années1990 par le conseiller politique de Jean-Marie Le Pen, Jean-Michel Dubois.
De l’inimaginable rencontre, annulée à quatre reprises avant de se déroulerfinalement ce printemps-là, personne ne saura jamais rien. Ni journalistes, niproches du président du Front, ne seront tenus au courant. Jusqu’à sarévélation dans un livre paru pendant la dernière campagne électorale : MissionLe Pen. L’auteur : Thierry Légier, le garde du corps depuis 20 ans du fondateurdu mouvement d’extrême- droite, passé au service de sa fille, devenueprésidente du FN au Congrès de Tours en janvier 2011. C’est lui qui est venu metrouver, alors que j’assistais à une conférence de presse pour lescorrespondants étrangers de la candidate à la présidentielle Marine Le Pen, auCarré, le nouveau siège du FN à Nanterre, à la veille du premier tour des élections.
Dans son avant-propos, Raphaël Stainville raconte d’abord ses infructueusestentatives pour convaincre le “vieux” de parachever son propre projet demémoires, certes littéraires (“un voyage en nostalgie”) et non politiques.
“On fait un bilan quand l’action est terminée.
L’action ne s’arrêtera jamais”, s’est-il fait répondre. Se faisant la voix dupremier des frontistes, le journaliste du Figaro Magazine explique : “De Gaulleest mort de ne plus faire de politique. Mitterrand n’a pas été emporté par soncancer, mais par le fait de ne plus être aux commandes.
C’est l’intime conviction de Le Pen. Ecrire, c’est mourir un peu. Tirer untrait qu’il ne veut pas tirer”.
Le point de “détail” de Le Pen

Et le premierchapitre du livre relate le déjeuner au Fouquet’s justement, comme pour bienmarquer : Le Pen et les Juifs. Peu d’indications sur les dirigeants de lacommunauté présents, juste le fait que parmi eux figurait un PDG d’une grandeenseigne de matériel HI-FI, ainsi que le trésorier de la communauté de Nogent,Roland Guez.
Au menu de leur discussion, notamment, l’affaire du “détail”. Le 13 septembre1987, au Grand Jury RTL-Le Monde, l’invité Jean-Marie Le Pen provoquait untollé : “Je suis passionné par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, je mepose un certain nombre de questions. Et je ne dis pas que les chambres à gazn’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudiéspécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail del’histoire de la Seconde Guerre mondiale”.
L’auteur de ces propos scandaleux sera condamné par la cour d’appel deVersailles pour “banalisation de crimes contre l’humanité” et “consentement àl’horrible”.
Aujourd’hui, son ancien garde du corps admet que ces phrases constituent “unearête qui a du mal à passer”, et qu’elles “apparaissent toujours comme uneprovocation impossible à digérer”.
Et de rapporter l’incroyable négociation. “Le Président (c’est ainsi qu’ilappelle toujours son patron) campe sur ses positions, sans rien retrancher à sadémonstration. Eux cherchent à obtenir des excuses, à défaut d’un repentir, undébut de repentir... la reconnaissance d’une maladresse... un geste enversIsraël... Lui n’entend que lever un malentendu”.
“Je ne regarde pas l’histoire avec l’oeil qui pleure, je regarde l’histoiredans ses grandes perspectives, en homme politique... depuis Sirius”,glisse-t-il à ses hôtes ahuris... déçus par sa présentation de l’histoire. Etpour cause...
Antisémite, révisionniste, Le Pen, lui à qui Rika Zaraï avait un jour dit que“la situation entre les Juifs et Le Pen ne pourrait redevenir normale qu’aubout d’un siècle” ? Cela dit, au fil des plats et des grands crus commandés,l’ambiance au repas se fait “chaleureuse, presque amicale”. “Sur ses gardes” audébut, Le Pen est maintenant “affable, de la meilleure compagnie”. Il serait“apaisé, soulagé de ne pas avoir baissé la garde et de ne pas avoir cédé unpouce de terrain”.
Finies la méfiance de l’un et la réserve des autres. Les hôtes redoublent deprévenances. Comme à son habitude lorsqu’il est de bonne humeur, Le Pen vajusqu’à pousser la chansonnette. Les adieux se feront sur les Champs Elysées.
Breton et fier de l’être

Le livre portesur les 20 ans de l’ancien des corps d’élite de l’armée française, Thierry Légier,au service de Jean- Marie Le Pen, son “colis” en langage professionnel (et luien est “l’épaule droite”).
Deux décennies d’action et de tensions, de meetings et manifestations quidégénèrent en batailles rangées avec agressions, coups et projectiles (parexemple les échauffourées à Cambridge en Grande-Bretagne ou Le Pen - “the Nazi”pour le Guardian - est un véritable pestiféré).
Il porte aussi sur la face cachée de JMLP : rencontres secrètes, voyagesdiscrets, amitiés étonnantes, entretien hautement sécurisé avec Saddam Husseinà Bagdad en 1996 (au retour d’Irak, et dans le cadre de l’association desanciens parachutistes, Thierry Légier est allé sauter avec des commandos deTsahal, raconte-t-il fièrement, photo à l’appui).
Il y a aussi le match de foot USAIran, au Mondial 98, auquel le féru de sportLe Pen (50 pompes q u o t i - d i e n n e s , muscu, boxe, tir) est invité,ainsi que la r é c e p t i o n donnée par Téhéran au P a v i l l o n Dauphine.
Mais il y a surtout l’ancien patron du KGB et putschiste contre G o r b a t c he v , Vladimir Krioutchkov, en 2003, le Serbe de Bosnie Rodovan Karadzic enaoût 2006, près de Sarajevo, le conseiller spécial de François Mitterrand,François de Grossouvre, peu avant son suicide en avril 1994, l’ancien ministrede gauche Bernard Tapie qui demande un coup de main à la veille deslégislatives, VGE (Valéry Giscard d’Estaing, deux dîners dans un appartementdiscret près du Trocadéro jusqu’en 2007). Et il y a aussi des amis : AlainDelon, Jean-Edern Hallier (de L’Idiot international), Olivier de Kersauson,Jean Tabarly...
Mais ce sont ses origines bretonnes (il est né en 1928 à la Trinité-sur-Mer)que Jean-Marie Le Pen évoque avec le plus d’émotion : “Je ne suis pas né commecela, je n’ai pas franchi la frontière en catimini, je suis natif d’unefamille... dans une maison où le sol était en terre battue, où il n’y avait nil’eau, ni l’électricité. J’ai été mineur de charbon, marin pêcheur dechalutier, officier parachutiste dans la Légion”.
Marine Le Pen m’a affirmé qu’il avait “combattu avec Israël” (allusion à lacampagne franco-angloisraélienne du Sinaï en 1956), il n’empêche : l’affaire dudétail n’est pas à mes yeux un “détail” de la biographie du vieux lutteur, etnous autres Judéo- Israéliens ne pourrons jamais l’accepter. Et la rencontre duFouquet’s n’a rien arrangé à l’affaire, au contraire... 

Mission Le Pen,par Thierry Légier, avec Raphaël Stainville, journaliste politique au FigaroMagazine, Editions du Toucan, Collection “Enquête et Histoire”, 2012, 208 pages