Quand les Bédouins du Néguev entrent en scène

A quelques encablures de Beersheva, une troupe de théâtre pas comme les autres a vu le jour. Elle se compose de jeunes acteurs - et actrices - issus de la société bédouine. A leur répertoire : le Bourgeois Gentilhomme de Molière

bedouins moliere (photo credit: © DR)
bedouins moliere
(photo credit: © DR)

Sous le ciel bleu du Néguev verdoyant, autour de la villed’Oura, on distingue au loin des troupeaux accompagnés de leurs bergers, et descampements aux allures de bidonvilles, disséminés aux abords des cités. C’estprincipalement là que vivent les quelque 250 000 Bédouins d’Israël qui, au fildes ans, se sont progressivement sédentarisés.

Ils font partie des 24 % d’Israéliens qui représentent les minorités non juivesdu pays. De confession musulmane sunnite et de culture arabe, la sociétébédouine, originellement nomade, vit de l’élevage des caprins, des ovins et descamélidés. Pourtant aujourd’hui, sur tout le Moyen-Orient, seuls 5 % d’entreeux sont encore itinérants.
En Israël, la politique mise en place par le gouvernement depuis des années acontribué à favoriser leur sédentarisation.
C’est à partir de la fin des années 1960 que l’Etat hébreu va décider de lesurbaniser en les logeant dans des villes et villages planifiés. Sept localitésont ainsi vu le jour depuis 1966, qui rassemblent plus de la moitié de lapopulation bédouine du Néguev. Pourtant, la donne est contestée.
Idéalement, ce que souhaiteraient aujourd’hui les Bédouins, ce serait lareconnaissance de 40 petits villages, qui permettrait aux différentes tribus dese regrouper par localité.
Car parmi ses spécificités, la société bédouine a celle d’être organisée en tribus, quirevendiquent chacune une histoire et une culture propres. Comme celle des “Bedu”, habitantsdu désert, originaires d’Arabie Saoudite et descendants du prophète Mahomet. Ils’agit d’une société qui s’organise sur les liens du sang et un modèle sociétalsimilaire à celui de la noblesse. Le pouvoir d’un clan repose toujours sur lataille de la famille, en moyenne composée de 10 membres.
Mais quand les Bédouins obtiennent la citoyenneté israélienne dans les années1950, l’appartenance tribale est bouleversée. Les autorités israéliennes leurimposent de s’enregistrer comme ressortissants de l’une des 19 tribusofficiellement reconnues, alors qu’en réalité il existerait plus de 30 tribusdistinctes.
Aujourd’hui, la majorité d’entre eux est réunie dans un périmètre plutôtrestreint, au nord-est de Beersheva.
Une oasis culturelle dans le désert

Beersheva, lieu où se trouve aussi unétablissement français.

Et c’est notamment grâce à l’Institut français de la région du sud du paysqu’un projet unique a vu le jour : une troupe de théâtre composée de jeunesacteurs issus de la société bédouine a interprété le Bourgeois Gentilhomme deMolière.
L’adaptation de la pièce s’est faite dans la langue régionale et les jeunes ontjoué, créé les personnages et traduit le texte original en fonction dessituations locales. Une première, puisqu’il s’agit de la première fois enIsraël que des Bédouins s’essaient au théâtre.
A l’origine du projet : l’Institut français, mais aussi le metteur en scènefranco-israélien Yaacov Amsellem. Selon lui : “Ceux qui ne connaissent pasMolière ont pu avoir l’impression d’assister à une représentation théâtralebédouine.
Mais pour celui qui connaît Molière, on reconnaît la pièce du début à la fin”.
Le travail a été fait en arabe et en hébreu à l’aide d’un traducteur, maisAmsellem insiste : “Nous avons collé à l’écriture de Molière”. Et d’ajouter,“C’était magique, une grande partie du groupe n’avait jamais touché authéâtre”.
Point de départ du projet : créer une troupe de théâtre amateur dans la région.A l’initiative de l’Institut français, tout a commencé il y a deux ans quandl’école publique d’Oura est allée voir une pièce à Beersheva. L’occasion d’unepremière rencontre avec Yaacov Amsellem, suivie d’un accord scellé pourtravailler sur une pièce de l’auteur français. Mais il faudra attendre octobre2011 pour que l’atelier débute. Et fin décembre, l’écriture et l’adaptation parles élèves étaient fin prêtes.
Yaacov Amsellem est impliqué dans de nombreux projets atypiques en Israël. Lethéâtre lui a permis, entre autres, de travailler avec les handicapés, lesecteur religieux ou des étudiants de l’université Ben Gourion. A Beersheva, ilcollabore déjà depuis dix ans avec des femmes illettrées qui ont appris à lirepour prendre part aux ateliers de théâtre. Amsellem est également très actif ausein du Light Opéra du Néguev, organisation culturelle à but non lucratiffondée en 1981 et qui réunit un florilège d’acteurs et de chanteurs amateurs.
Le théâtre, point d’ouverture

Particularité du projet : la présence de fillesau sein de la troupe. Sur les 15 membres du groupe âgés entre 16 et 18 ans, 10sont des adolescentes, chose exceptionnelle et peu évidente dans une sociétéreligieuse. Deux d’entre elles sont même venues de Hébron pour les répétitionsqui se tenaient une fois par semaine à Oura.

Avec l’accord de leurs parents et le soutien de leurs familles, elles onttoutes réussi à s’imposer pour devenir sur scène les égales de leurs acolytesmasculins.
“Les portes sont ouvertes, pour moi c’est formidable de ne pas montrer unthéâtre fermé. Exclusif. Là où les gens font du théâtre, le monde estmeilleur”, ajoute Amsellem. Pour Pauline Marchand, chargée de la missionculturelle pour la région du sud d’Israël, il s’agit d’“un groupe exceptionnelqui a compris que par le théâtre, ils créent une autre vision sur le sud et lefait d’être bédouins”. Certains élèves pensent même pousser plus avant leurformation théâtrale.
Outre son caractère exceptionnel, cette initiative est aussi un point derencontre entre Israéliens. “Il n’y a pas assez de rapports entre les Bédouinset le reste de la société israélienne.
Mais cela commence à se faire, grâce à l’armée ou à l’université”, indiqueLionel Choukroun, attaché culturel et directeur adjoint de l’Institut françaisde Tel-Aviv.
Selon les concernés, une tournée est prévue à Beersheva, Nazareth et dans d’autres localités bédouineslocales. “Ah ! La belle chose que de savoir quelque chose”, disait Molière.
A en croire l’expression de joie et d’enthousiasme sur le visage de ces acteursen herbes, les mots du dramaturge français se sont magnifiquement incarnés ausein de la petite troupe bédouine d’Oura.