Religion Perles chrétiennes de Judée

Si le Moyen-Orient se vide de ses Chrétiens, les vestiges grandioses de l’influence des différentes Eglises sont encore présents en Israël. Notamment dans le désert de Judée

Perlesdejudee (photo credit: Nicolas Touboul)
Perlesdejudee
(photo credit: Nicolas Touboul)
Ville trois fois sainte, pour les Juifs, lesMusulmans et les Chrétiens, Jérusalem est sans doute la seule cité au monde oùl’on peut assister à une messe dans à peu près toutes les langues, au seind’églises de toutes dénominations, d’Orient ou évangéliques. Où ailleurs, surla planète, peuton encore communier en araméen ? Pour le pélerin, ce patrimoineconstitue un marché immense : en 2010, année record pour le tourisme, 66 % des3,5 millions de touristes étrangers venus en Israël étaient chrétiens. Et pourla moitié d’entre eux la raison de leur venue était avant tout d’ordrereligieux. D’un point de vue purement économique, ces pèlerins, ou “voyageursspirituels” comme préfèrent s’appeler les évangéliques, représentent unevéritable mine d’or. Ils séjournent en moyenne 8 jours dans le pays, pour unedépense de 1 700 dollars par personne, selon les derniers chiffres du ministèredu Tourisme. C’est pour cette raison, et même si l’on estime à moins de 2 % laproportion de citoyens israéliens chrétiens, le ministère du Tourisme s’estlancé dans une campagne de promotion de la Terre sainte à destination desChrétiens du monde entier.
Il y a un an, il ouvrait un bureau chargé du tourisme religieux qui fonctionneaujourd’hui à plein régime : son site, holyland-pilgrimage.org, disponible ensept langues, a déjà accueilli plus de 2 millions de visiteurs. Au programme :mise à disposition d’un kit d’information et de préparation au voyage àdestination des “leaders catholiques” ; accueil de groupes oecuméniques deresponsables ecclésiastiques composé de pasteurs américains ou du cardinal deBombay ; développement d’un programme de communication sur internet, notammentà travers la mise en place d’une chaîne YouTube qui assure le feedback et lapublicité indirecte par l’intermédiaire d’anciens pèlerins enchantés de leurséjour en Terre sainte...
Voyage initiatique Pour partir sur les traces d’une présence chrétiennemillénaire, le désert de Judée est un bon point de départ.
A une vingtaine de minutes à peine de Jérusalem, sur la route 1 en direction dela mer Morte, à proximité de Jéricho, les lieux ont de tous temps abritémystiques et autres hommes de foi qui voulaient se retrancher de la société.Comme Eli fuyant la fureur de Jézabel dans la Torah. Mais c’est aux quatrième etcinquième siècles de l’ère commune que l’ermitage dans la région fleuritvraiment. Sous contrôle byzantin, on compte alors pas moins de 65 monastèresqui abritent plusieurs milliers de moines, suivant la méthode d’Antoine. Ledésert est pour eux d’une ambiguïté fascinante : le lieu où s’échapper despetitesses de la vie urbaine et se livrer à la contemplation, mais également lesiège de la solitude vectrice de danger pour attirer les démons notammentintérieurs.
On distingue généralement deux types d’ermitage : le cénobitisme, vie encommunauté dans un monastère, et l’anachorétisme, vie solitaire pourl’essentiel de la semaine, aujourd’hui en voie de disparition et entrecoupée depassages hebdomadaires par le monastère pour obtenir de quoi subsister les sixautres jours.
Saint-Georges et son “miraculeux cadavre” Saint-Georges comporte des élémentsdes deux types.
Situés dans une gorge du nahal [torrent] Perat (wadi Kelt en arabe), parailleurs connu pour ses parcours de randonnée et d’escalade, le monastère estorthodoxe, de rite grec. Posé sur un rocher, accessible uniquement par unepiste pour mulets bétonnée l’an dernier, seuls dix moines y vivent désormais,grecs ou roumains. Disposant d’une vue à couper le souffle au milieu du ravin,on peut voir alentour le réseau d’échelles de bois qui relie le monastère à desgrottes, véritables nids d’aigles, autrefois occupées par des anachorètes.
Les bâtiments datent du IVe siècle. Ils ont été détruits après la chute desroyaumes croisés, puis reconstruits par le patriarcat grec au XIXe siècle. Lemonastère, protégé des autorités ottomanes par le tsar de Russie, s’inscritdans la grande tradition iconophile orthodoxe. Sa réputation qui attire desgroupes de touristes tout au long de l’année tient à plusieurs éléments. Parmieux : ses peintures murales, ainsi qu’une structure ecclésiale “à l’ancienne”(avec l’autel caché aux yeux des fidèles) et le “cadavre miraculeux”.
S’il est courant dans les monastères orthodoxes de trouver un ossuaire exposéaux passants, Saint-Georges “propose” le corps d’un moine mort en 1960 et dontle cadavre ne s’est pas entièrement décomposé. Les moines, qui passent huitheures par jours en prières et en contemplations, ne parlent ni anglais nihébreu, ni arabe pour certains. L’essentiel de leurs visiteurs sont despèlerins orthodoxes qui effectuent une tournée typique des lieux saints deGalilée via Jérusalem.
Ne pas oublier les violences Plus loin à l’est, à quelques centaines de mètresdu Jourdain, le monastère jumeau de Saint- Gerasime. Lui aussi de riteorthodoxe grec, il partage avec Saint-Georges un chef spirituel et comprend uneorganisation similaire. Lieu présumé de repos de la sainte famille qui fuyaitle massacre des innocents vers l’Egypte, le monastère doit son nom à son fondateur,un ermite qui avait vécu dans la région au Ve siècle et dont le crâne estexposé dans le narthex de l’église.
Les moines possèdent un atelier de mosaïques réputées, dont le travail estobservable sur le parterre refait à l’identique, il y a trois ans. Une mosaïqueau sol dont l’immense aigle à deux têtes au milieu des travées rappellel’origine romano-byzantine du christianisme.
La beauté des extérieurs ne saurait pourtant faire oublier les explosions deviolence. Ce n’est sans doute pas un hasard si les moines aiment rappeler lapersistance de leur installation malgré les persécutions. Infinimentminoritaires dans la région, les Chrétiens ne sont parfois pas les bienvenus,ce qui a pu se traduire par des menaces et jusqu’à l’assassinat en juin 2001 dupère Georgios Tsibouktzakis, 34 ans, par un certain Marwan Barghouti.
Vous avez dit commercial ? A quelques kilomètres de là, à peine : Qasral-Yahoud, un des lieux présumés du baptême de Jésus. L’accès au Jourdain vientd’être réaménagé voilà quelques mois pour être désormais ouvert sept jours sursept au public. Géré par l’autorité des parcs nationaux, tout y est fait pouraccueillir des groupes de pèlerins. Et les évangéliques se bousculent : par undoux midi de début décembre, ils ne sont pas moins de trois groupes,essentiellement composés d’Américains d’origine asiatique et d’Asiatiques, à sesuccéder en une demi-heure. Si les quelques Catholiques présents se contententde se faire verser de l’eau sur la tête, le pasteur baptiste, au milieu de l’étroiterivière saumâtre, plonge ses ouailles une par une, “comme l’a fait Jean leBaptiste”. Et les appelle à profiter de l’occasion pour prendre un nouveaudépart dans leur vie. Une résurrection, en quelque sorte. Puis tout le groupese réunit pour conclure en chanson, accompagné par ledit pasteur à la guitaresur les rives du Jourdain.
A proximité : deux soldates israéliennes. L’étroitesse du Jourdain en cetendroit matérialise la frontière plus qu’ailleurs, où les rives sont unno-man’s-land miné. Côté jordanien, on aperçoit des soldats de temps à autre,alors que l’église qui célèbre elle aussi le baptême originel ne compte pour lemoment pas de touriste.
A l’entrée des lieux, la boutique de souvenirs témoigne du succès de la formule: des fioles de quelques centilitres d’eau limpide intitulées “saintes eaux” sevendent 6 shekels, tandis que des certificats de baptême anonymes sont venduspour trois shekels.
Sans oublier les robes de baptême pour adultes ainsi qu’une bibliographieimportante sur le thème du renouveau de la foi et les articles touristiques etde randonnée trouvés dans les autres parcs nationaux.
Qu’aurait pensé ledit Jésus de ces nouveaux marchands du ?