Tel-Aviv : fourmilière blanche d’artistes et de galeries

Art et Business peuvent-ils faire bon ménage ? Éléments de réponse avec les galeristes d’aujourd’hui et les créateurs de demain

telaviv ARTISTES (photo credit: Avec l’aimable autorisation de Michel Meir Levy et)
telaviv ARTISTES
(photo credit: Avec l’aimable autorisation de Michel Meir Levy et)

L’achèvement des travaux de construction et de rénovation detrois des bâtiments les plus importants de la ville - que sont la cinémathèque,le théâtre national Habima et le musée de l’Art - ont décidé le maire RonHuldai à déclarer l’année 2012 année de l’art à Tel-Aviv. L’occasion pour lesmusées de la cité, ainsi que plus de 100 galeries indépendantes et autresespaces alternatifs, d’offrir aux amateurs comme aux néophytes la possibilitéd’explorer le monde foisonnant des artistes et de la création contemporaine quigrouillent un peu partout dans la Ville blanche.

Une petite promenade le soir, le long de la rue Ben Yehouda ou de la rueGordon, suffit pour se rendre compte à quel point Tel-Aviv renferme un nombreimpressionnant de galeries. Mais derrière les vitrines, exit le petit monde desartistes bohèmes ou des précurseurs.
Percer dans l’art aujourd’hui relève davantage de la valeur pécuniaire del’artiste que de son talent. Les visions révolutionnaires des Picasso quisignait des assiettes, Dali qui vendait son image et Andy Warhol qui utilisaitla société de consommation pour faire de l’argent ont fait leur chemin. Lesgaleries veulent faire des affaires, s’imposer sur le marché de l’art et neprennent plus de risques pour promouvoir les jeunes talents.
Leur principale motivation : l’argent.
Quand il s’agit de définir l’art, plus besoin de se turlupiner avec lesthéories, les concepts ou un sens développé pour l’esthétique. La règle estsimple : il faut vendre ; et plus c’est cher, plus ça a de la valeur.
Jeunes artistes, mais renommés

La galerie Urban, rue Ben Yehouda, en est unexemple représentatif. Son propriétaire la définit comme un lieu pour “l’artmoderne et contemporain déjà bien établi” : “La plupart des artistes que noussélectionnons ont déjà exposé dans les musées. Selon moi, Menashe Kadishman estactuellement l’artiste favori de la galerie”, explique-t-il. La collaborationUrban/Kadishman remonte à 5 ou 6 ans. Les toiles de l’artiste se vendent entre1300 dollars pour les plus petits formats (25 x 25 cm) et 100 000 dollars pourles grandes toiles.

Idem pour les pièces de sculpture.
A côté de Kadishman, d’autres sont présents : Moshé Gershuni dont larétrospective s’est tenue au musée d’art de Tel Aviv de fin 2010 à début 2011 ;Yaacov Agam, figure phare de l’art cinétique ; ou encore Yohanan Simon, peintreisraélien qui avait côtoyé André Derain, l’un des fondateurs du fauvisme, àParis dans les années 1920.
“Mais nous travaillons aussi avec de jeunes créateurs. Nous aimons la fraîcheurde la nouveauté”, continue le propriétaire des lieux. De jeunes artistes,certes, mais qui jouissent d’une certaine renommée. Comme eux le photographeNiv Koren, un des rares à voir sa photographie exposée dans une galerie. “Avantnotre collaboration, il y a deux ans et demi, Niv faisait du photojournalisme,et n’était pas très connu sur le marché de l’art. Mais nous avons cru en lui.
Pourtant, il y a toujours un risque avec la photographie car ce n’est pas lesupport favori des collectionneurs d’art”, conclut-il. Aujourd’hui, les photosde celui qui a fait scandale en février dernier sur les réseaux sociaux suite àla publication du cliché d’une jeune immigrée éthiopienne se baignant nue dansun Mikveh se vendent jusqu’à 22 000 dollars.
Résister au business system

Pourtant, il existe des artistes rebelles, desoriginaux qui tentent de résister.

Comme l’artiste israélien Ido Shemi.
L’une des toutes premières figures à introduire la culture underground enIsraël.
Après son service militaire, il s’envole pour New York City. “Je suis parti pour échapper àmon système de pensée, à la guerre du Liban et à la mentalité israélienne”,déclare-t-il. Il restera deux ans dans la Grande pomme, de 1985 à 1987.
Quelques années après son retour, en 1995, influencé par la mentalité “Rock andRoll”, il ouvrira le club Dinamo Dvash qui lui permettra de faire naître, ausein d’une société peu préparée à ce bouleversement culturel, une révolution dela musique électronique à la fois underground et sophistiquée. Shemi sera l’undes premiers à avoir recours aux graffitis, aux flyers, aux affiches dans lesrues pour se faire connaître.
“J’ai toujours été en avance de quelques années sur ce qui se faisait.Aujourd’hui, tout semble évident, la municipalité paye même des artistes pourque les rues de la ville ressemblent à Berlinou New York.
Or, à l’époque, les rues étaient vides et propres”, déclare-t-il.
Puis en 2002, il est frappé par une illumination : “Je vais me mettre à laconquête du monde de l’art”, et décide de vivre pleinement sa vie d’artiste. Dumême coup, il entreprend de rendre son art accessible et se positionneclairement contre la mouvance des galeries établies en refusant de jouer le jeude l’argent.
Quitte à hypothéquer sa maison pour pouvoir financer la réalisation de sonprochain projet autobiographique. Mais surtout, le fondateur du mouvement“Israbilly” sort des sentiers battus, et se lance mélange dans un pari étonnant: combiner le football et l’art. Il est ainsi l’un des premiers à choisirl’univers du ballon rond comme sujet de ses oeuvres.
Et cela, dès ses premières expositions.
Comme de nombreux autres artistes tel-aviviens, Ido Shemi est venu s’installerau sud de la ville, dans cette zone semi-désinfectée, à deux pas de la rueShoken. A l’exemple de Chelsea à Manhattan, le quartier coincé entre Florentineet Shapira, encore fréquenté par les immigrés, les trafiquants de drogues etles prostituées, se reconvertit lentement en un haut lieu de la créationcontemporaine.
Le prix des loyers y est considérablement inférieur comparé au centre de laville, et les artistes disposent de tout l’espace dont ils ont besoin. Lesjeunes créateurs, mais pas seulement. Progressivement, les exposants selaissent aussi tenter. Comme la galerie Rosenfeld : le père tenait boutique surBen Yehouda, le fils est venu s’installer dans le sud de la ville.
Pour l’amour de l’art

Et les Français dans tout ça ? “En Israël, c’est trèsdifficile d’exposer et de se faire connaître. C’est un pays jeune qui a subiune explosion culturelle. Il était préparé à la guerre, mais pas à l’art.L’Etat n’arrive toujours pas à comprendre qu’il y a un potentiel artistique àexploiter”, indique Talia Savyone, jeune photographe parisienne, établie àTel-Aviv depuis janvier 2006.

A Paris, la grisailleet l’ennui vont progressivement la pousser à faire son aliya. Cette amoureusedes ambiances et des contrastes confie : “Je commençais à déprimer en France.J’avais besoin de soleil et de lumière. Alors je suis partie”.
Suite à cette décision, et dans la continuité du changement, elle décide alorsde se consacrer totalement à la photographie.
Artiste dans l’âme et adepte de l’“inattendu”, elle dit aimer “attraper lesinstants et non pas les préparer”.
Et quand on l’interroge sur les galeries, elle répond : “C’est comme un cerclevicieux : si on n’est pas connu, elles ne vous exposent pas. Mais si on estdéjà connu, nous n’avons pas besoin de nous faire connaître. Bien souvent, siune galerie accepte de donner l’opportunité à un artiste de percer, c’est aupetit bonheur la chance”.
Et d’ajouter avec une pointe d’irritation : “Tout fonctionne au relationnel. Ilfaut se faire un nom. Mais en tant qu’artiste, il faut faire de l’art, faire ceque l’on aime et non pas faire de l’art pour vendre”.
Faire ce qu’on aime. Telle est la doctrine à laquelle est resté fidèle pendantplus de 40 ans le sculpteur français Michel Wolman.
En 1967, le jeune homme déserte l’armée. Il erre dans le petit village de Sachédans l’Indre et Loire quand un homme lui ouvresa porte. Sa maison lui sert aussi d’atelier et cet hôte providentiel n’estautre qu’Alexander Calder, peintre et sculpteur américain aujourd’hui connupour ses mobiles. “Chez lui, je suis resté quelques mois. Le soir on picolait,sa femme jouait de l’accordéon et lui dansait. C’était un type qui s’amusaitbien et qui n’avait pas l’air de travailler”, se souvient Wolman. Et d’ajouter: “On peut être impressionné par certains artistes mais faire partie de leurmonde est un tout. Etre artiste c’est un état d’être, un art de vivre”.

Tel-Aviv, création artistique et divine

Dans les années 1957 à 1966, il côtoiel’école de Nice et fréquente Pierre Restany, critique d’art français et père dunouveau réalisme. Autour de lui, Yves Klein, César, Ben et tant d’autres. Arrivéen Israël en 1969, Wolman a commencé par reproduire les sculptures d’artistesdéjà connus : Kadishman, Agam, Yitzhak Danziger ou encore Dina Recanati. Cesera à partir de 1976 qu’il réalisera ses propres créations. Aujourd’hui,l’artiste compte à son actif de nombreuses expositions comme “Ofer”, travaillesur les casques, le sens de la guerre et de la vie d’un homme, Quand les mursmurmurent, réflexion sur le Kotel ou encore la réalisation d’une sculptured’acier de cinq tonnes et demie pour la ville de Holon.

Il conserve une partie de ses oeuvres dans son jardin et dans son atelier ducentre de Tel-Aviv.
Si la Ville blanche accueille les artistes, les artistes le lui rendent bien.Amour pour l’art, amour pour la ville du Bauhaus et amour de la vie convergentdans le travail de Michel Meir Levy. Il a réussi à allier business et libertéde créer en ouvrant sa propre galerie. “D’un côté, je suis artiste, mais j’aiaussi réussi à m’imposer en tant que businessman. Grâce à la galerie j’ai puexposer à Toronto, à Genève, à Bruxelles, à Milan ou à Paris.Cela m’a même permis de travailler sur commande”, confie celui qui étant jeunepensait ne jamais pouvoir réussir à vivre de son art.
Sa technique : la photographie, la typographie, l’illustration, les tags, lecollage, la peinture acrylique et industrielle. Son style : entre fauvisme -avec son explosion de couleurs - et pop art pour la sérigraphie.
Sa touche personnelle : faire se rencontrer l’art urbain et la spiritualitéissue du judaïsme. Sa particularité : être un artiste moderne et un Juiforthodoxe.
Et la rencontre des deux mondes ne fait que rendre ces oeuvres plussignificatives.
Car c’est un hymne à la création auquel il tente de donner forme dans sontravail : la création artistique et la création divine.
Pour lui, “l’homme a été mis sur terre pour finir la création”. “J’essaie dedonner de la sainteté à mon travail en y incorporant des Tehilim, car pour moic’est une mitsva que d’utiliser notre art pour procurer de la joie”, finit-ilpar conclure.
Placé devant l’écrevisse de plage géante de Jeff Koons, le spectateur réticentet sceptique trouvera à douter de la qualité artistique de l’oeuvre, là où lesmarchands d’art n’auront aucune hésitation sur sa valeur marchande.
Devant les oeuvres d’Ido Shemi, de Wolman ou Michel Meir Levy, il n’y a aucunehésitation à avoir. La grandeur de ces artistes n’est le fruit que d’un grandsavoir-faire et de ce don précieux qu’ils veulent communiquer avec générositéau monde qui les entoure.