Une réalisatrice presque comme les autres

Avec le succès de Lemalé et’ Hahalal, Rama Burshtein prouve que l’on peut mener de front existence orthodoxe et carrière cinématographique.

Director Burshtein poses on the red carpet 390 (photo credit: Tony Gentile / Reuters)
Director Burshtein poses on the red carpet 390
(photo credit: Tony Gentile / Reuters)

Chaude matinée àTel-Aviv. Rama Burshtein, réalisatrice du film au succès inattendu Lemalé et’Hahalal (Combler le vide), profite du soleil, installée sur le toit d’unimmeuble. Pas n’importe quel immeuble. Tout comme Burshtein n’est pas n’importequelle réalisatrice. Nous sommes au centre éducatif et social Shamayim,appartenant à la communauté ultra-orthodoxe de Tel-Aviv. Et Burshtein est lapremière femme réalisatrice de la communauté haredi à atteindre un tel succèspublic.

En contrebas, les laïcs de la ville se promènent en shorts et débardeurs, maisc’est le turban chic et exotique de cette femme qui fait sensation.Aujourd’hui, il est rose à motifs dorés. Le parcours et le succès de son filmpeuvent être mesurés à l’aune des coiffes qu’elle arbore. Au festival deVenise, en septembre, il était or et rouge. Le longmétrage y a reçu plusieursprix, dont celui de la Meilleure actrice pour la jeune Hadas Yaron, 18 ans,première comédienne israélienne à être honorée dans ce festival, vieux de 69ans et l’un des plus prestigieux d’Europe. A Toronto, son turban était d’unbrocart brun, or et mauve. A New York, en octobre, un violet pétillant. Enfin,pour son triomphe à la cérémonie des Ophirs, les prix de l’Académie israéliennede cinéma et télévision, elle était coiffée de brun chocolat et orange.
Lemalé et’ Hahalal a décroché l’Ophir du Meilleur film.
Burshtein, elle, est repartie avec le trophée de Meilleure réalisatrice etMeilleur scénario.
Hadas Yaron (Meilleure actrice), Irit Sheleg (Meilleure actrice dans un secondrôle) et Assaf Soudry (Meilleure photographie) ont également été récompensés.
La réalisatrice s’est fendu du discours sans doute le plus court jamaisprononcé aux Ophirs : comme c’était vendredi et que la cérémonie avait lieu àHaïfa, elle a dit qu’elle devait se dépêcher de rentrer pour préparer le dînerde Shabbat à sa famille à Tel- Aviv.
Un destin inattendu 
Alors que la plupart des cinéastes sont plus qu’heureux derecevoir la presse, Burshtein, elle, se tient légèrement sur ses gardes. Oupeut-être est-ce encore le choc de voir son film marcher à ce point. Rien neprédestinait cette histoire d’une tragédie dans la vie d’une famille haredi àdevenir un tel hit. Un récit où la fille aînée meurt en donnant naissance à sonenfant et la cadette, Shira (Yaron) est poussée par sa mère à épouser sonbeau-frère afin de maintenir le bébé proche de la famille.
“Je n’aurais jamais cru que cela verrait vraiment le jour”, raconte la réalisatrice.“Cela a pris près de six ans. Il a fallu des années pour écrire le scénario,réunir le casting et trouver le financement. Après le tournage, il a falluencore un an pour le montage et j’avais le sentiment que je ne finirais jamais.Une très très longue grossesse”, sourit-elle.
“Les gens estiment aujourd’hui que le film pourrait être nominé pour lesOscars. Nous verrons”, reprend-elle. Un scénario tout à fait probable car lefilm a déjà obtenu l’Ophir du Meilleur film, condition prérequise pour êtresoumis par Israël à l’Académie des Oscars. 5 films étrangers sont retenuschaque année pour la célèbre cérémonie américaine. Les noms seront renduspublics le 10 janvier, en même temps que les nominations pour les autrescatégories, tandis qu’une liste des 9 finalistes sera publiée une semaine avantla cérémonie.
A considérer l’historique israélien de ces cinq dernières années (Beaufort,Valse avec Bashir, Adjami et Footnote ont tous été nominés), Lemalé et’ Hahalala toutes ses chances. Détail non négligeable dans la course : le film serabientôt distribué aux Etats-Unis par la prestigieuse Sony Pictures Classics.
Révélation spirituelle 
Mais après la récente projection au Festivalinternational du Film à Thessalonique en Grèce, Rama Burshtein s’est momentanémentarrêtée de voyager. “Cela m’a beaucoup surpris que les spectateurs réagissentaussi bien au film”, avoue-t-elle sans fausse modestie. Des propos que l’onretrouve chez tous les cinéastes, mais chez cette mère de famille qui ajusteson turban en plein soleil, l’étonnement n’est pas feint.
Celle qui est devenue religieuse après l’âge de 20 ans a grandi avec la passiondu cinéma.
“J’ai toujours aimé les f i l m s .
J’adorais David Lynch, et sa façon de traiter ce diable qu’il a en lui. Et AngLee. J’aimais vraiment beaucoup les longs métrages américains”.
Etudiante de la seconde promotion à l’Ecole de cinéma Sam Spiegel à Jérusalem,elle prévoyait de se lancer dans l’industrie cinématographique à la fin de sesétudes. Mais, à peine diplômée, sa vie change du tout au tout. “J’ai toujoursété en quête”, explique-t-elle. Sa famille, “totalement laïque”, encourageaitsa créativité. Rama n’avait jamais été spécialement attirée par la religion.
Et puis, un jour, elle se rend à Munich pour un festival de cinéma. Et prendsoudain pleinement conscience de son identité juive. “Je n’étais pas seulementlaïque, je me considérais comme une citoyenne du monde”, sourit-elle.
“Je n’avais jamais pensé à la spiritualité. Mais soudain, le judaïsme m’a sautéaux yeux. Je me sentais mal à l’aise en entendant parler allemand. J’observaissuspicieusement toute personne de plus de 65 ans, en me demandant quel avaitété son rôle pendant la guerre”.
Peu après son retour, elle est invitée chez une amie devenue religieuse lors deson adolescence pour un repas de Shabbat en famille. “Une soirée très simple”,se souvient-elle. En repartant, elle ôte la jupe qu’elle avait enfiléepar-dessus son pantalon. Dans le couloir, son amie lui donne un pamphletreligieux à lire. “Le lendemain, je me lève et je commence à lire, avec moncafé et ma cigarette du matin”, continue-t-elle. “Cela a été le déclic.
Parfois, cela vous tombe dessus d’un coup. Je pleurais en lisant parce que j’aisoudain entrevu la possibilité de ne plus jamais être seule. J’ai su quec’était ce que je cherchais.
C’était une évidence”.
Dès ce moment-là, sa vie change. Elle mettra pourtant 3 mois à raconter à sesproches la transformation qu’elle a vécue. La même année, elle se marie avec unbaal teshouva (laïc qui a fait le choix de revenir vers la pratique religieuse)comme elle. “Et voilà tout, comme dirait ma mère”.
Son histoire ne s’arrête pas là. Sa mère et sa soeur finissent par la rejoindredans le monde orthodoxe. Son père, un marin, n’a pas sauté le pas, maisBurshtein souligne qu’il est “très proche, une partie intégrante de lafamille”.
“Mes parents m’ont toujours encouragée à m’exprimer et ils m’ont respectée dansla voie que j’ai choisie”, dit-elle encore.
Elle étudie le judaïsme un temps, puis élève ses 4 enfants, 3 garçons et unefille, qui ont aujourd’hui entre 15 et 10 ans. En parallèle, elle travaillesporadiquement pour une bourgeonnante industrie : le cinéma haredi au féminin.Complètement méconnu du monde laïc, le secteur produit des films pour femmes etpetites filles avec des budgets allant jusqu’à 1 million de shekels(l’équivalent masculin existe également). Mais se faire un nom dans le cinémareligieux n’est pas son objectif.
“C’est un milieu intéressant, d’un point de vue anthropologique”, pointe laréalisatrice. “Très commercial. J’y ai écrit des scripts, enseigné. Mais leurmonde et leur langage...”Elle s’arrête avant de reprendre : “C’est un langagefilmique très simple et quand vous allez un peu au-delà, le public ne suitpas”.
Avec les outils hérités de Sam Spiegel, elle aspire à d’autres horizonsesthétiques. Mais, reconnaît-elle, cette industrie orthodoxe “se développerapidement et il sera intéressant de voir où elle va”.
“Il n’y avait pas de voix orthodoxe” Elle-même ne songeait pas à diriger sespropres longs-métrages. Mais s’est progressivement lassée des portraitsréducteurs de la communauté ultrareligieuse.
“Ushpizin est un bon film”, déclare-t-elle en faisant référence à l’opus écritet joué par l’acteur Shouli Rand, récemment devenu croyant. “Mais leréalisateur n’était pas religieux et ce n’est pas vraiment un filmultra-orthodoxe”.
Burshtein souscrit totalement à la théorie de l’auteur, voulant qu’un film soitune vision personnelle de son réalisateur. Pourtant, elle ne se considère pascorrectement représentée sur le grand écran.
“Il n’y avait pas de voix orthodoxe”. Elle refuse de donner des noms. Mais defait, le monde des “craignants- Dieu” est majoritairement absent du cinémaisraélien de ces 50 années d’histoire. Si l’orthodoxie est de plus en plusprésente dans la culture israélienne et sur la scène politique, au cinéma, elles’est longtemps réduite à des personnages de bouffons, dans les films de KouniLemel par exemple ou le célèbre Salach Shabbati.
Ces dernières années, la communauté nationale religieuse a cependant fait unretour remarqué sur grand écran. L’exemple le plus connu est la fructueusecarrière de Joseph Cedar avec Hahesder (non sorti en France), Medourat Hashevet(2004) et Footnote (2011). Amos Gitaï a également donné sa version de MeaShéarim avec Kadosh (1999), tout comme Avi Nesher en 2007 avec Hassodot. Cesdeux derniers films sont des histoires de femmes, bien que celles-ci ne fassentpas de films pour le grand public dans la communauté en question.
Chez Burshtein cependant, l’envie de faire Lemalé et’ Hahalal n’est pas néed’un désir de faire entendre une voix féminine parmi les siens, mais plutôt,tout simplement, de raconter précisément cette histoire-là.
Remettre les femmes à leur juste place
“J’étais à un mariage quand j’ai entenduparler de cette fille qui venait de se fiancer avec son beau-frère, après lamort soudaine de sa soeur. Je me suis dit : voilà une histoire à raconter.C’est intéressant en soi. Ce n’est pas sur des problèmes de foi ou tout autrechose qui toucherait particulièrement la communauté laïque. Cela n’a pas besoind’expliquer ou de justifier quoi que ce soit”.
Une certaine lassitude transparaît dans sa voix. Depuis que le film est sorti,on lui demande de commenter chacune des actions publiques de sescoreligionnaires. “Je raconte simplement l’histoire de cette famille”, lancet-elle. Et d’admettre : “Il y a de nombreux préjugés de la part des laïcs.
Si j’ai pu en faire s’envoler quelquesuns, tant mieux”.
Ce qui la dérange le plus parmi ces idées fausses ? “C’est que toutes lesfemmes sont opprimées et malheureuses dans notre monde. C’est complètementfaux. Les femmes tiennent les rênes chez nous et on peut le voir dans le film.Elles font avancer l’histoire. Ce ne sont pas les hommes qui sont auxcommandes”.
Son mari, dont elle chante les louanges à chaque interview, l’a beaucoupsoutenue. Tout comme ses enfants, bien qu’ils n’aient pas vu le film. “Je nepense pas que les garçons le verront un jour. Ils sont occupés à autre chose”,explique-t-elle. Pour ce qui est de sa fille, “quand le moment sera venu. Quandelle sera amoureuse, sur le point de se marier, ce pourrait être le bonmoment”. Mais, selon ses dires, ses enfants l’ont énormément encouragée et sonttrès fiers d’elle.
Lorsqu’elle aura fini d’accompagner Lemalé et’ Hahalal, elle enchaînera sur unprojet télévisuel qui semble apparenté à Serougim, une série très populaire surles orthodoxes modernes de Jérusalem. “Il faut parler de ce que l’on connaît.Je dois connaître le langage intérieur des gens sur lesquels j’écris”, pointet-elle. “C’est seulement ainsi que l’on construit des ponts”.