Une touche de féminité

Des visages et des secrets”, une exposition de seulement 20 toiles pour dévoiler l’éventail de styles du peintre Reuven Rubin, de l’académisme à l’expressionnisme

rubin (photo credit: avec l'aimable contribution du musee Rubin )
rubin
(photo credit: avec l'aimable contribution du musee Rubin )
Laissez-vous aller à l’imagination : vous passez un après midi à fouiller dans le grenier de votre grandpère. Dans votre souvenir, votre aïeul défunt était un vieil homme bon qui vous prenait sur ses genoux pour vous raconter des histoires quand vous étiez enfant. Et alors que vous flânez parmi les broquilles poussiéreuses que le vieillard a laissées derrière lui, vous tombez sur plusieurs toiles vétustes de femmes, et tout particulièrement de jeunes femmes, très sensuelles voire même érotiques. Immédiatement, vous commencez à vous interroger : qui étaient ces femmes, quand grandpère les a-t-il rencontrées et quelle était la nature exacte de ses relations avec chacune d’entre elles ? Telles sont certaines des questions fascinantes posées par “Des visages et des secrets”, une exposition de peinture unique présentée au musée Rubin à Tel-Aviv. “Des visages et des secrets” dévoile des oeuvres encore jamais montrées jusqu’à ce jour : 20 portraits peints par l’artiste Reuven Rubin en Roumanie, à New York et en Israël dont certains méconnus n’ont été redécouverts que récemment.
L’exposition est accompagnée de révélations au sujet de la vie de celui qui est connu comme l’une des icônes et fondateur de l’art israélien. Dans les grandes lignes, on connaît bien la vie de Rubin : né en 1823 en Roumanie, huitième d’une lignée de treize enfants issus d’une famille pauvre hassidique, il s’établit en 1912 en Palestine ottomane pour étudier la peinture à l’académie des arts Bezalel, à Jérusalem. Puis part étudier les arts à Paris en 1913 avant de passer quelques années en Europe et de partir pour New York en 1922. Il immigre définitivement en Palestine mandataire en 1923. Durant les années 1920, Rubin, de même que d’autres artistes comme Nahum Gutman ou Ziona Tagger, théorisent ce qui sera connu sous le style pictural d’Eretz Yisraël, influencé par des mouvements européens contemporains comme l’expressionnisme ou l’art naïf. Il meurt en 1974 léguant sa maison du 14, rue Bialik ainsi que l’essentiel de sa production artistique à la municipalité de Tel-Aviv. En 1983, son domicile deviendra le siège du musée Rubin.
Des toiles retrouvées d’on ne sait où
Le directeur du musée et commissaire de l’exposition n’est autre que la belle-fille du peintre : Carmela Rubin. C’est elle qui nous a guidés au travers de l’exposition. Et révélé que “ce que nous avons là est une sélection composée de 20 portraits de femmes, parmi lesquels des toiles réapparues que récemment. Elles ont refait surface d’on se sait où. Quelques-unes avaient été vendues ou données pendant les années 1920.
Conséquence : une confusion chronologique. Cette peinture, par exemple, Une femme hiérosolymitaine, avait été montrée pour la première fois lors d’une exposition à Paris en 1926. On avait certes pu la contempler grâce à une reproduction en noir et blanc prise dans les années 1920, avant que Rubin ne la vende. On se doutait qu’elle devait se trouver quelque part, et voilà qu’elle a refait surface il y a deux ans lors d’une vente aux enchères en France. Achetée par un marchand d’art qui l’a revendue lors d’une vente à Sotheby’s à New York. Acquise alors par un collectionneur important qui la cède au musée pour l’occasion.
On déambule jusqu’au portrait d’une jeune femme qui semble avoir été peint par Vermeer. Carmela Rubin commente le tableau : “Ceci est le portrait de Sheva peint en 1914, le premier amour de Rubin pendant ses jeunes années en Roumanie. Ils voulaient se marier, mais le père de la jeune fille n’était pas enthousiaste à l’idée à cause de son activité artistique et qui plus est, du fait qu’il était sioniste. Le regard et l’émotion qui se dégagent du portrait sont dignes d’un vieux maître. Je trouve cette toile époustouflante.
Et quand elle a refait surface, je savais que je désirais ardemment qu’elle fasse partie de notre collection.
Je connaissais l’existence de cette peinture et j’espérais trouver quelqu’un qui aurait voulu l’acheter et être assez généreux pour la concéder au musée.”
L’attirance du maître pour ses sujets
Rubin parle avec engouement de sa chasse aux oeuvres d’art perdues de longue date : “C’est merveilleux de voir ces peintures refaire surface, tout particulièrement pour les connaître grâce à leurs reproductions en noir et blanc, et tout à coup la peinture réapparaît. C’est une chose très importante pour moi.”
Quand nous lui demandons si, à sa connaissance, il y a encore des toiles de son beau-père dont elle ignorait l’existence, Rubin répond : “Probablement, mais pas beaucoup.
Nous sommes déjà en possession d’une liste répertoriant environ 8 000 peintures à l’huile. Il a commencé à peintre dès son plus jeune âge pour continuer jusqu’à ses vieux jours. Il vivait de la vente de ses peintures, c’est pour cela qu’on les retrouve un peu partout dans le monde entier : en Amérique, bien entendu, en Europe, en Amérique du Sud et même à Hong Kong. Il existe aussi deux peintures de Rubin dans la collection du Vatican, et un membre royal de la couronne de Jordanie en détient quelquesunes.
On est parfois surpris du lieu où certaines peintures peuvent se trouver.”
“A l’étage, ici au musée, on trouve également une petite exposition de clichés en noir et blanc des portraits de femmes pour lesquelles nous possédons de la documentation sans savoir pour autant où ils se trouvent. Mais soudainement, ces peintures refont surface, et vous ne savez jamais quand, où et pourquoi. Elles refont juste surface.”
Et quand cela arrive, elles apportent avec elles leur lot de surprises. L’identité de la jeune femme représentée dans Jeune fille avec plante en pot ne sera sans doute jamais dévoilée, or l’attirance érotique, peut-être même romantique, de l’artiste envers son sujet est évidente. Le teint hâlé, plantureuse et seins nus, elle se tient au milieu des dunes de Tel-Aviv, tenant une fleur. Une peinture qui n’est pas sans rappeler un autoportrait bien connu de l’artiste.
Le recourt au même motif et au même fond pousse Carmela Rubin à penser que son beau-père devait entretenir une relation avec cette femme, qui qu’elle ait pu être.
En ce qui concerne la sensualité flagrante, elle note : “Bien que la femme soit évidemment féminine, Rubin n’est jamais exclusivement érotique. Il narre aussi l’histoire de l’expansion de Tel-Aviv. Il nous dévoile cette Terre promise. Et le sujet donne l’impression d’être parfaitement à l’aise dans cet environnement, vraiment enracinée.”
Jeunes filles en fleurs et portraits de dames
Autre représentation, celle d’une autre jeune femme inconnue, supposément originaire de Safed dans Près de la Soucca. L’artiste donne presque l’impression de vénérer cette jeune femme voluptueuse alors qu’elle, assise, fixe d’un regard irascible le spectateur, peut-être l’artiste luimême.
Pareillement, Sophie, une Juive de Boukhara est le portrait d’une jeune fille d’un air maussade du quartier Boukhara de Jérusalem, une main chargée d’un pot de fleurs, l’autre posée sur sa hanche. Elle fait la moue alors qu’une robe transparente recouvre son corps jusqu’au cou.
L’oeuvre la plus fascinante de l’exposition reste sans doute Portrait d’une dame, peinte alors que l’artiste se trouvait encore en Roumanie juste avant de faire son aliya. Il s’agit du portrait (de la tête à la nuque) d’une jeune femme dont la vue obsédante s’infiltre tout simplement dans votre esprit pour ne plus en ressortir. On se demande qui elle était et quel a été son destin durant les années agitées qui allaient suivre.
D’autres femmes représentées dans ces portraits sont connues. On trouve, par exemple, deux peintures des acolytes de l’artiste comme Ziona Tagger, son amie et collègue pendant les années 1920, elle aussi figure majeure des pionniers de l’art israélien.
Née juive sépharade sous l’occupation ottomane, Tagger est la première femme artiste ayant joui d’une réelle envergure. Alors que d’autres se sont arrêtées de travailler après leur mariage, Tagger préféra divorcer de son mari pour pouvoir rester fidèle à sa vocation.
La commissaire d’exposition Rubin se souvient en riant : “Il y a des années de cela, alors que je préparais une exposition au musée de Tel-Aviv sur les peintures de Ziona Tagger, elle me dit : “Carmela, pourriez-vous me rendre un service ?” Je lui ai rétorqué : “Lequel ?”, et elle : “Vous n’êtes pas sans savoir que Rubin a tiré mon portrait il y a quelques années” alors je lui ai répondu que bien entendu je le savais, “et saviez-vous que Rubin voulait m’en faire cadeau ?”, j’ai répondu que non, ça je ne le savais pas et j’ai ajouté “pourquoi ne l’avez-vous pas accepté ?”. Alors elle m’a répondu : “je ne l’aimais guère à l’époque, mais maintenant j’aimerais l’avoir.”
A cette période, la peinture appartenait à la collection de la compagnie des assurances Phoenix. Donc je lui ai répondu : “Ziona, il est un peu tard maintenant.”
Esther : la femme, pas le modèle
D’après Carmela Rubin, deux peintures, et seulement deux, représentent la femme du peintre, Esther. Elle ajoute : “Nous possédons un grand nombre de photographies en noir et blanc de peintures qui n’existent pas. Je crois que Rubin devait repeindre par-dessus. Il n’était tout simplement pas très sûr de lui quand il devait peindre sa femme. Il existait entre eux une sorte de barrière émotionnelle.
Aussi, certaines de ces peintures n’existent pas.”
Esther elle-même ne s’est éteinte que l’année dernière, à presque 100 ans. Sa belle-fille raconte “c’était une Américaine membre des Jeunesses de Judée dans le Bronx.
Elle a remporté un prix pour son essai : Ce que la Palestine représente à mes yeux. La récompense était un voyage en Palestine. Elle a rencontré Rubin à bord du bateau en route pour Israël. Et elle décida de rester avec lui. Ses parents croyaient qu’elle partait pour trois mois, finalement elle est restée 80 ans.”
Bien que composée de seulement 20 peintures, l’exposition “Des visages et des secrets” présente une large variété de styles et d’émotions. Et Carmela Rubin de conclure : “C’est une petite exposition mais ce sont des peintures “netto”, coupées de toute politique ou théorisation.
Des toiles de qualité qui laissent entrevoir l’éventail stylistique de Reuven Rubin, de l’académisme à l’expressionnisme en passant par le symbolisme et l’art naïf.
Pris dans son ensemble, c’est un spectacle très photogénique.”
Expo Rubin vivait de la vente de ses peintures, c’est pour cela qu’on les retrouve un peu partout dans le monde entier.“Des visages et des secrets”, jusqu’au 15 février au musée Rubin au 14, rue Bialik à Tel-Aviv.Informations : le 03-525-5961 ou www.rubinmuseum.org.il