A quoi joue Israël avec l’Iran ?

Jérusalem menaçait de frapper Téhéran dès le mois d’avril. A la mi-juillet, toujours pas d’attaque. Bluff ? Stratégie ? Analyse géopolitique

Iran (photo credit: Reuters)
Iran
(photo credit: Reuters)

4 juin 2012, couverture du magazine allemand Der Spiegel. D’austères photos duPremier ministre Binyamin Netanyahou et de la chancelière Angela Merkel surfond d’un sous-marin. Titre de l’aticle : “Le déploiement israélien de missilesnucléaires sur des sous-marins allemands”. Dans le papier, on pouvait lire :“Enfouis à l’intérieur, sur les ponts 2 et 3, les sous-marins contiennent unsecret connu de quelques Israéliens seulement : des ogives nucléaires,suffisamment petites pour être montées sur des missiles de croisières, maisassez explosives pour lancer une attaque nucléaire aux conséquencesdévastatrices”.

Et de continuer sur le même ton dramatique : “C’est l’un des secrets les mieuxgardés de l’histoire militaire moderne. Quiconque en parle ouvertement enIsraël encoure le risque d’une longue peine d’emprisonnement”. Plus de doute, martèle le magazine, “avec l’aide de la technologie maritime allemande,Israël a réussi à se créer un arsenal nucléaire flottant : des sous-marins à lacapacité nucléaire”.

Doit-on qualifier cette “révélation” de gigantesque scoop ? Netanyahou etMerkel devaient-ils s’en trouver embarrassés ? Les ennemis d’Israël en ont-ilstiré des renseignements classés secrets ? Un débat en Allemagne exigeant queBerlin cesse la coopération maritime avec Israël en a-t-il découlé ? Lesintérêts israéliens ont-ils été endommagés ? Non. Pas du tout. En réalité, ilse dit en Europe que Jérusalem n’aurait pas pu rêver d’un meilleur scoop. Lepapier a créé le doute dans l’esprit des Iraniens : l’Etat hébreu a-t-il bel etbien cette capacité de seconde frappe nucléaire ? Semer le doute dans l’espritde l’ennemi est toujours une bonne chose.
L’article du Spiegel pourrait bien être une pièce du gigantesque puzzle mis enplace par Israël ces derniers mois. L’objectif ? Donner l’image d’un pays qui, si l’Iran ne cesse pas ses activitésd’enrichissement nucléaire, n’hésitera pas à attaquer. Cette impression s’estcréée dans un roulement de tambours permanent orchestré depuis le début del’hiver dernier et alimenté par toute la classe politique israélienne. Duprésident Peres à Netanyahou au ministre de la Défense Ehoud Barak, en passantpar différents ministres régaliens et autres fuites de “hauts cadres”.
Le Premier ministre a comparé la menace nucléaire iranienne à la Shoah, tout ensoulignant que désormais, Israël était capable de se défendre. Barak a parléd’une “zone d’immunité”, ce laps de temps au cours duquel Israël pouvaitattaquer la République islamiste avant que celle-ci ne fortifie sesinstallations, rendant les frappes ineffectives. Et Peres avait déclaré ennovembre dernier que les chances d’une offensive militaire étaient plus grandesque celles d’une négociation diplomatique.
Du bluff ?

Tout ceci se passait avant même que l’Agence internationale del’Energie atomique (AIEA) ne publie un rapport en décembre, affirmant quel’Iran accélérait son programme d’enrichissement d’uranium. Et cette atmosphèrebelliqueuse a rendu plausible l’hypothèse d’une attaque imminente lors de lavisite de Netanyahou à Washington, au printemps.

Des gens très sérieux, comme le secrétaire à la défense américain Leon Panetta,ont parlé d’une probable attaque israélienne en “avril, mai ou juin”.
Avril est venu, puis reparti, tout comme mai et juin. Et nous voilà à lami-juillet, sans attaque. Ce qui ne veut pas dire que cela n’arrivera pas, maispour l’heure, ce n’est pas encore arrivé.
Dès lors, la question se pose : une attaque était-elle vraiment prévue ou toutceci n’est en réalité qu’une tactique pour faire pression sur la communautéinternationale et l’encourager à prendre des sanctions au plus vite ? Cetteinterrogation était contenue dans une question posée à Ehoud Barak par lemagazine Time, au cours d’une interview publiée la semaine dernière sur sonsite Internet : “Israël a fait un travail de maître pour placer la questioniranienne sur le devant de la table internationale, en particulier en décembreà l’occasion de la publication de l’Agence internationale pour l’Energieatomique”, déclare le Time. “Mais vous ne pouvez rester crédibleséternellement, n’est-ce pas ? Cette pression ne devient-elle pas plusimportante que l’attaque en elle-même ?”. En d’autres termes, on ne peut crierau loup qu’un temps.
Ensuite, il faut soit le tuer, soit risquer de perdre sa crédibilité. Le Timetenait là quelque chose d’intéressant.
Dans certaines capitales européennes- clés, on commence à chuchoter en effet qu’Israëlpourrait bien bluffer. Même si on admet que le bluff est constructif parce queles Iraniens sont dans le doute, et que les déclarations belliqueuses deJérusalem les ont poussés à la table des négociations avec le groupe des 5 + 1: Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne.
On se dit encore que les Américains ne veulent pas d’une attaque avant leursélections, en novembre, et qu’Israël ne se lancera pas sans l’appui de sonallié. Les sondages montrent en effet que les Israéliens ne sont pasenthousiastes à l’idée d’une offensive sans le soutien américain. Seuls 45 %des interrogés pour une étude du Jerusalem Post en avril s’y déclaraientfavorables.
Or, croient toujours savoir ces mêmes Européens, si une attaque n’est pas populairedans l’Etat hébreu, Netanyahou, le plus doué des politiciens israéliens, nerisquera pas sa réélection et donc, n’attaquera pas.
Toujours selon les mêmes estimations, les Iraniens sont arrivés aux mêmesconclusions de leur côté quand, en particulier, des différences importantessont apparues entre Jérusalem et Washington lors de la visite israélienne.
Certains vont jusqu’à dire que c’est pour cette raison que Téhéran s’est montrépeu flexible pendant les négociations avec les grandes puissances, persuadéd’avoir du lest. Mais la perspicacité des Iraniens n’a pas été sans défaut jusqu’à présent.
La stratégie de Téhéran s’effrite

L’ambassadeur britannique en Israël, MatthewGould, a récemment déclaré au cours d’une réunion que le groupe des 5 + 1 avaitfait preuve d’une impressionnante unité entre ses membres, y compris la Russieet la Chine. Si l’Iran pensait pouvoir détacher les Russes et les Chinois dureste du bloc, il s’est fourvoyé, a continué l’ambassadeur.

Les grandes puissances ont présenté un front uni.
Des sources proches des négociateurs o n t rapporté que la Russie est bel estbien frustrée par les positions iraniennes. Si elle a clairement exprimé desdoutes quant aux sanctions imposées envers Téhéran, elle n’en a pas moinscoopéré dans le cadre des négociations. Dans la rivalité américano-russe, laRépublique islamique n’est pas la Syrie. Le soutien de Moscou à Damas est eneffet largement attribué à son bras de fer habituel avec Washington. Les Russessoutiennent Assad, en partie parce qu’ils ne veulent pas s’associer à desstratégies établies par d’autres puissances occidentales, mais surtout parcequ’ils ne veulent pas de changement de régime en Syrie.
Mais pour l’Iran, la situation est différente ; Moscou s’est montrée plus coopérativeque prévu sur le dossier.

Une attitude qui a, en retour, influencé les Chinois. La Russie et la Chine onten effet, selon toute vraisemblance, un “accord de partage du pouvoirinformel”. Ce qui mène Moscou à suivre Pékin en ce qui concerne la Corée duNord et Pékin à suivre Moscou sur le Proche-Orient.

En plus de compter sur la dissidence sino-russe, les Iraniens avaient égalementl’air de croire qu’avec la crise de la dette européenne, ces pays nemaintiendraient pas la décision, prise plus tôt dans l’année, de soumettre lepétrole iranien à un embargo. Mais, surprise, l’embargo a bel et bien priseffet, à partir du 1er juillet. Ces sanctions, selon l’ambassade britannique,devraient coûter 8 milliards de dollars par trimestre à la République islamique.
Pour en revenir à la question du Time Magazine, voici la réponse d’Ehoud Barak: “Je ne sous-estime pas notre contribution”, a répliqué le ministre de laDéfense.

“Probablement qu’indirectement, nous avons eu une certaine influence sur laclarté de position de la communauté internationale. Et je crois que sur leterrain, les Iraniens réagiront à une combinaison de carottes et de bâtons”.

Problème pour Israël : le seul à avoir agité un “gros bâton” au cours desdernières négociations n’est autre que l’Etat hébreu. Or, comme l’a récemmentformulé un diplomate israélien, les Iraniens ne cesseront leurs activités quelorsqu’ils seront persuadés de l’imminence d’une attaque militaire. Qu’ilsn’aient toujours pas changé de cap, ou ne se soient pas montrés plusconciliants, prouve qu’ils ne sont toujours pas convaincus.

La question reste de savoir si Israël est sur le point d’attaquer. Car pourl’heure, Netanyahou et d’autres membres du gouvernement ont beau critiquer lesnégociations entre le groupe des 5 + 1 et Téhéran, ils n’ont notoirement pasencore appelé à les saborder.