A quoi ressemblera la nouvelle Syrie ?

Avec Assad, Israël savait à quoi s’en tenir. Mais peut-on en dire autant de ceux qui prendront sa place ?

syrie (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Al’instar de tous les autres États du Moyen- Orient touchés par ce que l’on appelle le “Printemps arabe”, les rebelles syriens opposés à leur régime totalitaire souffrent d’un manque de leadership. Mais pire encore : ils sont exempts d’une idéologie politique commune.
Ce qui rend pratiquement impossible de prédire l’identité et le comportement des successeurs du président Bashar Assad si ce dernier devait être déchu.
De telles défections n’existaient pas lors des révolutions démocratiques d’Amérique du Nord et d’Europe aux 18e et 19e siècles. Au contraire. Les révolutions américaine et française ont été inspirées par un panthéon de philosophes comme Descartes, Rousseau ou Locke. Et dirigées par des personnalités comme Jefferson et Montesquieu. Qui peut se targuer d’être leur digne héritier, dans le monde arabe d’aujourd’hui ?
 Les adversaires d’Assad aspirent simplement à supplanter le gouvernement de Damas, à réduire à néant son dispositif de renseignements, ses forces armées et ses compatriotes minoritaires alaouites.
S’ils réussissaient, le pouvoir reviendrait à la majorité sunnite, tandis que les minorités - en particulier les chiites et alaouites - seraient probablement animées d’un désir de vengeance. En d’autres termes, un vrai bain de sang en perspective.
L’un des pires scénarios serait de voir les Frères musulmans de Syrie prendre le contrôle du pays, à l’image de leurs homologues égyptiens au Caire. Leurs membres et dirigeants sont les partenaires les moins à-même de parvenir à la paix avec Israël.
Il n’est pas surprenant que le principal soutien tactique et logistique d’Assad provienne de son allié régional le plus proche, la République islamique d’Iran.
Quiconque a visité Damas depuis la révolution iranienne de 1979 n’a pu manquer d’être frappé par le gigantesque bâtiment de l’ambassade iranienne. Et depuis, la Syrie constitue pour le Régime des Mollahs un point d’ancrage au sein du Moyen- Orient. Ainsi, les cerveaux du terrorisme iranien ont pu allègrement transférer de grandes quantités d’armement destinées à la guérilla du Hezbollah libanais et à ses homologues palestiniens, aux hommes armés du Hamas de la bande de Gaza, soit par voie aérienne via l’aéroport de Damas, soit par voie terrestre en direction du Sud-Liban et d’autres canaux détournés jusque Gaza. Des organisations, qui à leur tour constituent une menace permanente pour l’Etat juif, non seulement en paroles, mais aussi en actes.
Cette active implication iranienne a poussé les Israéliens à réfléchir à deux fois avant de lancer des opérations militaires qui pourraient débarrasser une bonne fois pour toutes la région du Hezbollah et du Hamas. Des opérations israéliennes massives pourraient inciter Téhéran à propulser ses missiles sol-sol de moyenne portée en direction de Tel-Aviv et d’autres sites densément peuplés. Sans parler d’une attaque iranienne sur d’importantes installations militaires. Dans les deux cas, le bilan des victimes serait tragique.
Aide non grata
 D’autre part, Israël est en proie à un dilemme moral depuis les affrontements entre militants et forces militaires en Syrie. Face aux sombres statistiques qui s’égrènent de l’autre côté de la frontière nord, les organismes humanitaires, tels que Magen David Adom, se sont vus refuser une assistance médicale d’urgence. La raison sous-jacente : une aide de la part de l’Etat juif pourrait embarrasser (!) les destinataires. Elle sous-entendrait pour ces derniers une alliance avec les Israéliens tandis qu’Assad incarnerait l’emblème de la position antisioniste affichée par la Syrie depuis la nuit des temps.
La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a fait preuve de courage politique et de vision diplomatique lorsqu’il a contacté le Comité international de la Croix-Rouge pour lui proposer de servir d’intermédiaire à l’aide israélienne. Aucune réponse immédiate pourtant. Cette initiative humanitaire intervient un an après le début du soulèvement syrien. Difficile de croire que les médicaments et équipements médicaux envoyés vers la Syrie via la Croix-Rouge seraient identifiables comme provenant de l’Etat juif, généralement perçu par les Syriens comme leur ennemi juré.
L’une des énigmes des décideurs politiques israéliens reste de savoir si les successeurs potentiels d’Assad seront de meilleurs voisins que lui et ses partisans alaouites, sans parler des minorités chiites et des Chrétiens qui le soutiennent.
Nul moyen pour les Israéliens de prévoir si le nouveau régime acceptera de négocier un traité de paix et d’accepter une sorte de compromis stratégique sur le plateau du Golan annexé en 1967 et aujourd’hui peuplé d’implantations juives.
Impossible non plus de négliger le fait qu’Assad et son prédécesseur, Hafez El-Assad (feu son père), ont scrupuleusement respecté l’accord de cessez-le-feu négocié via médiation américaine en 1974.
L’establishment israélien se trouve aujourd’hui devant une nouvelle préoccupation tactique majeure.
Certains font preuve de cynisme devant la compassion grandissante en Israël pour les victimes civiles syriennes dans les quartiers résidentiels de Homs, Hama, Deraa et Idlib, et l’indignation devant les tirs aléatoires contre des manifestants à Damas même.
Gideon Levy, d’Haaretz, ardent sympathisant du sort des Palestiniens en Judée-Samarie, a exprimé sa sympathie pour les victimes et son profond regret de ne pouvoir leur porter secours.
Belle preuve de son appartenance au peuple juif, “progéniture miséricordieuse des miséricordieux”, mais qui ne peut évidemment pas faire le poids face aux vicissitudes de la realpolitik régionale.
 L’auteur est un correspondant étranger de longue date.