“France et Israël doivent porter l’idée d’universel”

Depuis 2008, il est ambassadeur en charge pour les droits de l’Homme. Rencontre avec François Zimeray lors d’un récent passage en Israël

Zimeray (photo credit: DR)
Zimeray
(photo credit: DR)
‘Je ne suis pas un prophète des droits de l’Homme”, précise-t-il avec beaucoup d’humour, mais “en charge” de leur défense à l’extérieur de la France. Politicien, militant, humaniste actif sur le terrain, François Zimeray a effectué plus de 100 missions dans des prisons, des lieux de conflits comme la Colombie, la Tchétchénie, Bagdad, le Darfour, le Congo, le Vietnam (quant à la Syrie, il restera évasif). Il veille aussi à ce que les ambassades soient de véritables maisons des droits de l’Homme. Il était en visite en Israël, la semaine dernière, l’occasion de mieux faire connaissance avec ce diplomate français, relativement discret.
■ De prime abord, pouvez-vous nous dire ce qui vous amène en Israël ce mois-ci ? Est-ce pour le compte de “People’s Voice”, une association pour la paix que vous souteniez jadis, ou bien en tant qu’ambassadeur en charge des droits de l’Homme que vous êtes en mission ici ? 
C’est la première fois depuis les printemps arabes, donc il y a plus de deux ans, que je me rends en Israël. Mon but est ici de rétablir le contact avec tous les acteurs des droits de l’Homme, la défense des migrants, des minorités. Avec les autorités, et les protagonistes en charge des intérêts d’Israël aux Nations unies, que je vais rencontrer aujourd’hui. Mais mon voyage est surtout motivé par le désir de rencontrer des étudiants israéliens. Je me suis rendu sur les campus de Jérusalem, Beersheva et Netanya.
■ Pourquoi des étudiants ? 
Pour leur témoigner de ce que j’ai observé ces deux dernières années au contact des jeunesses yéménite, libanaise, syrienne, libyenne, tunisienne, algérienne, marocaine. Des jeunes gens, qui comme eux, pensent “dialogue, tolérance, modernité”, qui n’ont pas manifesté contre les Etats-Unis ou Israël, et qui parfois prennent de grands risques pour défendre les minorités, y compris les Juifs. Une jeune Tunisienne, un exemple de courage et de tolérance parmi d’autres, a monté une association de défense des minorités. A 24 ans, elle prend position publiquement pour défendre des Juifs. Ces jeunes-là portent nos espoirs, ceux d’un monde nouveau, plus tolérant, moins prisonnier des schémas et des préjugés. Je ne suis pas naïf, cette jeunesse arabe ne constitue pas la majorité, il y a aussi les islamistes, il y a aussi les salafistes. Mais depuis quand faut-il qu’un mouvement soit majoritaire pour être admiré et encouragé ? C’est justement parce qu’ils sont minoritaires qu’il faut les reconnaître ! J’ai voulu donner ce message à la jeunesse israélienne, car ce n’est ni une croyance, ni une opinion, mais un témoignage. J’ai d’ailleurs rencontré des jeunes, il y a 15 jours, à Rabat, au Maroc. Leur professeur m’expliquait que c’était pour lui un devoir d’enseigner la Shoah et que cela se passait très bien. Ils ne représentent pas l’ensemble du corps social de leur pays, mais ils existent, et c’est important de le souligner/de le dire. J’ai toujours été frappé en parlant avec mes amis israéliens du fait qu’ils voient le monde comme un bloc hostile, qui ne les comprend pas et ne les aime pas. Cette perception ne correspond pas à la réalité que je vois dans mes différents voyages. Il est important que s’établissent des liens, par-delà les Etats, entre les sociétés civiles. J’ai dit aux Israéliens qu’ils devaient évacuer cette peur, les choses ne sont pas blanches ou noires. Je comprends les craintes devant l’évolution politique de certains Etats, mais l’inquiétude n’est pas le meilleur des guides, il y a aussi des choses très positives comme des femmes qui se battent à mains nues pour que leurs droits ne soient pas violés.
■ Quelle est votre conclusion sur les printemps arabes ? Ne souffrez-vous pas d’une certaine déception ? 
Je n’aime pas cette expression. Elle est doublement fausse : ce “printemps” ressemble parfois à un hiver glacial et il n’est pas “arabe” non plus, car c’est précisément la dimension non arabe de ce mouvement qui est intéressante, une volonté de partager les fruits de la modernité de la démocratie. Certains prétendent que ces principes seraient occidentaux et que les peuples qui n’auraient pas les mêmes valeurs et la même culture n’en auraient pas l’aspiration. Les gens pensaient que les peuples arabes n’étaient pas prêts pour la liberté. Les événements nous ont prouvé le contraire.
■ Concernant Israël, vous militiez jadis obstinément contre la corruption du gouvernement palestinien et d’Arafat. Le feriez-vous aujourd’hui ? 
Mes combats passés, je ne les regrette pas mais je ne me suis jamais battu pour un camp contre un autre. Seulement pour des principes. L’Autorité palestinienne est beaucoup plus rigoureuse et n’a rien à voir avec cette époque où on payait les salaires en liquide. Je respecte beaucoup Salam Fayyad. Il faudrait beaucoup d’orgueil pour apporter mon grain de sel et dire ce qu’il faut faire.
■ Vous avez rapidement énoncé le mot “immigrés” au début de notre entrevue, êtes-vous ici pour dénoncer les conditions de vie des migrants en Israël ? 
Toutes les démocraties sont perfectibles, la nôtre aussi. La France n’a pas de leçons à donner au monde, mais une expérience à partager. Israël est aussi confronté aux drames des migrants.
■ Vous avez déclaré que ceux qui se disent exclusivement “pro-palestiniens” ou “pro-israéliens” sont des salauds, vous le répéteriez aujourd’hui ? 
Je précise, je désignais ceux qui ne seraient “que pour l’un contre l’autre”. Ce dont on a besoin, c’est de gens qui soient capables de se mettre à la place de l’autre.
■ Vous ne pensez pas que c’est un peu ainsi que tout le monde se définit dans le conflit israélo-palestinien, choisir son camp n’est-il pas le propre d’un état de guerre ? 
Oui, et c’est justement là le problème. On ne peut pas être l’un sans l’autre. Mais rectifions, je parle dans un contexte européen ou français. Je comprends bien qu’un Israélien ou un Palestinien prenne parti pour son “camp”. Ils pensent à leurs intérêts et les défendent âprement. On a le droit à la subjectivité. Cependant, le monde extérieur a le devoir de ne pas mettre de l’huile sur le feu, surtout quand on est né épargné par le conflit. Je parlais là des tiers, des gens “normaux”, comme dirait Coluche, lorsqu’il déclarait : “je suis un mec normal moi, ni juif ni arabe” ! Prendre position pour l’un, contre l’autre, n’aide pas. Le poison du conflit, c’est son appropriation.
■ Que pensez-vous de l’antisémitisme, mieux connu sous le nom d’antisionisme d’extrême gauche, en France, et de son avenir ? 
J’ai été un des premiers à dénoncer cet antisémitisme des “extrêmes” qui se cache parfois à droite, d’autres fois à gauche. Je suis très content que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls le dise avec des mots très clairs, il dénonce aussi l’antisémitisme de gauche, il n’a aucun tabou là-dessus.
■ La visite de Binyamin Netanyahou en France et le discours de François Hollande à Toulouse semblent marquer une charnière dans les relations franco-israéliennes. Est-ce la promesse d’un tournant dans la politique étrangère française au Moyen-Orient ? 
La France et Israël sont unis contre l’antisémitisme. Le gouvernement français est prêt à agir, je peux en témoigner. Mais selon moi, la communauté juive court le danger encore plus grave que l’antisémitisme, celui de la tentation du repli sur soi, de la fermeture aux autres, de la peur. Alors que le judaïsme est fondamentalement une pensée universelle, tournée vers les autres. Les cultures française et juive ont ceci en commun d’avoir toutes deux porté l’idée d’universalité au cours de l’Histoire. Et le repli sur soi est une façon de tourner le dos au monde, à l’universel, et donc aux valeurs profondes du judaïsme. Nous sommes rentrés dans un monde nouveau, lourd de menaces, avec des défis inédits, le réchauffement climatique, l’urbanisation, les nouvelles technologies avec leurs apports et leurs menaces sur les libertés. Ce monde pose de nouveaux défis à la dignité humaine. La vocation profonde du peuple juif est d’éclairer le débat, à la lumière de son Histoire, de sa vieille sagesse.
■ Quels sont vos projets futurs ? 
Continuer ! Je serai bientôt au Cameroun, au Bahreïn, à New York pour présenter l’action de la France sur les enfants soldats.