“J’ai fait un mauvais rêve...”

La haine de soi d’un jeune Juif vient d’être récompensée. Son essai anti-sioniste a reçu le Prix d’écriture Martin Luther King. Alors que le leader noir était connu pour ses positions pro-israéliennes

Martin (photo credit: Reuters)
Martin
(photo credit: Reuters)
La haine de soi d’un jeune Juif vient d’être récompensée. Son essai anti-sioniste a reçu le Prix d’écriture Martin Luther King. Alors que le leader noir était connu pour ses positions pro-israéliennes La blogosphère antisioniste doit se pavaner : le Prix d’écriture Dr Martin Luther King Jr vient d’être décerné à un lycéen juif, hissé au rang de héros pour refuser de soutenir Israël. Il se compare - lui et son peuple - aux “oppresseurs” ultraréactionnaires sudistes de Luther King. Et va même jusqu’à écrire : en tant que Juif pro- Israël, “j’étais systématiquement mis dans le même sac que les suprématistes raciaux. Je faisais partie d’un groupe qui se permettait de tuer tant en faisant l’éloge de sa propre intelligence et de sa raison.”
Son essai : Défendre un combat interdit : Comment j’ai arrêté de couvrir un mal caché*, s’est vu décerner le premier prix ex aequo de la catégorie Prose lycéenne du concours annuel du Collège Dietrich de l’université Carnegie Mellon. Ce laïus pompeux et brouillon aurait consterné Martin Luther King, qui, lui, avait déclaré : “Quand les gens critiquent les sionistes, ils visent les Juifs. C’est de l’antisémitisme.”
Carnegie Mellon devrait se démarquer et dissocier le nom de l’illustre Martin Luther King de la décision politisée d’honorer un travail qui trahit l’engagement de King dans la lutte contre le sectarisme.
Malheureusement, cet essai est un prototype de raisonnement paresseux et d’analogie erronée qui jettent souvent un sombre nuage dans tout débat sur Israël.
Le papier commence, dans un pur style Woody Allen, par qualifier le judaïsme de “religion qui permet aux croyants de penser que nous sommes le meilleur peuple du monde - tout en nous apitoyant sur nous-mêmes.” Fort de cet argument, l’élève déforme l’action militaire israélienne dans ce qui semble l’opération Plomb durci, un détail omis par l’auteur. Accusant Israël de “génocide”, il prétend que les Juifs ont décrit “la situation en termes étonnamment neutres”, se cachant derrière des formulations comme “c’était une situation ‘difficile’.”
Qui parle de race ?
 Non content d’avoir utilisé le terme de génocide à mauvais escient - génocide signifiant le massacre de millions de gens désarmés, et non échanges de tirs avec un ennemi armé, entraînant des pertes limitées - il tente ensuite de charmer ses lecteurs en introduisant le mot de quatre lettres “race” : “Après une nouvelle série de meurtres... j’ai demandé à deux de mes amis fervents supporters d’Israël ce qu’ils pensaient.‘Nous devons défendre notre race’”, m’ont-ils dit. “C’est notre droit.”
La plupart des éducateurs reconnaîtront le caractère démesuré d’une telle citation. Je n’ai jamais rencontré de Juif moderne, a fortiori un adolescent, qui parle de défendre la “race” juive - le peuple juif, peut-être. Le terme de “race” est mort avec Hitler. Si l’étudiant avait affirmé que ses amis ont invoqué la Shoah ou tenu des propos zélotes sur les Palestiniens, j’aurais tiqué, mais jugé cela plausible. Cette citation peu convaincante, de source inconnue, décrédibilise l’essai, et dans la foulée le jugement du jury.
L’élève décrit ensuite une visite à la synagogue. Après un “solo de violoncelle de dix-sept minutes”, pendant la séquence questions-réponses du rabbin, le jeune demande au maître comment il peut “soutenir Israël... qui laisse son armée commettre tant de meurtres ?” Réponse présumée du préposé : “C’est une chose terrible, n’est-ce pas ? Mais nous ne pouvons rien y faire. Cela fait partie de la vie.”
J’espère que le rabbin va réagir et s’empresser de préciser qu’il a lui aussi mal été cité. Certes, il existe sans doute des rabbins incompétents qui répondent à des bravades sur Israël par de telles tergiversations ineptes. Mais sont-ils si nombreux ? Certains critiques accusent les étudiants de subir un lavage de cerveau pour bien incruster dans leur esprit la phrase “Israël est parfait”. Cet essai reflète le problème inverse. L’élève affirme : “J’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’ont tenté de m’imposer aucun système de croyance.” Trop de rabbins, éducateurs et parents sont si ignorants, si baignés dans l’ambiguïté, qu’ils sont incapables d’expliquer pourquoi Israël n’a pas eu d’autre choix que d’entrer à Gaza suite à un retrait unilatéral, après avoir essuyé des milliers de roquettes. Tant de Juifs américains ont l’esprit moral trop confus pour détailler les tentatives de l’Etat juif de limiter les pertes civiles dans son combat contre des terroristes camouflés derrière des mosquées, hôpitaux, écoles et domaines familiaux.
Epargner les universités
Cet essai renferme tous les clichés de l’attaque antisioniste classique : qualifier le fait d’être le peuple élu d’arrogance, accuser Israël de génocide contre la population palestinienne, définir le conflit en terme de race et non de nationalisme et faire de fausses analogies en vue de diaboliser Israël. Diffusée en masse dans les années 1970, cette formule avait reçu l’approbation de l’ONU après sa résolution de 1975 “Le sionisme est du racisme”.
Qu’un adolescent naïf puisse avaler ce Grand Mensonge, à force de l’entendre, ce n’est pas nouveau. Que ce jeune Juif se sente dans son droit en prétendant que dénoncer Israël est un acte courageux et multiculturel, davantage que politiquement correct et susceptible de remporter un prix, c’est de l’histoire ancienne.
Ce qui est nouveau, c’est la façon dont ce type d’admonestation d’Israël est en passe de devenir une sagesse conventionnelle, en particulier au sein des universitaires comme celle de Carnegie Mellon dont le jury n’a pas su faire preuve d’un discernement bien fondé.
La famille de Martin Luther King n’a rien à voir avec cette profanation.
N’importe qui peut inventer un prix et l’appeler comme il l’entend. Demain, je pourrais, dans mon université, annoncer la création d’un prix de conciliation du terrorisme Noam Chomsky-Yasser Arafat pour moucher les dupes qui déforment le sionisme et calomnient les Juifs. Mais mon université se refusera à ce genre de campagne de relations publiques sous couvert de publicité. J’attends de dirigeants universitaires qu’ils se distancient d’un tel mouvement, tout simplement parce qu’ils ne sauraient mêler leurs institutions à des polémiques.
De même, le Carnegie Mellon devrait avoir honte d’avoir honoré un essai biaisé et inexact pour souiller la mémoire de Martin King et relayer des préjugés.
Utiliser le nom de Martin Luther King pour vulgariser toute forme de fanatisme est troublant en soi. Mais le faire contre Israël est particulièrement consternant.
Rappelons-nous : le 25 mars 1968, peu avant son assassinat, King n’a-t-il pas appelé Israël “l’un des grands avant-postes de la démocratie dans le monde.”
L’auteur est professeur d’histoire à l’Université McGill et membre de l’institut Hartman de recherche à Jérusalem.
Il est l’auteur de Pourquoi je suis sioniste : Israël, l’identité juive et les défis d’aujourd’hui et L’histoire des élections présidentielles américaines (en anglais).
giltroy@gmail.com * Fighting a Forbidden Battle: How I Stopped Covering Up for a Hidden Wrong