La Jordanie au chevet du processus de paix

La Jordanie fragilisée ? Impuissant face aux violences qui ébranlent ses voisins, le roi Abdallah cherche une planche de salut : la relance des négociations de paix israélo-palestiniennes

Vingt-trois ans après la décision du roi Hussein de rompre définitivementses liens avec la Judée-Samarie, son fils replonge aujourd’hui ses mains dansle cambouis du processus de paix israélopalestinien. Le roi Abdallah II veuts’impliquer personnellement dans la relance des pourparlers entre les deuxparties. Une mission pour le moins difficile. La rencontre entre émissairesisraéliens et palestiniens lundi 9 janvier à s’est soldée par un échec selon unmembre de l’OLP. Une précédente réunion, la première depuis l’arrêt desnégociations de paix en septembre 2010, s’était tenue le 3 janvier dans lacapitale jordanienne en présence des représentants du Quartet, afin d’examinerles moyens de reprendre les pourparlers.

Retour en arrière, juillet 1988. Hussein décide de renoncer à touterevendication de souveraineté sur la Judée-Samarie. Une annonce qui intervientsuite à l’échec de l’accord de Londres entre le souverain hachémite et leministre des Affaires étrangères de l’époque Shimon Peres, six mois après ledéclenchement de la première Intifada, et la reconnaissance de Yasser Arafatcomme le représentant légitime du peuple palestinien par la Ligue arabe. Cetaccord aurait permis de conserver à l’ordre du jour “l’option jordanienne” surla Judée-Samarie.
Mais à l’époque, Hussein redoute que les représailles israéliennes contre laviolence de l’Intifada ne conduisent à un exode massif des Palestiniens deJudée- Samarie vers la Jordanie. Ce qui aurait mis en danger la stabilité deson royaume, alors constitué à 60 % d’une population palestinienne. Husseinsouhaite alors envoyer un message clair : si Israéliens et Palestiniens veulentcontinuer à s’entretuer sur les questions territoriales, ce n’est plusl’affaire de la Jordanie.
Les peurs d’Abdallah

Mais à présent, Abdallah souhaite inverser la tendance. Si en 1988, sedésengager du dossier était dans l’intérêt du pays, le Printemps arabe a changéla donne. Depuis son palais d’Amman, Abdallah observe, non sans inquiétude, lenouveau visage du Moyen-Orient. A l’Est, un Irak débarrassé des troupesaméricaines et plongé dans le chaos. Et de se demander avec angoisse quelimpact une éventuelle guerre civile entre chiites, sunnites et kurdes pourraitavoir sur la Jordanie. Au Nord, la Syrie et l’effondrement probable du régimedu président Bachar al-Assad. La relève inquiète non sans raison Abdallah,préoccupé par la possible pénétration de groupes radicaux syriens dans leroyaume hachémite. Et enfin, à l’Ouest, la question palestinienne. Impuissantface aux événements qui ébranlent l’Irak ou la Syrie, il peut en revanchedavantage se faire entendre dans le conflit qui se joue sur sa frontièreoccidentale, entre Israéliens et Palestiniens.

Car ici également, le roi a des intérêts à protéger. La dernière chose dont laJordanie puisse avoir besoin, c’est de se retrouver avec un Etat palestinienfaible, contrôlé par le Hamas, à quinze minutes de distance d’Amman. Soyonsclairs. Un Etat palestinien dirigé par Mahmoud Abbas et l’Autoritépalestinienne est une chose. Mais un territoire sous le joug de l’organisationterroriste palestinienne, servant de base arrière pour les Gardiens de laRévolution iraniens et les éléments djihadistes ayant à coeur non seulement deterrasser Israël, mais aussi le régime jordanien, est une tout autre affaire.Une perspective peu reluisante mais un scénario plausible, objet d’angoissespour la monarchie hachémite.
La Jordanie a son mot à dire sur la destinée de la Judée-Samarie et entend bieninfluer sur le règlement de la question. Une nouvelle flambée de violenceisraélo-palestinienne n’est pas dans l’intérêt du pays. Et pour cause. Cettedernière pourrait non seulement provoquer un afflux massif de réfugiés à sesfrontières, mais aussi des troubles internes à l’intérieur même du royaume. L’absencede pourparlers ferait ainsi le jeu des fauteurs de troubles. Une réalité quiexplique l’implication de la Jordanie dans l’organisation des rencontres entreémissaires israélien et palestinien cette semaine dans sa capitale.
Israël-Jordanie : des intérêts communs ?

A Jérusalem, si personne n’ose l’affirmer publiquement, on estime que lesJordaniens pourraient être intéressés par une présence militaire israélienne àlong terme sur les rives du Jourdain.

Pour Israël, une présence sécuritaire de ce type devra être incluse danstout futur accord afin de créer une zone tampon qui empêcherait des élémentsindésirables de pénétrer et de prendre leurs quartiers dans l’Etat palestiniennaissant.

Pour les Jordaniens, une présence sécuritaire israélienne permettrait égalementde créer une zone tampon qui servirait à bloquer les tentatives d’infiltrationd’éléments perturbateurs en provenance de Judée-Samarie dans le royaume. Selonplusieurs sources israéliennes, Abdallah II demeure dans la même configuration d’espritque de Moubarak encore en règne. Hostile au Hamas et aux Frères musulmans, cedernier n’avait aucun intérêt à maintenir une frontière ouverte entre etl’Egypte. De même, Abdallah, dont les préoccupations font écho à celles del’ex-dictateur égyptien déchu, ne savoure nullement la perspective del’existence d’une frontière poreuse entre la Judée-Samarie et la Jordanie.
Abdallah, en dépit de ses relations peu amicales avec le Premier ministreBinyamin Netanyahou, a donc décidé de prendre les choses en main et de mettretout en oeuvre pour relancer des pourparlers sous les auspices jordaniens. Uncommuniqué, publié par le ministère des Affaires étrangères jordanien,annonçant la tenue de la première réunion israélopalestinienne, témoigne dudegré d’implication du souverain dans l’organisation de ces rencontres. “Lesefforts entrepris par la Jordanie sont basés sur la conviction que la solutionà deux Etats conduisant à la création d’un Etat palestinien indépendant etsouverain, est dans l’intérêt supérieur du royaume”, souligne le communiqué.
Des acteurs de premier plan

L’implication soudaine du souverain jordanien dans le processus de paixtombe à pic. Il se protège ainsi de toute remise en cause de sa légitimité,dont les autres dirigeants arabes ont dû faire les frais. Difficile pour lesPalestiniens résidant dans le royaume hachémite d’attaquer sa légitimité, defaire cause commune avec les islamistes et d’investir les rues pour demanderson départ, si Abdallah oeuvre pleinement pour la défense de leurs intérêts.Ainsi, son engagement dans un règlement du conflit israélo-palestinien pourraitfinalement être un facteur contribuant à assurer sa survie.

Si les pourparlers israélo-palestiniens entamés à Amman ne mènerontprobablement nulle part, l’intervention auprès de la presse du ministrejordanien des Affaires étrangères Nasser Judeh, à l’issue de la premièrerencontre entre les deux parties, montre que les Jordaniens recueillent déjàles premiers bénéfices de ces réunions. Si les observateurs de la Ligue arabeen Syrie se montrent incapables de stopper l’effusion de sang, les Jordanienseux apparaissent comme à même de faire la différence sur le dossierpalestinien.

Alors que les efforts inlassables mis en oeuvre par les Américains et lesEuropéens afin d’inciter Israéliens et Palestiniens à reprendre les pourparlersont été un cuisant échec, les Jordaniens ont su accueillir des pourparlers etfaire asseoir les parties autour d’une même table. Les Jordaniens sont ainsidevenus des acteurs de premier plan. C’est cette image qu’ils ont à coeur deprojeter.

Une posture somme toute pertinente vis-à-vis de l’Occident à l’heure dechangements régionaux tumultueux. Sage tactique que de démontrer son utilité aumonde. Surtout si vous êtes amenés à demander l’aide des pays étrangers, en casde débordements à l’Est avec l’Irak, au Nord avec la Syrie, voire à l’intérieurmême de ses frontières.