L’allié venu d’Afrique

La visite discrète du président Sud-Soudanais, Salva Kiir : un rendez-vous stratégique

Allie venu du sud (photo credit: Avi Ohayon / GPO)
Allie venu du sud
(photo credit: Avi Ohayon / GPO)
Il est arrivé en Israël, coiffé de son chapeau de cow-boy noir. La visite de Salva Kiir, président Sud-Soudanais et chef du pays le plus récent du monde, témoigne clairement d’une alliance grandissante entre Jérusalem et Juba.
Malgré son sol béni, gorgé de pétrole et de richesses naturelles inexploitées, le Sud Soudan est une nation de 8 millions d’habitants qui vivent dans la misère, embourbée dans une dispute de frontière avec son puissant voisin du Nord, qui semble à deux doigts de basculer dans une guerre totale.
En surface, il n’est pas nécessairement le pays le plus précieux avec qui Israël pouvait se lier d’amitié. Le Sud Soudan, majoritairement chrétien, a fait sécession de son voisin musulman au Nord, en juillet, au terme d’une décennie de guerre civile, débutée en 1955. L’Etat hébreu était parmi les premiers à faire sa reconnaissance, quelques heures seulement après sa déclaration d’indépendance.
Kiir, accompagné de son ministre de la Défense et de son ministre des Affaires étrangères pour son premier voyage ici en tant que président, a été chaleureusement salué par les dirigeants israéliens : le président Shimon Peres, le Premier ministre Binyamin Netanyahou, le ministre de la Défense Ehoud Barak et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman.
Peres a fait allusion à l’aide apportée par Israël aux rebelles Sud Soudanais, à la fin des années 1960. Et de rappeler à Kiir, qu’en tant que député et ministre de la Défense, il avait rencontré, à Paris, les dirigeants locaux de son pays en compagnie du Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol : “Nous leur avons apporté une aide importante dans les domaines de l’agriculture et des infrastructures”, a-t-il souligné.
Selon Jimmy Mulla, avocat pour le Sud- Soudan qui réside à Washington, “Israël a aidé le mouvement [rebelle], en lui donnant une éducation”.
Israël, l’ami fidèle
Pour PaanLuel Wel, un blogueur Sud- Soudanais prolifique, également établi à Washington, l’amitié du Sud-Soudan envers Israël se fonde sur les profondes racines chrétiennes du pays, et remonte au début de la rébellion du Sud. “Durant plusieurs années, au moment de la lutte sud soudanaise de 1955 à 1972, l’Etat juif d’Israël a été le principal sympathisant des rebelles sud soudanais et le pourvoyeur essentiel de matériaux physiques comme les armes”, indique-t-il.
Ce n’était donc pas une grande surprise de voir le chef du mouvement, le général Joseph Lagu, parmi les premiers chefs d’Etat internationaux à envoyer un courrier de félicitations à Eshkol, après la guerre des Six-Jours.
Pour les rebelles emmenés par Lagu, écrit Wel, Israël se battait contre l’ennemi qui les persécutait et les discriminait eux aussi.
La prose de Wel permet d’expliquer ce que voulait dire Peres, lorsqu’il a confié à Kiir que leur rencontre était un “moment émouvant et historique”, pour lui et pour Israël. “Israël a soutenu, et continuera à soutenir, votre pays dans toutes les zones afin de le renforcer et de le développer”, at- il déclaré. “Nous savons que vous avez combattu courageusement et avec sagesse pour créer votre pays. Et pour nous, la naissance du Sud Soudan est une étape importante dans l’histoire du Moyen-Orient”.
Selon une déclaration diffusée par le bureau de Peres à propos de la rencontre entre les deux hommes, Kiir aurait confié qu’il était ému d’être en Israël, de “marcher sur le sol de la Terre sainte, et avec moi ce sont tous les Sud-Soudanais.”
Et de rappeler qu’Israël avait toujours soutenu le peuple Sud-Soudanais : “Sans vous, nous n’y serions pas parvenus. Vous avez combattu à nos côtés afin de permettre la création du Sud-Soudan et nous sommes intéressés par votre expérience.
En tant que nation née de la poussière, et en tant que peuple restreint en nombre mais qui a combattu la foule, vous avez bâti un pays prospère qui offre un futur et des perspectives économiques à ses enfants. Je suis venu observer votre réussite.”
Les enjeux du Nil Malgré ces termes très chaleureux, les diplomates de Jérusalem ont déclaré que cette embrassade publique a quelque peu embarrassé Kiir, qui espérait une visite plus retenue, pas trop en vue. Non pas parce que lui ou son peuple ne sont pas pro-Israël. De fait, l’une des images les plus mémorables de 2011, du point de vue israélien du moins, est la publication de photos de Sud-Soudanais célébrant leur indépendance en agitant des drapeaux israéliens en juillet dernier. Mais, Kiir, qui aspire certes à une relation solide avec Jérusalem, préférait garder la visite discrète : il sait que son pays, encore balbutiant, doit faire attention à l’interprétation de ses liens avec Israël, par ses puissants voisins du Nord, l’Egypte et le Soudan.
Et il a raison. Deux jours après la visite, The Sudan Tribute, un site d’information qui traite des affaires soudanaises et africaines, a publié une photo du président déposant une gerbe à Yad Vashem. Et rapporté que le Nord-Soudan s’inquiétait de ce voyage de Kiir en Israël. Par ailleurs, un membre du personnel diplomatique à Jérusalem a assuré que les liens entre Israël et le Sud-Soudan “rendaient fous les Egyptiens”, sur fond de crainte presque conspirationniste : Israël pourrait augmenter sa force d’appui au Caire en détournant les flots affluents du Nil blanc, qui s’écoulent à travers le Sud-Soudan.
Les Egyptiens s’inquiétaient déjà lorsqu’Israël et l’Ethiopie avaient tissé des liens dans les années 1990. La crainte de plans malfaisants israéliens, pour s’accaparer le Nil, reste présente dans le monde arabe, en témoigne le programme diffusé sur Al Jazeera en anglais cette semaine autour de la relation bourgeonnante d’Israël et du Sud-Soudan.
Contrecarrer l’IranDemandez à un diplomate israélien quel intérêt a Israël pour le Sud-Soudan et ils vous diront, s’ils vous répondent, que Jérusalem a à coeur d’aider une nation naissante à se développer, et qu’elle est en mesure d’offrir toutes sortes d’assistance dans les domaines de la technologie, des infrastructures, de l’agriculture et de l’eau.
La seule chose en effet que le bureau du Premier ministre veut laisser entendre, c’est qu’une équipe d’experts sera dépêchée prochainement au Sud Soudan pour déterminer les besoins du pays et les moyens d’Israël pour aider ce pays.
Pour l’heure, les diplomates israéliens ne parlent pas de coopération pour la sécurité, ce qui est évidemment quelque chose que les Sud-Soudanais, déjà impliqués dans des échauffourées avec le Soudan, ont à l’esprit.
Pour Israël, le Sud-Soudan est extrêmement important géographiquement. C’est un pays ami au coeur d’une région où l’Iran tente de pénétrer. Israël s’inquiète des flux d’armes en provenance d’Iran vers l’Egypte, le Sinaï puis Gaza en passant par le Soudan.
De plus, le Sud-Soudan fait partie d’un groupe de pays d’Afrique de l’Est (Ethiopie, Kenya et Ouganda) avec lequel Israël essaie d’entretenir des liens. Chacun de ces pays fait face à des menaces des radicaux islamiques, ce qui suscite l’intérêt d’une collaboration rapprochée avec Israël. Les dirigeants de l’Ouganda et du Kenya étaient tous deux en Israël le mois dernier et Netanyahou est en train de préparer la première visite prolongée d’un Premier ministre israélien en Afrique subsaharienne, depuis 1996. Un voyage au Kenya, en Ouganda et en Ethiopie était prévu en février.
Le Sud Soudan, de son côté, est bien entendu intéressé par une relation militaire comme l’a montré la présence de son ministre de la Défense, mais aussi par le génie civil israélien et son savoir-faire.
Wel le blogueur établit un contraste entre Israël et la Chine d’une part et l’Occident d’autre part. Et d’arguer qu’il ne s’agit pas de néocolonialisme en Afrique. De plus, écrit-il, Israël peut les aider à développer le système d’éducation du pays qui, à cause des politiques d’oppression des différents gouvernements à Khartoum et de la longue guerre civile, est “dans un état pitoyable qui a grand besoin de rénovation”.