Le Printemps arabe, un an après : bilan et perspectives

Plusieurs dictateurs déchus en 2011. Un vent de liberté qui souffle sur le monde arabe. Mais, après l’espoir, l’épreuve de la réalité

printempsarabe (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
1948, 1967, 1979, et aujourd’hui 2011. Des années charnières dans l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, nous assène-t-on. Mais, quels sont ces changements annoncés par les médias et experts de tous bords ? Et ces promesses de liberté et de démocratie ? Bilan.
Printemps ou Réveil arabe ? Le terme le plus souvent associé aux événements qui ont secoué l’année passée, le “Printemps arabe”, ne fournit que peu d’indice sur la réalité du mouvement. Une expression empruntée à la vague de révolte et d’espoir initiée à Prague et écrasée par les chars soviétiques, il y a plus d’une génération. Elle a été utilisée pour la première fois dans le contexte du Moyen-Orient en 2005 pour désigner le mouvement déclenché suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Celui de ces Libanais qui ont choisi de reprendre leur destin en main, de s’extraire du joug syrien et de redonner au Liban l’espoir de lendemains meilleurs après 30 ans de guerre civile.
“Le réveil arabe”. La seconde expression communément utilisée pour décrire les événements de 2011 survenus dans le sillage de l’immolation d’un vendeur de rue tunisien en décembre 2010. Cette expression présente également un antécédent historique. Elle nous ramène à 1938, plus précisément, et à la publication d’un livre intitulé Le réveil arabe, publié par George Antonius, un grec-orthodoxe libanais de Palestine mandataire. Ce dernier prônait l’émergence d’une conscience politique et culturelle panarabe après des décennies de machination et de domination européennes, principalement britanniques.
Un contexte donc bien éloigné des récents événements qui ont secoué la région. D’une part, l’ouvrage d’Antonius est réalisé dans un but précis : rallier les Arabes à la cause palestinienne. A contrario, les révolutions de 2011 balayent la thèse dominante brandie par des idéologues selon lesquels les Arabes sont obsédés par la question palestinienne.
D’autre part, le livre chante les louanges d’un nationalisme panarabe, l’idée que les Arabes, des côtes de l’Atlantique au Golfe, partagent un patrimoine linguistique, culturel, social et même politique commun. Or les événements de 2011 constituent des phénomènes nationaux, et non panarabes. Égyptiens, Libyens, Yéménites ou Syriens célèbrent leur nationalisme local spécifique. Rien à voir avec une quelconque idéologie transrégionale.
Ainsi, à l’instar du romantique “Printemps arabe”, l’expression non moins romantique “Réveil arabe” obscurcit la réalité du phénomène plus qu’elle ne l’explique.
Une Intifada moyen-orientale De mon point de vue, il existe un terme largement utilisé en arabe, qui capture, bien plus que ces expressions popularisées, ces moments explosifs, ces défis et ces incertitudes qui ont secoué la région l’année passée. Si ce terme est étroitement associé au conflit israélo-palestinien, et à la conscience politique d’une unique expérience nationale, il convient pourtant de l’utiliser, dans sa forme plurielle, et de l’appliquer à la variété des expériences nationales qui ont marqué l’année 2011.
Ce terme, c’est “Intifada”. Dans son sens originel, il signifie “secouer”. Il est compris aujourd’hui comme la traduction arabe de “soulèvement”. Le monde a assisté l’année dernière à une série de “soulèvements arabes” dont l’objectif était de renverser l’autorité traditionnelle.
A l’instar des révoltes palestiniennes, ces insurrections ont rappelé au monde que l’action de masse peut parfois jouer un rôle fondamental dans les sociétés arabes. Et le résultat de ces Intifadas est décidément bien incertain.
Après avoir défini ces événements, il s’agit dans un second temps de déterminer leur véritable signification.
Une étape bien plus délicate. Identifier les gagnants (les Islamistes sunnites) et les perdants (Israël et l’Iran) de ces soulèvements est devenu le jeu favori des commentateurs.
Mais un an à peine après le déclenchement de ces révoltes, il est beaucoup trop tôt pour déterminer leur véritable impact sur des questions d’importance stratégique comme le dossier nucléaire iranien.
Pour l’heure, alors que des chefs d’Etats ont été déchus dans quatre pays arabes - la Tunisie, l’Egypte, le Yémen et la Libye - seul l’un d’entre eux a vu la chute de son dictateur s’accompagner de celle du régime au pouvoir. C’est la Libye. En Tunisie et en Egypte, l’armée, institution clé qui a facilité le transfert de pouvoir, reste intacte. Et au Yémen, le leader désavoué n’a pas vraiment disparu de la scène politique.
Alors que le régime syrien vacille totalement et achemine le pays vers une guerre civile, quatre autres Etats et demi ont à peine été effleurés par ce tsunami. Il s’agit du Soudan, de l’Algérie, de l’Irak, du Liban et de l’Autorité palestinienne. Ailleurs, une monarchie s’est défendue contre un soulèvement et semble avoir triomphé (Bahreïn) tandis que d’autres ont entamé des réformes afin de calmer les velléités de leur peuple. Une stratégie qui paye pour l’heure. En somme, toute une variété d’expériences nationales ont marqué 2011.
Mais peu importe leurs résultats, ces événements ont déjà un profond impact. En effet, s’ils n’ont pas façonné un nouveau Moyen-Orient, ils ont en revanche contribué à démolir plusieurs théories à la dent dure sur l’ancien Moyen-Orient. En voici trois.
Les thèses dominantes balayées La première, la thèse selon laquelle la concurrence entre les élites, plus que l’influence de la volonté populaire, détermine l’avènement et la chute des régimes arabes.
Une théorie désormais balayée. Si le peuple ne dictera pas toujours le sort des nations arabes, il constitue en revanche un acteur incontournable dans la région.
La deuxième thèse selon laquelle les régimes autoritaires peuvent et vont utiliser la toute-puissance de l’appareil de l’État afin de conserver leur pouvoir n’est plus valide.
Pendant deux générations, le spectre de l’Etat omnipotent a jeté une ombre sur la direction politique de la région et étouffé l’émergence de toute véritable opposition digne de ce nom. La force et la puissance de ces régimes a progressé de façon fulgurante dans les dernières décennies, ses dirigeants, traumatisés par la déchéance du Shah d’Iran, ayant décidé d’investir chaque dollar (livre, lire ou riyal) dans le développement de leurs appareils de renseignement et de sécurité.
Mais, au fil du temps, la gangrène, la corruption et la dictature rongent ces régimes de l’intérieur. Si cette décrépitude ne concerne évidemment pas tous les régimes de la région, le renversement rapide de l’autoritarisme en Tunisie et en Egypte souligne les limites de cette omnipotence présumée.
Enfin, une troisième théorie montre également ses limites. L’idée que la principale menace aux régimes modérés et pro-occidentaux du Levant émanerait de l’émergence d’un “Croissant-Rouge chiite” dominé par l’Iran. Aujourd’hui “le Croissant sunnite” formé par des régimes dirigés ou influencés par les Frères musulmans et qui épousent les thèses violentes anti-américaines, anti-occidentales et anti-Israéliennes d’Oussama ben Laden, semble poser un risque bien plus grand.
Déjà, des Premiers ministres proches des Frères musulmans ont pris, ou sont sur le point de prendre, leurs quartiers de Rabat à Gaza, exception faite d’Alger. Et ils sont susceptibles d’être rejoints par leurs collègues à Damas et à Amman avant fin 2012.
Il est bien trop tôt pour accoucher d’un nouvel ensemble d’hypothèses afin de déterminer les dynamiques de ce nouveau Moyen-Orient dans les prochaines décennies. Mais, nous entamons l’année 2012 avec les mêmes incertitudes que celles des Moyen-Orientaux dans les années 1949 et 1968.
L’auteur est le directeur exécutif de l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient.