Le spectre du terrorisme nucléaire

Des représentants de la défense et des responsables militaires du monde entier doivent arriver en Israël courant janvier. Objet de la visite : un exercice de défense passive simulant, pour la première fois, une attaque par bombe sale

Janvier 2012, un “Nuage sombre” recouvrera le nord d’Israël. Tel est le nom de code d’un exercice de la défense passive qui simulera pour la première fois une attaque d’un dispositif de dispersion radioactif. Le terme officiel pour désigner une “bombe sale”. Si les responsables de la défense se sont succédé, ces dernières semaines, pour minimiser la portée et l’importance de l’exercice, le timing en revanche ne peut être ignoré. Difficile d’occulter le fait que la fenêtre d’opportunité pour empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire se referme.

La menace du terrorisme nucléaire figure en haut de l’agenda sécuritaire israélien depuis un certain nombre d’années. Or, selon le ministre de la Défense Ehoud Barak, si le Régime des Mollahs ne peut être autorisé à accéder au nucléaire, ce n’est pas en raison de la menace d’un missile balistique de longue portée qui s’abattrait inévitablement sur Tel-Aviv. Les craintes de Barak se situent ailleurs : la probabilité de voir un cargo, transportant une bombe sale dissimulée à l’intérieur d’un conteneur, atteindre le port de Haïfa et exploser est en effet bien plus inquiétante.
Déjà, dans les années 2000, les agences de renseignements occidentales ont commencé à tirer la sonnette d’alarme. Puis, en 2003, la Stratégie nationale américaine de lutte contre le terrorisme mettait en garde : le risque de terrorisme nucléaire s’est considérablement accru et constitue l’une des plus graves menaces à la sécurité nationale des Etats-Unis et de ses alliés.
Un attentat à la bombe sale inévitable ?

Mais le véritable tournant intervient en 2008. Au mois de décembre, la Commission sur la prévention de la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme, créée par le Congrès américain un an plus tôt, publie un rapport qui fait l’effet d’une bombe. Selon les conclusions des experts, une attaque nucléaire ou biologique, d’origine terroriste, est susceptible de survenir dans les cinq prochaines années : “Si la communauté internationale n’agit pas immédiatement et de manière ferme, il est plus probable qu’improbable qu’une arme de destruction massive soit utilisée dans le cadre d’un attentat terroriste quelque part dans le monde d’ici la fin de l’année 2013”, avait conclu le rapport.

Al-Qaïda, certainement la seule organisation terroriste capable de développer une bombe sale par ses propres moyens, a parlé ouvertement du “devoir sacré” d’utiliser des armes nucléaires contre les Etats- Unis. Des ébauches de dispositifs nucléaires improvisés ont d’ailleurs été retrouvées dans un certain nombre de cachettes d’Al-Qaïda en . Si l’Iran se nucléarise, Al-Qaïda ne serait plus seule et le Hezbollah serait dès lors constamment suspecté de posséder des technologies nucléaires.
L’exercice “Nuage sombre” est supervisé par le brigadier général Zev Snir, un ancien haut responsable de l’armée de l’air, aujourd’hui conseiller de Barak. Selon lui, Israël travaille très étroitement avec les Etats-Unis et d’autres alliés dans la lutte contre la menace nucléaire, biologique et chimique. En témoigne la présence annoncée de plusieurs responsables de la défense et d’officiers militaires du monde entier pour l’exercice de simulation “Nuage sombre”.
“Israël s’est taillé une réputation d’excellence à l’échelle planétaire sur ces questions. L’un des leaders mondiaux pour faire face à de telles attaques”, assure Snir. “Mais nous devons procéder à des tests et nous assurer que les réponses que nous avons mises en place sont applicables et adaptées à la grande variété de menaces qui nous guettent.”
Par la mer, la terre ou les airs

Contrairement au scénario d’une attaque biologique dont les effets pourraient se propager comme une traînée de poudre, le nombre de victimes serait assez faible dans un attentat à la bombe sale en plein Tel-Aviv, estiment les experts.

“L’effet est surtout psychologique”, explique un responsable de la défense avant de poursuivre : “Une petite bombe sale qui exploserait en Israël pourrait paralyser le pays, même si le nombre de victime serait faible.”
Autant d’éléments qui expliquent les craintes réelles de l’Etat hébreu face à un nucléaire. Le changement dans l’équilibre des forces dans la région et la menace constante qui pèserait alors sur le pays ne constituent donc pas les seules sources d’angoisse pour Israël.
L’Etat juif redoute également le spectre du terrorisme nucléaire. L’Iran pourrait fabriquer des dispositifs rudimentaires ou une bombe sale.
Une attaque nucléaire contre Israël peut intervenir de trois manières : par la mer, par la terre ou par les airs. Si Israël maintient un contrôle serré sur ses frontières maritimes, une bombe sale de petite taille peut aisément être dissimulée sur un cargo transportant des centaines de conteneurs.
Idem pour les aéroports israéliens malgré leur réputation d’excellence en matière de sécurité. Un dispositif pourrait être installé sur un drone, comme ceux utilisés par le Hezbollah dans le passé pour pénétrer l’espace aérien israélien. Et enfin, une attaque via les frontières terrestres. Si plus de 2 500 immigrants nord-africains parviennent à s’infiltrer en Israël tous les mois, l’establishment de la Défense ne peut se permettre le luxe fatal d’exclure la possibilité qu’un homme en possession d’une bombe sale puisse un jour tenter le même procédé.
Un objectif, deux écoles de pensée

Par ailleurs, lutter contre le terrorisme nucléaire se révèle bien plus complexe que de vouloir stopper les ambitions nucléaires d’un Etat. Si la dissuasion demeure efficace entre pays, les organisations terroristes en revanche pourraient ne pas se laisser impressionner par ce type de menace.

L’Iran, par exemple, pourrait commanditer une attaque nucléaire, sans avoir appuyé lui-même sur la gâchette. “Que la source d’une attaque terroriste nucléaire contre Israël soit inconnue, ou provienne d’Al-Qaïda ou d’Iran, Israël doit ancrer dans les esprits que sa réponse sera illimitée et inclura non seulement les grandes agglomérations, mais également tous les sites importants, y compris ceux qui revêtent une importance symbolique majeure pour le monde musulman”, explique Chuck Freilich, ancien conseiller israélien à la sécurité nationale. Israël n’a toujours pas déterminé de politique en ce sens et cela restera probablement le cas aussi longtemps que les efforts du gouvernement israélien seront axés sur le blocage des ambitions nucléaires de la République des Mollahs. Si Barak et d’autres craignent désormais que les États-Unis en soient arrivés à accepter la possibilité d’un nucléaire, l’Etat juif continuera sans doute à observer l’évolution de l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis de Téhéran avant d’enclencher toute action unilatérale.
Selon le ministre de la Défense et le Premier ministre Binyamin Netanyahou, le temps est compté. La République islamique continue inlassablement de fortifier ses installations et de disperser ses capacités. Conséquence : une frappe militaire se révèle chaque jour qui passe moins efficace.
Autre son de cloche de la part de hauts responsables israéliens, à l’instar de l’ancien chef du Mossad Meir Dagan et de l’expatron du renseignement militaire, le général de division Amos Yadlin. Selon ces derniers, Israël ne doit pas être le chef de file des Etats qui mettent tout en oeuvre afin d’empêcher l’Iran d’accéder au nucléaire, mais devrait rejoindre les rangs des Etats- Unis et de l’Europe et accompagner le train de mesures adoptées contre Téhéran : soit des sanctions, soit la force militaire.
Toujours selon ces derniers, l’Etat juif ne doit envisager d’intervention militaire uniquement après que l’Iran ne commence à enrichir de l’uranium de qualité militaire et ne franchisse la ligne rouge.
En définitive, les deux écoles de pensée partagent le même objectif : stopper l’Iran. Mais une question demeure entière : quel scénario permettra à Israël de payer le prix le moins élevé.