L’héritage d’un ami d’Israël

Retour sur un demi-siècle de relations afro-juives. De Martin Luther King à nos jours

Martin (photo credit: photo illustrative/Reuters)
Martin
(photo credit: photo illustrative/Reuters)
Les liens proches qui unissaient Martin Luther King Jr et la communauté juive sont bien connus.
Parmi les proches conseillers, collaborateurs ou confidents du leader de la cause noire : des dirigeants juifs et rabbins. Et le moment où il s’est imposé comme la figure de proue du Mouvement des droits civiques a marqué l’âge d’or des relations entre Afros et Juifs. Mais peu après sa mort, les relations se sont refroidies.
“Sous Luther King, à l’époque de la lutte pour les droits civils, aucune autre communauté que la communauté juive, au sein de la société américaine, n’a fait part d’un soutien aussi important et constant”, affirme le rabbin Marc Schneider, fondateur et président de la Fondation pour le dialogue ethnique.
Pour preuve, une photographie du rabbi Joshua Heschel, activiste proéminent de l’époque, aux côtés de Luther King pendant la marche de Selma, devenue aujourd’hui le symbole de la participation juive au Mouvement des droits civiques.
Heschel, qui, avait par la suite déclaré : “alors que je marchais dans Selma, mes pieds priaient.”
Un fervent sioniste
“Luther King mettait l’accent sur les coalitions, tout particulièrement les coalitions avec la communauté juive”, confirme Clayborne Carson, directeur de l’institut Martin Luther King Jr pour la recherche et l’éducation. Et selon le professeur, le succès des rapports cordiaux entre communautés juive et afro revient surtout à Luther King : “Pour lui, l’essence même du christianisme tirait son origine de la tradition prophétique. Il ne croyait pas en l’écriture pour la postérité, il croyait en l’écriture pour une justice sociale. En cela, il s’est lié au peuple juif qui interprète sa propre religion d’une manière similaire.”
Si Luther King était un grand ami de la communauté juive, il était aussi un fervent défenseur d’Israël. Pour le rabbin Matthew H. Simon, qui a lui aussi défilé aux côtés du leader noir à Selma : “Dr King était un sioniste d’une grande envergure et un ami proche d’Israël, ce qui a fait de lui un homme apprécié au sein de la communauté juive à une période où tous ceux qui défendaient les droits civiques en Amérique n’étaient pas pour autant des amis d’Israël.”
A plusieurs reprises, Luther King s’est prononcé en faveur du droit d’Israël à l’existence et contre l’antisionisme. Une de ses remarques célèbres a été prononcée lors d’un dîner à Cambridge. A un étudiant qui tenait des propos antisionistes, il a fait remarquer : “Lorsque les gens critiquent le sionisme, ils parlent des Juifs. Vous tenez un langage antisémite.”
Et son engagement était d’autant plus méritoire qu’il pouvait lui coûter cher.
Martin Luther King était conscient des risques à s’afficher ouvertement pro-israélien, quitte à déplaire à certains pans de la communauté afro-américaine, plus engagés et plus extrémistes. Mais il n’a eu de cesse d’apporter son soutien à toutes les communautés juives. Comme à la communauté juive russe, et à son mouvement des Refuzniks.
L’influence de l’Islam
Après l’assassinat de Luther King, les relations entre Juifs et Afros connaissent une période mouvementée. Avec, pour point culminant, les émeutes de “Crown Heights”, en 1991.
“La disparition de M.L. King Jr a laissé un vide. Il était une tête de pont vers la communauté juive. Puis, après lui, une aile de militants plus engagés a émergé au sein du Mouvement des droits civiques des Noirs”, note Schneider, auteur de Des rêves partagés : Martin Luther King Jr et la communauté juive.
Une aile engagée, connue pour ses croyances antisémites et bien décidée à se démarquer du leadership de Martin Luther King.
“Ce que nous savons c’est que cette deuxième génération d’Afro-américains a utilisé l’antisémitisme pour délégitimer les dirigeants noirs modérés comme Dr King et d’autres. En somme, ils disaient : “Vous, vous êtes d’accord avec les Juifs, mais nous, nous sommes purs. Nous n’avons pas besoin des Juifs pour réussir”, note Jonathan Sarna, professeur d’histoire judéo-américaine à l’université de Brandeis, Massachusetts.
“Comme certains d’entre eux ont commencé à être influencés par l’Islam, ils sont devenus profondément antisémites.
Mais même ceux qui n’étaient pas religieux utilisaient l’antisémitisme comme un instrument pour gagner le soutien des Noirs et légitimer la purge des Blancs dans le combat pour les droits civiques”.
D’une lutte de race à une lutte des classes
Mais si un grand nombre s’attendait à ce que les émeutes de “Crown Heights” marque le début de relations agitées entre les Noirs et les Juifs, elles ont en réalité signé leur fin, note Sarna.
Le professeur explique cela, en partie, par ce qu’il appelle un “désengagement” : de moins en moins de Juifs et de Noirs vivaient à proximité, puisque les Juifs s’excentrent vers les banlieues. Mais aussi par un changement dans les priorités.
La montée de la classe moyenne noire “couplée avec l’augmentation de la population hispanique, déplacent le problème d’un point de vue purement racial - Noirs contre Juifs - vers une notion plus vaste de lutte des classes”, déclare Sarna. Les Juifs ne sont donc plus les ennemis. De plus, ce sont eux aussi qui vont permettre l’ascension de nombreux Noirs. “Barack Obama en est l’exemple : il a été éduqué à Chicago par des membres de la communauté juive”, continue le professeur.
L’amélioration du niveau de vie de la communauté noire va donc réduire les tensions avec les Juifs.
Selon Schneier, les relations aujourd’hui sont plutôt positives. “Les liens entre Noirs et Juifs sont plutôt de l’ordre de la coopération que du conflit”, pointet- il. “Les Afro-américains et les Juifs de toute l’Amérique sont en train de redécouvrir des valeurs partagées. Je suis optimiste et je pense que nous sommes aujourd’hui aussi proches que nous l’étions il y a 50 ans. Les relations sont passées par des périodes très agitées et des temps difficiles, mais nous en sommes sortis plus proches et plus forts”, continue-t-il.
Chacun sa route
Et si Martin Luther King n’avait pas été assassiné, quelle aurait été son influence sur les relations entre les deux groupes ? D’après le rabbin Simon, le leader noir aurait transformé les problèmes de communication entre les deux communautés en force. “Il était excellent pour aider les gens à se rendre compte de leurs similitudes”, déclare-t-il.
“Il était capable de prendre la parole lors d’une convention rabbinique. Un fait qui parle de lui-même. Qui, au sein de la communauté noire, pourrait jouer ce rôle aujourd’hui”, pointe Simon en référence à l’Assemblée rabbinique de 1968, dont son père était le président.
L’événement s’était tenu une semaine avant l’assassinat de Luther King. Et a constitué l’une de ses dernières apparitions en public.
Beaucoup estiment que si le fondateur du Mouvement des droits civiques avait vécu, la rupture entre communautés juive et afro n’aurait pas été aussi grande.
Car son arme, c’était le dialogue. Il aurait su fédérer les deux peuples.
Toutefois, selon Carson, le refroidissement entre les deux communautés n’a pas tant à voir avec la disparition de Luther King qu’avec une évolution des préoccupations.
La lutte contre la pauvreté devait être la prochaine étape naturelle après le vote de la législation sur les droits civiques. Et d’ajouter : si King était encore en vie, son centre de préoccupation aurait lui aussi pris une autre direction.
“C’est très facile pour les gens d’admirer le Martin Luther King d’il y a 50 ans, parce qu’il a été romancé en quelque sorte. Or, c’est beaucoup plus difficile de se souvenir que quand il est parti, son combat était loin d’être achevé. Luther King est mort inquiet au sujet des inégalités de classe, de la pauvreté et de l’abîme entre les riches et les pauvres”.
Aujourd’hui, il n’existe aucune animosité être les deux communautés. Chacune vit simplement en parallèle de l’autre. “Ce n’est pas comme si on divergeait vers des directions différentes. Nous sommes les uns à côté des autres, mais nous ne nous regardons simplement pas beaucoup”.