Priorités croisées

Les capitales européennes considèrent urgente la résolution du conflit israélo-palestinien. Une pression que tente de désamorcer John Kerry, en vue de la visite d'Obama.

Kerry Fabius 27.2.13 (photo credit: Reuters)
Kerry Fabius 27.2.13
(photo credit: Reuters)
Drôles de priorités. Laconférence de presse récemment donnée par le secrétaire d’Etat américain JohnKerry et son hôte le ministre des Affaires étrangères britannique, WilliamHague, s’est avérée très éclairante sur l’état d’esprit européen quant auprocessus de paix israélo-palestinien et la relance des négociations. Kerryterminait sa tournée à l’étranger dans le cadre de ses nouvelles fonctions.Après un tête à tête entre les deux hommes, Hague a ouvert la conférence par unedéclaration des plus éloquentes : « Le Proche-Orient figure en tête de nospréoccupations, car la résolution du conflit israélo-palestinien nous tientparticulièrement à coeur. Je me réjouis d’ailleurs de ce que ce sujet brûlantait tout particulièrement retenu l’attention de mon homologue américain depuissa nomination. Il n’y a pas d’autre préoccupation plus urgente en 2013 enmatière de politique extérieure que la relance du processus de paixisraélo-palestinien ». Et d’ajouter : « La région et le monde ne peuvent sepermettre de rester dans l’impasse dans laquelle nous nous trouvonsaujourd’hui. Elle est dangereuse pour tout le Proche-Orient, et si nous nefaisons pas de progrès notoires en ce sens, c’est tout le concept de deux Etatspour deux peuples qui pourrait se révéler compromis ».
Etrange, non ? Le conflit Syrien a déjà fait plus de 70 000 victimes, l’Iran serapproche dangereusement du seuil nucléaire, la Corée du Nord a récemmentréalisé avec succès un nouveau test de lancement de missile longue portée àtête nucléaire, l’économie européenne est au bord du gouffre, mais pour Hague,ministre des Affaires étrangères britannique, la priorité absolue en 2013 enpolitique étrangère, c’est Israël et les Palestiniens.
Et le ministre de continuer sur sa lancée : « C’est une urgence absolue pour lacommunauté internationale de relancer le processus de paix sous l’égide desEtats-Unis et avec le soutien de la communauté européenne et de la Ligue arabe,entre autres.
La promesse que je fais à Kerry aujourd’hui est que le Royaume-Uni fera tout cequi est en son pouvoir pour mobiliser l’Union européenne et les Etats arabesautour de ces efforts de paix ».
Tout est dit
Hague a ensuite brièvement évoqué quelques-uns des autresproblèmes auxquels le monde doit faire face dans l’ordre suivant : la Syrie,l’Iran, l’Afghanistan, le G8 et le commerce transatlantique.
Kerry a alors pris la parole à son tour pour reprendre ces différents points,mais dans l’ordre inverse. Il a commencé par mettre l’accent sur les questionscommerciales, puis, respectivement, sur l’émergence des nouvelles démocratiessur la scène internationale, sur le conflit syrien, le problème iranien,l’Afghanistan, pour enfin terminer par Israël et les Palestiniens.
« Pour ce qui est du processus de paix au Proche-Orient », a-t-il déclaré, «j’apprécie profondément l’intérêt que William Hague porte à la question ettiens à l’assurer du soutien indéfectible des Etats-Unis pour atteindre cetobjectif », a déclaré Kerry avant de se lancer dans les habituelles platitudessur le sujet.
« Comme la majorité des gens de par le monde, nous partageons la vision communede deux états pour deux peuples, vivant côte à côte, en paix et en sécurité. Jesuis impatient de me mettre au travail avec William sur ces questions et tantd’autres, comme la préparation du sommet du G8 de cette année par exemple. Etsi je peux me permettre un commentaire, j’ajouterais que le président Obama estimpatient d’effectuer sa visite dans cette région et d’agir sur le processus depaix ».
Tout est dit. D’un côté, Hague, dont la priorité absolue est de remettre leprocessus de paix à l’ordre du jour et de le placer en tête d’agenda. Del’autre, Kerry qui le relègue en fin de liste.
Et il est certain que si Kerry ne l’a évoqué qu’au terme de son allocution, cen’est pas parce que le sujet n’intéresse pas le président. Mais, en fait,depuis qu’Obama a annoncé sa venue en Israël, les Etats-Unis font tout pourréduire les attentes qui entourent cette visite et donnent à espérer une percéespectaculaire dans la résolution du conflit.
Affaire à suivre 
De nombreuses voix se sont en effet élevées à Washington,comme dans les capitales européennes et arabes, pour conseiller à Obama devenir en personne afin de « faire la loi », et imposer un « plan Obama » commeremède au conflit. Mais au cours de sa tournée européenne, Kerry a justementpris soin de désamorcer les attentes de ceux qui espèrent voir Obama dicter auxparties concernées les termes exacts d’un futur accord de paix.
Un message bien reçu par le Premier ministre britannique, Gordon Brown. Ledirigeant s’en est réjoui, car il ne souhaite pas voir les Etats-Unis s’imposercomme leader du processus de paix, ni Obama imposer ses diktats, comme ill’avait fait notamment au début de son premier mandat, en exigeant le gel desconstructions dans les territoires disputés, ce qui n’avait abouti qu’àcomplexifier encore plus la situation et immobiliser le processus de paix.
Mais les conseillers du Premier ministre feraient bien de méditer les parolesprononcées par Kerry devant un parterre d’étudiants allemands : « Au terme deson voyage, l’administration américaine verra comment il convient de poursuivreces négociations de paix ». En d’autres termes : affaire à suivre.
Beaucoup de dossiers sont en attente sur le bureau d’Obama.
Le président a fort à faire à l’international, mais également sur le frontinterne. Or, le conflit israélo-palestinien ne peut être ignoré aujourd’hui,alors qu’un regain de violences secoue la Judée-Samarie et remet ce dossiersensible sur le devant de la scène géopolitique. Difficile de regarder ailleurspour Washington.
« Un conflit à nos portes »
John Kerry a donc récemment effectué son premierdéplacement à l’étranger depuis sa nomination. Un voyage de 10 jours qui l’auraconduit en Grande-Bretagne, après avoir été reçu en Allemagne, en France, enTurquie, en Italie, en Egypte, en Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis etau Qatar. Il y a fort à parier que, dans toutes ces chancelleries, il aura étésoumis à de fortes pressions pour faire avancer le processus de paix par tousles moyens.
Robert Serry, diplomate d’origine hollandaise, aujourd’hui coordinateur spécialpour le processus de paix au Proche- Orient au nom de l’Onu, a ainsi déclaré àla fin du mois de février, lors d’un forum débattant de la question à WiltonPark : « Il est inconcevable de clôturer ce voyage sans avoir échafaudé lesplans d’une Palestine politiquement viable ».
Et le diplomate d’ajouter que des avancées se font sentir de réunion en réunionsur l’épineux sujet. Certaines d’entre elles sont à mettre sur le compte durecyclage d’idées appartenant à des accords antérieurs restés lettre morte.Mettre ces idées en oeuvre pourrait contribuer à une amélioration des relationsentre les parties, a fait valoir Serry. Avant d’ajouter que tous les regardsétaient tournés vers l’Etat hébreu, tant il est devenu évident pour tous, quetout effort de paix serait vain sans consultation préalable avec les Israélienset leur pleine coopération.
Andreas Reinicke, envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient, aexpliqué, lors de ce même forum, pourquoi cette affaire était si cruciale auxyeux du Vieux continent. « Du point de vue européen, ce conflit est à nosportes », a déclaré Reinicke. « Chypre est un pays avec lequel l’Europe a unefrontière commune, et se trouve à moins de 400 km d’Israël seulement. Unconflit dans cette région a des répercussions partout, depuis la Finlandejusqu’à l’Espagne. » Et de continuer : « il est dans l’intérêt fondamental del’Union européenne de résoudre ce conflit, car il est potentiellement explosifà l’intérieur de nos frontières. Il est, en outre, particulièrement sensible depar sa dimension religieuse.
Et il concerne en tout premier lieu les chrétiens, car Israël est un Etat juifet le passif entre les deux communautés est dramatiquement chargé, marqué pardes exactions commises contre les Juifs au cours de l’histoire, qui ont culminéavec la Shoah ».
A n’en pas douter, les derniers développements dans le monde arabo-musulmancompliquent encore la donne pour tout le monde. Israël essayera de convaincreKerry et Obama lors de leur visite que c’est précisément en raison de cesrécents développements que l’affaire devient inextricable et la résolution duconflit encore plus irréaliste. Les Européens eux, et Hague en témoigne, ferontpression sans relâche sur l’administration américaine, jusqu’à faire figurer leconflit en tête de ses préoccupations. Yparviendront-ils ? Réponse dans les mois à venir.