Prolongements politiques d’une crise sécuritaire

La classe politique française, aussi, est secouée par la sanglante affaire

Ozar (photo credit: Reuters)
Ozar
(photo credit: Reuters)
En dépit des apparences, l’attentat perpétré à Toulouse n’est pas le premier du genre. La France a subi nombre d’événements terroristes au cours des dernières décennies, même si son bilan reste bien loin de celui d’Israël ou des Etats-Unis, notamment.
Le dénouement extraordinaire de cette chasse à l’homme de 32 heures, avec l’assaut final, jeudi 22 mars en fin de matinée, par le RAID, et la mort de Mohammed Merah, ne va pas manquer de devenir une “affaire” politique, susceptible de devenir “L’Affaire”, à un mois du premier tour des présidentielles. “Tous vont complètement se la réapproprier”, a commenté Christophe Caupenne, ancien chef des négociateurs du RAID. “Et quand je dis ‘L’Affaire’, je devrais dire plutôt ‘The Affair’ (pour paraphraser l’appellation des Français même du film oscarisé : ‘The Artist’), ou, poussant la comparaison très loin, ‘HaParasha’ (l’épisode en hébreu).
Au début des années 1960, la classe politique israélienne était secouée comme jamais auparavant. Le Premier ministre David Ben Gourion avait fini par démissionner du gouvernement et quitter son parti, suite au scandale suscité par une obscure affaire d’espionnage et d’attentats amateurs (non meurtriers, nuance), commandités par des services israéliens en Egypte. Pendant une décennie entière, la question clé restait : “Qui a donné l’ordre d’agir au Caire ?” D’aucuns affirment encore que la “Parasha” a constitué le début de la fin des Travaillistes au pouvoir, et de la montée de la droite en 1977.
Et la comparaison se retrouve lors des élections générales de 1988. Le leader de l’opposition travailliste Shimon Peres était donné gagnant face au chef du gouvernement sortant Itzhak Shamir, lorsque s’est produit, à la veille du scrutin, un attentat terroriste palestinien qui a coûté la vie à une mère et ses enfants et maintenu en place Shamir, chef de file des faucons du Likoud. D’autres exemples peuvent encore illustrer cette thèse, celui, notamment, de l’attentat de Madrid (près de 200 morts) en 2004, survenu à trois jours des élections législatives. L’attaque avait coûté le pouvoir au Premier ministre espagnol Aznar, remplacé par Zapatero.
Redistribution des cartes
Certes, les voies de l’électeur sont impénétrables, et “il n’y a pas de loi électorale”, comme l’a souligné David Pujadas, présentateur de France 2.
L’antipathie que Nicolas Sarkozy a suscitée depuis son élection a fini par avoir raison de sa popularité. Ses chances de réélection n’ont cessé de baisser au fil des ans, à mesure qu’augmentaient celles du candidat socialiste Dominique Strauss-Kahn, le très influent directeur du Fonds monétaire international. La défection de celui-ci a redonné du poil de la bête au camp du président sortant. Mais les sondages ne l’ont pas entendu de cette oreille et le remplacement de DSK par l’ancien premier secrétaire du PS et ancien compagnon de Mme Royal, François Hollande, a maintenu Sarkozy dans la position du mal-aimé.
Les cartes sont à nouveau brouillées. Toulouse a “représidentialisé” Nicolas Sarkozy, mettant dans l’ombre les autres candidats. Plus que jamais, son slogan de campagne “La France forte” prend un sens et lui va comme un gant.
S’exprimant en direct du palais de l’Elysée, aussitôt après l’assaut, le chef de l’Etat a “salué l’unité du pays” qui “vient de traverser une épreuve difficile d’agression terroriste”. “La France n’acceptera pas d’embrigadement ni de conditionnement idéologique sur son sol... Toute personne sera punie si elle consulte des sites Internet liés au terrorisme ou se rendant dans des pays [...] pour entraînement...” Et de rappeler l’enjeu sécuritaire du pays, dont tous le reconnaissent comme le meilleur garant, depuis son passage marqué au ministère de l’Intérieur entre 2002 et 2007, et même bien avant lorsque, jeune maire de Neuilly-sur- Seine, il avait participé au péril de sa vie à l’opération et à la libération d’écoliers et de leur institutrice pris en otage par “Human Bomb” dans sa commune, le 15 mai 1993.
“Ce ne sont pas les crimes d’un fou, donc irresponsable, mais les crimes inexplicables et inexcusables d’un monstre et d’un fanatique”, a-t-il martelé. Et d’annoncer la prochaine présentation à l’Assemblée nationale d’un texte de loi en ce sens.
“De nouvelles mesures ne sont pas nécessaires”, trouve à dire, en guise de réponse, le candidat socialiste Hollande. Et la candidate écologique, Eva Joly, ne fait pas mieux en trouvant “déplacée” la présence à Toulouse sur les lieux du drame du ministre de l’Intérieur Claude Guéant.
Il est encore trop tôt pour cerner tous les prolongements politiques de la dernière crise sécuritaire. Il faudra attendre les meetings de “l’après-Toulouse” pour savoir s’il y a renversement de tendance électorale. Le tueur de la ville rose a bien tenté de “tenir la France à genoux en purgeant d’abord sa propre communauté musulmane de ses mauvais éléments, avant de tuer des enfants juifs identifiés à Israël et au sionisme”, comme l’a expliqué le spécialiste de l’islam Gilles Keppel, qui n’hésite pas à parler de “djihadisme de 3e génération”, dans le cadre duquel le terroriste a filmé ses actes pour poster les images sur le web dans le but d’attirer de nouvelles recrues. Mais il a surtout contribué à déplacer le centre de gravité du débat public des questions économiques vers celles, plus “israéliennes” pourrait-on dire, de sécurité, de vie et de mort, et aussi d’identité nationale. Et la polémique éclate sur la stratégie tenue : qui a donné les ordres ? Pouvait-on éviter de tuer le meurtrier ? Pour Sarkozy la réponse est claire: “Il n’était pas concevable d’exposer des vies pour atteindre cet objectif, il y a eu déjà trop de morts.” Mais son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, reconnaît : “Je comprends qu’on puisse poser la question s’il y a eu faille ou pas.”
Quant à Marine Le Pen, candidate du Front national, elle se demande “si on a, ou pas, surveillé Mohamed Merah après ses voyages Afghanistan”...