Quand le petit Israël rencontre le Géant qui sommeille

Retour sur des rapports mitigés avec la Chine, sous l’oeil vigilant des Etats-Unis

Chine (photo credit: Nir Elias / Reuters)
Chine
(photo credit: Nir Elias / Reuters)
En 2010, le commandant de la marine israélienne,l’amiral Eliezer Marom, était convié en Chine. Une invitation qui revêtait unesignification toute particulière pour le gradé, dont le père allemand et lamère chinoise se sont connus et ont vécu dans l’Empire du Milieu jusqu’en 1955.
Septième de huit enfants, Marom est né quelques semaines seulement aprèsl’installation de sa famille en Israël. Et se voit rapidement affublé du surnomde “Chiney”, en raison de ses traits asiatiques.
Lorsque l’invitation arrive sur son bureau du QG militaire de la Kirya àTel-Aviv, Marom en a tout de suite compris la raison. Après des années de mise au ban du marché de la défense israélienne, lesChinois recherchaient un homme de l’intérieur qui pourrait promouvoir leurcause et obtenir la fin de l’interdiction des exportations militairesisraéliennes vers la Chine. Ils ont alors pensé que Marom - “l’amiralsino-israélien” - serait leur homme. Mais ils ont eu tort.
Aujourd’hui encore cette mesure reste de mise, mais il ne fait aucun doute queles relations militaires entre les deux pays sont entrées dans une période deréchauffement - le pourquoi reste un mystère. Il suffit de jeter un coup d’oeilsur la fréquence et la teneur des visites officielles entre Jérusalem et Pékin.
En mai, le chef d’état-major israélien, le lieutenant-général Benny Gantz, se trouvaiten Chine pour des pourparlers de haut niveau avec l’establishment de la défensechinoise. En août dernier, son homologue chinois, Chen Bingde, chefd’état-major de l’Armée populaire de la libération, se rendait en Israël. Unepremière pour un chef militaire chinois. Et deux mois avant le voyage deBingde, Ehoud Barak faisait connaissance avec le Géant qui sommeille, premièrevisite d’un ministre israélien de la Défense depuis une décennie. Quelquessemaines avant son voyage, Barak avait rencontré l’amiral Wu Shengli,commandant de la marine de l’APL, lors de sa visite en Israël.
A l’été 2010, le major-général Yair Golan menait une délégation militaireisraélienne en Chine, quelques mois après qu’Amos Yadlin - alors chef durenseignement militaire - ne s’envole vers Pékin avec le vice- Premier ministreMoshé Yaalon. Enfin, il se chuchote ici et là que le Premier ministre BinyaminNetanyahou pourrait bien s’envoler lui aussi pour l’Empire Céleste où, le moisprochain, Matan Vilnai, actuel ministre de l’Intérieur, doit intégrer sonnouveau poste d’ambassadeur d’Israël.
Points communs entre deux pays si différents
Le rapprochement des deux pays,qui intervient au terme d’une quasi-décennie de rupture entre l’APL et Tsahal,n’a pas échappé à Washington. Conséquence : un certain nombre de hautsfonctionnaires du Département d’État et du Pentagone ont levé les sourcils.Même si les responsables israéliens s’empressent de souligner que toutes lesvisites - dans les deux sens - sont clarifiées au préalable avec lesÉtats-Unis.
“Nous n’avons jamais demandé d’autorisation pure et simple, mais nous mettonssystématiquement le Pentagone au courant des voyages et des itinéraires”,précise ainsi un haut-responsable de la défense.
Historiquement, le lien de la Chine avec le peuple juif remonte à des centainesd’années. Aujourd’hui encore, une ancienne enclave juive demeure à Kaifeng, ancien centrecosmopolite sur la Route de la Soie et pôle d’attraction pour les Juifsséfarades d’Inde et de Perse entre les 10e et 12e siècles. Dans les années 1930et 40, environ 20 000 Juifs fuyant les nazis ont trouvé refuge dans l’Empire duMilieu, et établi une importante communauté juive à Shanghai.
Les deux pays seront créés à un an d’intervalle : Israël en 1948 et laRépublique populaire de Chine en 1949. Mais tandis que l’Etat juif reconnaîtraimmédiatement le régime du président Mao Zedong, il faudra attendre plus de 40ans pour des relations diplomatiques officielles et une reconnaissance chinoisede l’Etat juif.
Quant aux rapports militaires, ils ont germé dans les années 1980 et 90.L’armée chinoise repose alors en grande partie sur les anciennes plates-formessoviétiques et les entreprises de défense israéliennes sont expertes en matièrede modernisation des tanks et avions de combat.
Selon un fonctionnaire de la défense, qui a travaillé en Chine, l’intérêtchinois dans des relations avec Israël était fondé sur trois éléments clés :l’appréciation d’une culture ancienne confrère, la croyance sincère que lesJuifs comptent parmi eux les esprits les plus intelligents du monde et unintérêt pour les tactiques militaires et la technologie de l’Etat juif, qui ontcausé la défaite d’ennemis arabes.
Coup de canif dans le contrat
Mais à la fin des années 1990, tout va basculeravec la finalisation d’un contrat d’1 milliard de dollars pour la vented’avions d’alerte avancée Phalcon aux Chinois. A peu près à la même période,les relations sinoaméricaines commencent à se détériorer, mais Israël - d’abordsous Netanyahou puis sous Barak - pense convaincre la Maison- Blanche et lePentagone de l’importance de la transaction. En vain. En 2000, Barak seraobligé d’annuler le contrat.
Fin 2004, Israël est à nouveau pris dans le collimateur américain, après que laChine lui demande d’entretenir des drones Harpy que l’Etat juif lui a vendusquelques années plus tôt. Les Etats-Unis accusent alors Israël d’équiper lesappareils chinois de systèmes américains. Jérusalem a beau nié les accusations,il essuie une rétrogradation immédiate dans ses liens militaires avecWashington.
“Le différend entre Israël et les États-Unis découle de leurs évaluationsrespectives quant à la nature de la menace militaro-stratégique chinoise”, aécrit Ouzi Eilam, ancien chef de recherche et développement au ministère de laDéfense, dans une analyse de la crise. “Selon la perception américaine...
la Chine constitue une menace stratégique importante pour les Etats-Unis et sesintérêts, notamment en Asie orientale.
Israël n’a pas apprécié à sa juste valeur le sérieux avec lequel les Etats-Unisconsidèrent la vente à la Chine de systèmes d’armement considérés commestratégiques.”
Quoi qu’il en soit, la crise prendra finalement fin à l’été 2005, au terme d’unaccord selon lequel Israël accordait un droit de veto aux États-Unis sur lesventes d’armes à certains pays - comme la Chine - que Washington considèrecomme une menace à sa sécurité nationale.
“Notre politique reste la même aujourd’hui”, a récemment réaffirmé un hautfonctionnaire de la défense. “Nous ne leur vendons rien qui soit relié à ladéfense et qui compromettrait nos liens avec les États-Unis.”
Échanges de bons procédés
Si tel est le cas, alors la question que beaucoup seposent est : de quoi peuvent bien s’entretenir Gantz, Barak, Yadlin, Yaalon,Marom, Golan et consorts avec leurs homologues chinois.
Pour l’heure, il s’agirait d’intérêts communs. Celui de Pékin dans leresserrement des liens avec Israël découle d’un espoir qu’un jour latechnologie israélienne soit à nouveau accessible à la Chine, mais aussi d’undésir d’être impliqué dans les événements du Moyen-Orient, en particulier aprèsavoir été pris de court par les récents bouleversements dans la région.
Le principal problème évoqué par Israël dans ces rencontres reste l’Iran et sacourse à l’arme nucléaire. L’Etat juif voit la Chine comme un acteur clé dansl’annihilation du programme nucléaire iranien, l’enjoignant de mettre un termeà sa dépendance envers le pétrole des Mollahs et d’arrêter de fournir laRépublique islamique en armes et autres composants de missiles.
Sans parler de l’intérêt israélien à étendre sa portée économique - enparticulier vers une superpuissance économique comme la Chine - et de tisserdes liens sécuritaires et diplomatiques qui pourraient être les bienvenus dansune conjoncture difficile.
Les Israéliens ont également essayé de faire comprendre aux Chinois ce qu’iladviendrait de leur propre économie si Israël prenait les devants et attaquaitl’Iran. C’est pourquoi le gouverneur de la Banque d’Israël, Stanley Fischer,avait rejoint l’une de ces délégations il y a quelques années.
Alors, si pour l’heure Israël est engagé dans son alliance avec les États-Unis,il lui faudra manoeuvrer précautionneusement pour ne pas répéter les erreurs dela dernière décennie, au fur et à mesure qu’il désirera progresser dans sesrelations avec la Chine.