Relents totalitaires au Caire

Mohamed Morsi a décrété jeudi 22 novembre qu’il élargissait ses pouvoirs, réveillant la colère du peuple du Nil

Le Caire (photo credit: Asmaa Waguih / Reuters)
Le Caire
(photo credit: Asmaa Waguih / Reuters)
Le président égyptien a su se placer en médiateur et pivot de communication entre Gaza et Israël, pendant la récente offensive militaire. «Pilier de défense» a, en outre, permis à Mohamed Morsi de recevoir en sa pyramide les grands de ce monde. Parmi eux : la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, représentant Barack Obama dans cette épreuve de négociation d’une paix provisoire. Sur la scène «orientale», il a également déjoué les plans de ses rivaux en écartant d’une main de fer la Turquie. Morsi en est ressorti renforcé et, visiblement, confiant. Dans la foulée, il s’est s’attribué les pleins pouvoirs dans son propre pays, éveillant la colère d’un peuple qui a fait sa révolution il y a moins de deux ans.
Jeudi 22 novembre, Morsi annonçait par une «déclaration constitutionnelle» qu’il élargissait ses pouvoirs, plongeant le pays dans une crise sans précédent depuis son élection. La Bourse du Caire a baissé de plus de 9 % en une journée ; les magistrats ont paralysé les tribunaux en se mettant en grève dimanche, tandis que d’autres attendaient une concertation face à cette prise de pouvoir «dictatoriale».
Selon le juge Issam al-Tobgi, des concertations sont en cours pour renverser la situation. Dont les résultats dépendront de «l’allégeance ou non des membres des assemblées au ministre de la Justice», allié du président. Par cet acte, Morsi cherche à mettre ses décisions à l’abri de tout recours en justice, donc de toute opposition. Les juges exigent le retrait immédiat, «pur et simple», du décret qui pose problème à plus d’un titre pour une démocratie en cours de gestation.
De son côté, Mohamed El Baradei, figure de l’opposition, ironise à ce propos en confiant à un journal égyptien indépendant : «Je ne serais pas étonné si l’armée descendait à nouveau dans les rues pour empêcher le chaos et protéger la patrie». Et d’ajouter : «Le propre d’un dictateur est de ne pas laisser de place au dialogue…».
300 blessés
 En attendant, la place Tahrir est de nouveau en effervescence. Sous les gaz lacrymogène de la police, les partisans des deux camps rivaux sont dans la rue. La révolte populaire a déjà fait 300 blessés dans tout le pays. Les pour et les contre Morsi – laïcs et libéraux versus islamistes – s’entre-attaquent et visent les locaux des Frères musulmans. Dimanche, une jeune femme a été tuée devant une permanence du mouvement à Damanhour.
Pour calmer le jeu, Ahmed Mekki, ministre de la Justice, affirme que cette mesure n’est que provisoire, qu’elle ne concerne que les pouvoirs «souverains» du président, et en rien les décisions administratives. Ce qui lui semble être le compromis attendu pour éviter l’escalade. Dimanche, Morsi se disait prêt à dialoguer avec l’ensemble du corps politique.
Le but du décret n’étant pas, selon ses dires, de concentrer les pouvoirs, mais au contraire de les déléguer. Il s’agit aussi de préserver la cohérence de la Constitution et d’empêcher la dissolution du Parlement : les deux «bras» des Frères musulmans.
Issu de la branche «Parti de la liberté et de la justice», le président explique que des réformes sociales, politiques et économiques vont prendre le relais du décret jugé impunément «dictatorial». L’idée sous-jacente était notamment de rétablir Abdel Maguid Mahmoud, procureur général sous l’ère Moubarak. A croire que Morsi n’a pas retenu de leçon du passé égyptien…