Turquie: un vent de révolte

Des dizaines de milliers de personnes manifestent dans tout le pays contre le gouvernement d’Erdogan.

 P4 JFR 370 (photo credit: Umit Bektas/Reuters)
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(photo credit: Umit Bektas/Reuters)
Tout a commencé par une simple manifestationcontre un projet d’aménagement urbain. Ils étaient quelques centaines à occuperle parc Gezi depuis mercredi 28 mai pour protester contre l’abattage d’arbresdans ce parc d’Istanbul, près de la place Taksim, célèbre point de départ dedéfilés. Projet du gouvernement : y bâtir un centre commercial au style ottomanainsi qu’une nouvelle mosquée. Mais la police charge brutalement les opposants.Le mot circule alors sur les réseaux sociaux et des milliers de manifestantsviennent prêter main-forte, dans un mouvement qui sera très vite baptisé «Occupy Gezi ».
Vendredi 31, le rallye tourne à un rassemblement massif contre le Premierministre turc Recep Tayyip Erdogan, et son parti d’affiliation islamiste, leparti de la Justice et du Developpement (sigle turc : AKP). L’usagedisproportionné de canons à eaux et de gaz lacrymogènes par les forces del’ordre scandalise la population qui arrive toujours plus nombreuse sur laplace. Au terme du week-end, certains évoquent plus de 1 000 blessés.
Lundi 3 juin, les protestataires affrontaient toujours les forces de l’ordrepour le 4e jour des manifestations. Après une brève accalmie dans la journée dedimanche, l’agitation a repris dans la nuit et s’étend désormais aux villesd’Ankara et Izmir. Cette dernière, une cité portuaire à l’ouest de la Turquie,abrite le siège de l’AKP, dont les locaux ont été incendiés aux petites heuresdu jour dans la nuit de lundi.
Selon les images de télévision locale, une partie des bâtiments a été détruite.A Istanbul, les manifestants avaient amassé des piles de pavés, des panneaux designalisation et même des abris de bus pour en faire des barricades le longd’une large avenue le long du Bosphore, où ont eu lieu la majorité desaffrontements hier soir. Des graffitis ont recouvert les murs.
Toujours à Istanbul, les bureaux d’Erdogan étaient encerclés par les forces depolice qui repoussaient les manifestants à l’aide de gaz lacrymogène. Unemosquée avoisinante abritait des équipes médicales qui s’activaient autour desblessés. A Ankara, la police a pris d’assaut un centre commercial situé aucoeur de la capitale où se cachaient des centaines de manifestants.
« Je suis le serviteur du peuple » 
Le Premier ministre turc s’est exprimé avecfermeté, condamnant les manifestants, qu’il a qualifié de « pilleurs », etaccusant le principal parti laïc d’opposition d’exciter la foule. Et d’affirmerque les protestations sont destinées à déstabiliser son parti en vue desélections de 2014 et 2015.
L’année prochaine, les Turcs sont en effet appeler à élire leurs représentantsmunicipaux ainsi que leur Premier ministre.
Poste auquel Erdogan a été successivement réélu depuis 2003, avec, à chaquefois, une plus grosse majorité de voix.
Puis viendront les élections parlementaires l’année suivante. Le partirépublicain du peuple (en turc : CHP), principale formation d’opposition, arejeté ces accusations et blâmé la politique du gouvernement. « Aujourd’hui,les gens sont descendus dans la rue partout en Turquie. Ils ne n’appartiennentpas exclusivement au CHP, ils sont de toutes les idéologies et de tous lespartis », a affirmé un membre vétéran de la plateforme, Mehmet Akif Hamzacebi.
« Erdogan ne doit pas blâmer notre parti, mais tirer les conclusionsnécessaires de ce qui est en train de se passer ».
Au cours de ses 10 années au pouvoir, Erdogan a révolutionné l’économie turque,qui possède aujourd’hui le plus fort taux de croissance européen. Il demeure,de loin, le politicien le plus populaire du pays. Mais son autoritarisme et leconservatisme religieux de son parti finissent par lasser la population.
Sont en particulier dénoncés les restrictions de vente d’alcool et les mises engarde contre les démonstrations d’affection en publique. La politique de laTurquie face au conflit syrien soulève également des inquiétudes, enparticulier à cause du problème des réfugiés qui devient de plus en plus lourdà gérer.
Dimanche, Erdogan est apparu à la télévision pour la 4e fois en moins de 36heures. Et de justifier les restrictions sur les ventes d’alcool par desraisons de santé. « Je suis pour les restrictions, car c’est meilleur pour lasanté… Quiconque boit de l’alcool est un alcoolique ». Le dirigeant a conclu enrejetant les accusations de dictature. « S’ils qualifient quelqu’un qui sert lepeuple de dictateur… je n’ai rien à ajouter. Je ne suis pas un maître. Ladictature n’est ni dans mon caractère ni dans ma nature. Je suis le serviteurdu peuple. »