Vers une Egypte nucléaire ?

Sous des abords soi-disant pacifiques, la nouvelle Egypte manifesterait-elle un intérêt soudain pour la bombe atomique ?

Egypte nucléaire 521 (photo credit: Wikipédia Commons)
Egypte nucléaire 521
(photo credit: Wikipédia Commons)
Certes, l’Egypte ne dispose pas au jour d’aujourd’hui de programme d’énergie nucléaire, mais les choses pourraient bientôt changer.
Le président Mohamed Morsi a d’ores et déjà clairement indiqué que l’Egypte souhaitait se lancer dans un programme nucléaire civil. Et que dire des déclarations faites par les dirigeants de son parti, les Frères musulmans, qui appellent leur pays à poursuivre un programme d’armement nucléaire.
Difficile de savoir si le président est sincère lorsqu’il parle d’une énergie nucléaire pacifique ou s’il embrasse secrètement les idéaux de ses frères d’armes.
L’Egypte ne possède pas de programme d’énergie nucléaire, susceptible d’être détourné à des fins militaires. Un état de fait dû à plusieurs facteurs, comme les priorités du leadership précédent, les contraintes soumises aux fournisseurs, les difficultés financières et les problèmes sécuritaires.
L’Egypte est membre du Traité de non-prolifération d’armes nucléaires et fervente partisane d’un Moyen-Orient dénué d’armement nucléaire. Mais elle peut aisément changer de politique.
Le nouveau président égyptien a récemment déclaré à un groupe d’expatriés égyptiens installés en Chine : “le Caire envisage de renouveler le programme nucléaire égyptien, purement à des fins civiles, afin de fournir de l’énergie propre aux citoyens.”
Morsi avait ainsi profité de ce voyage pour solliciter auprès des Chinois 3 milliards de dollars pour la construction de “centrales”.
Ce changement apparent d’intentions s’appuie sur un rapport de juillet du ministère égyptien de l’Electricité et de l’Energie, qui défend la poursuite d’un programme nucléaire. Le rapport indique que la demande croissante d’électricité, d’un supplément de 300 mégawatts par an, ne peut être satisfaite dans la conjoncture actuelle. En outre, la baisse des sources énergétiques traditionnelles et les opportunités d’emploi conduisent l’Egypte à considérer l’alternative plus rentable d’une énergie nucléaire. Le document évoque également la catastrophe du réacteur nucléaire de Fukushima, au Japon, en mars 2011.
“Semer la terreur”
Selon le rapport, la centrale nucléaire de Al Dabaa, sur la côte méditerranéenne, devrait être la première de quatre centrales nucléaires à travers le pays. Al Dabaa serait opérationnelle en 2019 et permettrait alors de créer des emplois, donnant à la région un élan économique bienvenu. La dernière usine nucléaire serait opérationnelle en 2025.
Si Morsi n’a pas encore annoncé sa décision sur l’application du projet, un certain nombre de sociétés internationales du Canada, de Chine, de France, de Russie, de Corée du Sud et les Etats-Unis ont déjà manifesté leur intérêt.
Tandis que Morsi réaffirmait le désir de l’Egypte de voir un Moyen-Orient exempt d’armement nucléaire lors de la dernière conférence du Mouvement des pays nonalignés à Téhéran, les Frères musulmans - le propre parti du président - de leur côté, appellent ouvertement le pays à développer un programme d’armes nucléaires. Aux élections législatives cette année, ils ont enjoint le gouvernement à développer des “programmes nationaux spéciaux”, dont des programmes nucléaires et d’armement.
Dès 2006, les Frères plaidaient déjà pour un programme d’armement nucléaire. Et selon un de leurs porte-parole, le Dr Hamdi Hassan, les Egyptiens seraient “prêts à mourir de faim” pour obtenir l’arme nucléaire. De même, Sa’ad al-Husseyni, un autre représentant de la Fratrie, avait suggéré que l’Egypte développe une “force de dissuasion militaire puissante”, arguant que le développement d’armes nucléaires protégerait bien mieux le pays que sa position en faveur d’une zone dénuée d’armes nucléaires.
En 2009, le député du parti des Frères musulmans Dr Ibrahim al-Jaafari défendait une militarisation du programme nucléaire égyptien pour s’aligner avec les aspirations militaires de divers pays de la région. Et d’expliquer dans une allocution devant la commission de la défense et de la sécurité nationale que l’Egypte devait poursuivre l’acquisition d’armes nucléaires, à l’instar du programme d’armement accéléré d’Israël et de l’Iran.
Toujours en 2009, le chef mondial des Frères, cheikh Youssouf al-Qaradawi, avançait que les pays musulmans doivent posséder l’arme nucléaire “afin de semer la terreur au sein de nos ennemis.” Il appelait également les Musulmans à “punir” les Juifs, comme Hitler l’avait fait pendant la Shoah.
En février 2011, Al-Qaradhawi était invité par les Frères musulmans pour diriger les célébrations de la victoire de la révolution égyptienne place Tahrir. Difficile de savoir si les déclarations des dirigeants des Frères comme Al-Qaradhawi relèvent d’opinions personnelles ou si elles reflètent la position du parti et du président.
Besoin énergétique ou politique ?
Le besoin croissant d’énergie n’est pas la seule motivation de l’Egypte. Pour Le Caire, qui se considère comme le leader du monde arabe, la course à l’armement nucléaire répond à des fins politiques, au niveau national comme international.
Sans aucun doute, les activités nucléaires de l’Iran peuvent motiver des pays voisins menacés, comme les rivaux traditionnels de Téhéran au Proche-Orient - l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Turquie, la Jordanie et les Etats du Golfe persique.
L’appel aux armes nucléaires a été proféré par d’autres Egyptiens éminents, même non affiliés aux Frères. Ainsi, le général réserviste Abd al-Hamid Umran, qui a récemment appelé l’Egypte à se doter d’armes nucléaires pour dissuader Israël. “Un programme nucléaire égyptien - appelons-le pacifique pour le protocole - porte sur l’enrichissement d’uranium”, a-t-il précisé. Une telle mesure provoquerait une opposition générale, mais “dissuaderait quiconque d’oser nous attaquer.”
Si l’Egypte devait décider de développer des armes nucléaires, elle ne partirait pas de zéro.
Des projets antérieurs lui ont laissé un groupe de physiciens et d’ingénieurs expérimentés et un certain nombre d’universités aptes à former une nouvelle génération de scientifiques nucléaires. Pourtant, malgré une capacité technologique relativement avancée, la route est encore longue.
Selon le ministre de la Défense Ehoud Barak, “Israël ne voit pas l’Egypte attelée à un programme nucléaire militaire.” Selon lui, les problèmes surgissent quand un pays utilise son programme nucléaire civil pour masquer une initiative d’armement, mais il doute que les Egyptiens projettent de tromper la communauté internationale.
Ainsi, reste à voir si la nouvelle Egypte va changer la politique nucléaire de l’ancien régime.
Le colonel (réserviste) Dr Shoul Shay est l’ancien directeur adjoint du Conseil national de sécurité israélien et chercheur associé au Centre Begin-Sadate d’Etudes stratégiques. Il enseigne à l’université Bar- Ilan et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya. Les documents de BESA sont publiés grâce à la générosité de la famille Greg Rosshandler.