Colères de foules

Retour sur une semaine riche en événements : manifestations en cascade et dérapages

Le reportage diffusé la semaine dernière par Aroutz 2 sur la petite Na’ama Margolis, trop effrayée par les insultes et crachats des haredim du quartier pour traverser la rue qui mène à l’école pour filles d’Orot, a mis le feu aux poudres. Retour sur une semaine agitée, ponctuée par une manifestation-choc d’extremistes haredim, samedi 31 décembre au soir.

Mardi 27 décembre, des centaines de manifestants se rassemblent en face de l’école Bnot Orot à Beit Shemesh, un établissement national-religieux au coeur d’une controverse depuis la rentrée scolaire, les haredim du quartier rejetant la présence de jeunes femmes vêtues “immodestement” selon leurs standards.
Aux cris de “Beit Shemesh est sous occupation haredi” et “Haredim ! Ne crachez pas dans la soupe !”, la foule a applaudi le rabbin Dov Lipman, l’un des instigateurs de ce rassemblement, et Hadass Margolis, mère de Na’ama, devenue le symbole du conflit. Mercredi matin à Jérusalem, un haredi de 44 ans insulte une jeune soldate lorsqu’elle refuse de passer à l’arrière d’un bus de la ligne 49, comme il le lui demande. L’homme la traite de “prostituée”, ajoutant que c’est une honte de se montrer ainsi devant des étudiants de yeshiva. D’autres se joignent à lui jusqu’à ce que le conducteur appelle la police. Doron Matalon porte plainte et l’homme est arrêté le lendemain. Le bus 49 est considéré comme de facto “Mehadrin” pour traverser originellement des quartiers religieux. Mais par ailleurs, selon le ministère de la Justice, la séparation entre hommes et femmes dans les transports en commun doit se faire uniquement sur le principe de la bonne volonté et n’être imposée à personne.
Suite à l’incident, Tzipi Hotovely (Likoud), Ouri Orbach (Habayit Hayehoudi) et Schlomo Molla (Kadima) décident de monter à bord d’un bus “Mehadrin” jeudi matin pour protester contre la ségrégation des femmes. Ils se rendent également à l’école d’Orot. Présidente de la commission pour la condition des femmes à la Knesset, Hotovely remonte dans le bus à plusieurs reprises pour vérifier la réalité du terrain. Alors que les passagers s’en plaignent, elle répond avec véhémence : “Vous vous plaignez lorsqu’une commission de la Knesset vous retarde de 5 minutes, mais lorsque des petites filles sont attaquées sur le chemin de l’école, vous demeurez silencieux”. Jeudi soir, des centaines d’hommes haredim bloquent la circulation à Beit Shemesh, jetent des et brûlent des poubelles pour manifester leur mécontentement. La police parvient à disperser la foule, et trois hommes sont a r r ê t é s . Aucun blessé n’est à déplorer.
Recours déplacé aux symboles de la Shoah

 

Samedi soir, le rabbin Ovadia Yossef, leader spirituel du parti Shas, évoque les tensions entre laïcs et orthodoxes dans son sermon hebdomadaire : “Nous ne haïssons pas les laïcs, au contraire nous les aimons, nous nous rapprochons d’eux.” Il se prononce contre l’extrémisme, déclarant : “Il existe des haredim qui commettent des actes interdits, que la Torah interdit, et ils doivent être dénoncés”.

Au même moment, près de 1 500 ultra-orthodoxes se rassemblent sur la place Shabbat, dans la capitale, pour protester contre “l’oppression” et “l’incitation à la haine de la communauté laïque” envers eux. Quelques dizaines portent une étoile jaune avec l’inscription “Jude”. Sur leurs pancartes, on peut lire “les Sionistes ne sont pas des Juifs” et “les Sionistes sont racistes”.
Les manifestants ne permettent pas à la presse de s’approcher, criant “nazis” aux équipes sur place. Des enfants montent sur scène, vêtus des uniformes rayés blanc et noir des camps de concentration. Interrogés, les protestataires revendiquent le recours à ces symboles de la Shoah, parce que, selon eux, “il se passe la même chose actuellement qu’en Allemagne sous le régime nazi”. Un jeune homme ajoute que sa communauté est “mise au ban du peuple juif parce nous suivons la voie de la Torah. Ils nous haïssent parce que nous suivons la voie du judaïsme. Mais c’est la seule voie.”
Les réactions à cette manifestation ne se sont pas fait attendre. Le Dr Zuroff, directeur du centre Simon Weisenthal, a qualifié la manifestation “d’usage outrageux de la mémoire de la Shoah, insultant tous les Juifs et les survivants des camps.”
Il a rejeté l’idée que la communauté ultraorthodoxe, du fait d’un manque d’éducation, ne soit pas consciente de la sensibilité de ces symboles. “Utiliser la Shoah de cette manière, c’est cracher au visage de l’ensemble des Israéliens”, a-t-il déclaré. Il a ajouté que cet usage avait déjà eu lieu lors du désengagement de la bande de Gaza en 2005, par des national-religieux, et qu’il faudrait peut-être faire passer une loi pour interdire de tels agissements, même si ce serait “un triste jour pour Israël” d’avoir à légiférer sur cette question. Le musée de Yad Vashem, par la voix de son président Avner Shalev, a qualifié l’incident de “provocation de la part d’une poignée d’extrémistes”, appelant l’ensemble de la communauté haredi à condamner le phénomène.

“Ces comportements honteux n’ont pas lieu d’être. Cela blesse les survivants de la Shoah et c’est un manque de respect à la mémoire de cette tragédie”. Le président de la Fondation pour les victimes de la Shoah, Elazar Stern, a lui aussi appelé de ses voeux une loi contre l’usage abusif de la Shoah, condamnant fermement la manifestation de samedi. Le pays se trouve pris, selon ses propos, dans “une violente guerre des cultures”, menant la société israélienne à une conjoncture très problématique. Le groupuscule ultra-orthodoxe Edat Haredit, qui a organisé la manifestation, a défendu l’attitude des protestataires et n’a exprimé “aucun regret” quant à l’utilisation symbolique de la Shoah.

Dimanche soir, environ 200 personnes se sont rassemblées à Jérusalem pour monter en même temps sur plusieurs lignes de bus “Mehadrin” de la capitale. L’opération, suivie de près par des équipes de presse, s’est déroulée sans incident majeur. La plupart des passagers ultra-orthodoxes ont surtout protesté de “l’intrusion dans leur sphère”.