De l’ombre à la lumière

Itzhak Shamir, ancien combattant du Lehi et septième Premier ministre d’Israël, est décédé samedi 30 juin

shamir (photo credit: Rahamim Yisreaeli / Jerusalem Post)
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(photo credit: Rahamim Yisreaeli / Jerusalem Post)

Un Etat d’Israëlcomprenant toute la Judée et Samarie. Tel était l’idéal d’Itzhak Shamir, malgrédes revirements politiques qui l’ont fait évoluer de la droite du mouvementsioniste vers une position plus centriste et normative.

La droite admirait son inébranlable défense de la Terre d’Israël, tandis que lagauche critiquait son inflexibilité. Mais même ses détracteurs admiraient son intégrité indéfectible, sa raremodestie, son courage, son esprit de famille et son patriotisme.
Ancien agent du Mossad, député du Likoud et porteparole de la Knesset, ildevient ministre des Affaires étrangères en 1983 avant d’être parachuté Premierministre, suite à la soudaine démission de Menahem Begin. Se retrouvant à latête du pays dans l’une de ses périodes les plus troublées, les experts luiprédisent la défaite aux élections suivantes, ou même au sein de son propreparti, lequel abrite quelques personnalités plus charismatiques que lui.
Mais le scrutin arrive et ni le Likoud ni les travaillistes ne parviennent àétablir de coalition. Shamir et Shimon Peres forment alors un gouvernementd’union, alternant les postes de Premier ministre et de ministre des Affairesétrangères au terme de deux ans de mandat. Ensemble, ils assurent un leadershipsolide et supervisent le retrait militaire du Liban, tout en relançantl’économie après l’une de ses pires récessions.
En 1988, l’ombre de l’Intifada débutée l’année précédente plane sur l’électionque Shamir gagne contre Peres.
Des désaccords sur le processus de paix mènent les travaillistes à romprel’union nationale, après une tentative avortée de Peres de retirer le pouvoir àson opposant.
Ironiquement, Shamir, qualifié de dur par beaucoup, sera le premier Premierministre à négocier avec les Palestiniens, sous la pression des Etats-Unis,lors du sommet de Madrid en 1991. Mais largement battu par Itzhak Rabin auscrutin de 1992, il sert quelques années de plus à la Knesset avant de seretirer de la vie politique pour mener une paisible existence à Tel-Aviv, en compagniede son épouse bien-aimée, Shoulamit.
Du Beitar au Lehi

Shamir voit lejour à Ruzinov, en Pologne, le 22 octobre 1915, fils de Schlomo Ben-MenachemItzhak Yezernitsky.

Elève du Lycée hébraïque de Bialystok, connu pour ses fortes tendances hébraïsanteset sionistes, il étudie ensuite le droit à l’Université de Varsovie. Il faitson aliya en 1935 pour poursuivre ses études à l’Université hébraïque. EnPologne, il est membre du Beitar, mouvement de jeunesse révisionniste. AJérusalem, après les émeutes arabes de 1936, il rejoint l’Irgoun,l’organisation militaire nationale et souterraine.
Il n’oubliera jamais la mort tragique de son père, assassiné pendant la Shoahpar des fermiers polonais de sa connaissance, auprès de qui il était venuchercher refuge après avoir sauté d’un train de la mort. La soeur d’Itzhak, sonmari et leurs trois enfants, sont également tués par un garde forestier quiavait travaillé pour eux et chez qui ils tentaient de se cacher. Leur sorthantera Shamir toute sa vie. Il dira ainsi plus tard : “Les Polonais sontabreuvés d’antisémitisme en même temps que de lait maternel”.
En 1940, alors que l’Irgoun décide d’une trêve avec les Britanniques, le tempsde la guerre, Shamir est face à un lourd défi : rejoindre ses camarades de l’Irgounqui, comme leur chef David Raziel, ont été libérés du camp britannique deSérafand et se portent volontaires pour combattre les nazis. Ou rallier legroupe Stern, une faction dissidente de l’Irgoun dirigée par Yaïr AvrahamStern, qui continue de combattre l’occupation anglaise et s’oppose àl’enrôlement volontaire des Juifs dans l’armée de George V.
Ce sera le groupe Stern, devenu Lehi, après la mort du leader tué par lesofficiers du Département d’investigation criminelle mandataire britannique, le12 février 1942. Shamir perçoit alors les Anglais comme un ennemi, desoccupants qui empêchent la libération de la Terre d’Israël. Le Livre Blanc de1939 le persuade que le Royaume-Uni ne respecte pas la contribution des Juifs àl’effort de guerre du Yishouv, et demeurera toujours aux côtés des Arabes, leuroffrant un Etat et maintenant les Juifs dans une éternelle minorité en Terresainte.
Sabotage, attaques armées et exil à Djibouti

Son nom de guerredans le groupe Stern est Michael, d’après Michael Collins, qui mènera l’arméerépublicaine irlandaise à l’affrontement avec l’Angleterre. Dans ses mémoires,il raconte la difficulté, alors que les Britanniques combattent l’Allemagnepresque seuls, à motiver un petit groupe de Juifs à ne pas se rallier auxtroupes de Sa majesté et à continuer à se battre pour la liberté.

A la mort de Stern, Shamir, qui était son bras-droit, devient membre d’untriumvirat qui dirige et coordonne les opérations. A voir son air aimable etses manières de gentleman, difficile d’imaginer ce qu’il est pourtant : unhomme à la discipline de fer, totalement dédié à sa cause souterraine.
Ce n’est qu’en 1994 qu’il admettra avoir ordonné l’exécution d’un mauvaisélément du groupe Lehi. Une décision cauchemardesque et parmi les plus difficilesde sa vie. “L’homme avait perdu la tête”, écrit Shamir. “Il était extrémiste,fanatique, incapable de loyautés personnelles ou même de fraternité ordinaire.Il menaçait de tuer ses camarades et de commettre des attentats contre desJuifs... Je savais devoir prendre une décision fatidique et je ne m’y suis pasdérobé”. Clamant qu’il n’avait pas d’autre choix, Shamir a néanmoins nommé safille Guiladi d’après cet homme. De nombreuses autres opérations controverséesdu Lehi ont marqué l’Histoire.
En novembre 1944, deux membres du commando, Eliahou Hakim et Eliahou Bet-Zouri,assassinent Lord Moyne, ministre britannique des Affaires du Proche- Orient, auCaire. Ils seront arrêtés et pendus en mars 1945.
En juillet de la même année, alors que les Britanniques ne semblent pas vouloirmodifier le Livre blanc et continuent d’empêcher l’immigration juive etl’acquisition des terres, le Lehi et l’Irgoun tombent d’accord pour oeuvrer deconcert. Rejoints par la Haganah, ils fondent le Mouvement de résistance juivepour combattre les politiques britanniques. Le Lehi se charge des opérations desabotages et des attaques armées d’infrastructures militaires. Les membres haïsdu Département d’investigation criminelle mandataire sont des cibles de choix.
Des expropriations sont menées pour lever des fonds.
Les radios clandestines relaient la propagande.
En avril 1947, le groupe de résistance envoie des bombes par la poste auxhommes d’Etat britanniques qui ont empêché l’accès de la Palestine aux rescapésjuifs.
Shamir est arrêté par deux fois, en 1941 et en 1946. Il parvient à s’échapper.La seconde fois, il est envoyé dans un camp de détention en Erythrée. Avec AriéBen- Eliezer, membre du groupe Herout, ils creusent un tunnel de sortie sousles barbelés. Shamir atteint Djibouti, où les Français finiront par luiaccorder l’asile politique. Il se rend en France, mais retourne en Palestine aumois de mai 1948, alors que la guerre d’Indépendance a éclaté.
Le 29 mai, la plupart des membres du Lehi ont rejoint la toute nouvelle Tsahal.A l’exception d’un petit groupe de résistants conduits par Shamir. Le Lehi nesera finalement dissous qu’après l’assassinat du médiateur de l’ONU, le ComteFolk Bernadotte à Jérusalem, le 17 septembre 1948. Shamir, accusé d’avoir commanditél’attaque, est arrêté lors d’une arrestation de masse de membres du Lehi,organisée par le nouveau gouvernement israélien. Il sera relâché plus tard. Sesannées dans l’ombre s’achèvent.
Sa vocation ? Servir le peuple juif

Shamir s’estmarié et devient père de deux enfants.

L’adaptation à la vie civile lui est difficile. La nouvelle majoritétravailliste au gouvernement n’est pas toujours tendre avec ses anciensopposants. Parmi d’autres emplois, l’ancien guérillero dirige un temps uneassociation de cinéma. Son retour au service public se fait en 1955, lorsqueDavid Ben Gourion approuve personnellement sa nomination au Mossad. Il yrestera 10 ans, dont la majorité à Paris, apprenant à parler le françaiscouramment. Sa réputation dans la célèbre institution est d’être un agent trèsfiable, et un “brillant homme de terrain”. Il n’évoquera jamais publiquementson travail d’espion.
En 1965, il se retire du Mossad et retourne aux affaires, dirigeant une petiteentreprise de caoutchouc près de Kfar Saba. C’est à cette époque qu’il commenceà consacrer ses soirées et ses week-ends au parti Herout de Begin.
En 1973, il est 27e sur la liste du Herout et entre à la 8e Knesset du pays. Ilsiège dans la commission de défense, des affaires étrangères et d’Etat.
Trois ans plus tard, grâce à son expérience passée avec les Juifs d’Unionsoviétique, Shamir établit un nouveau département russe au parti et devientmembre de l’exécutif du Herout. Aux élections suivantes, suite à la victoire duLikoud, il devient porte-parole de la Knesset.
Et ne se plaint pas de ne pas avoir été choisi par Begin pour un posteministériel.
Dans ses mémoires, il écrira que le peuple juif a toujours souffert del’ambition personnelle de ses dirigeants. Tout ce qu’il voulait, c’était servirle peuple juif. La réticence de Begin à le nommer avait sans doute à voir avecsa dureté de ton concernant les affaires étrangères et la défense. En 1978,Shamir s’abstient de voter à la Knesset sur les accords de Camp David. Idem enmars 1979, pour le traité de paix avec l’Egypte.

La mue dufaucon en colombe

1980 : MoshéDayan démissionne du ministère des Affaires étrangères, en désaccord avec Beginsur l’accord d’autonomie aux Palestiniens. Shamir, surprenant ses détracteurs,est nommé à ce poste sensible en dépit de ses vues politiques. Il a un bon sensdes relations publiques et croit à la nécessité de défendre efficacement lacause d’Israël à l’étranger.

Et de se lancer dans un incessant travail de liaison avec l’Europe, l’Amériquedu Sud, l’Afrique et l’Asie. Shamir se révèle alors infatigable. Il lit chaquedépêche, chaque rapport déposé sur son bureau. Sa mémoire s’avère excellente,il s’intéresse aux détails et se montre ferme avec ses subordonnés.
Il a également à coeur de démentir l’image d’ex-Lehi intraitable qui lui colleà la peau. Il devient plus tolérant aux opinions des équipes diplomatiquesencore en poste depuis l’époque travailliste, envisage progressivement lecompromis sur certaines questions, tout en en croyant indéfectiblement à l’unitéde la Terre d’Israël, y compris la Judée et la Samarie.
La commission Kahane sur les massacres de Sabra et Chatila à Beyrouth le blâmepour n’avoir rien fait après avoir appris que les phalangistes chrétiens ytuaient des civils palestiniens. Mais contrairement à Begin et à Ariel Sharon,alors ministre de la Défense, il n’est pas considéré comme l’un des stratègesde la guerre du Liban et n’est pas sérieusement inquiété.
Epuisé, Menahem Begin se retire soudain de la vie politique en 1983. Le 1er septembre1983, Shamir lui succède à la présidence du Herout par 436 voix contre 302. Ons’attend à ce qu’il suive la voie de son prédécesseur.
Après l’impasse des élections de 1984, Peres et Shamir forment un gouvernementd’union. Premier ministre de 1986 à 1988, puis réélu ensuite Premier ministreen 1988, Shamir atteint le sommet de sa carrière. Il continue d’envisagerdifférentes possibilités pour la reprise du sommet pour la paix à Genève avecles Etats-Unis, tout en soutenant en parallèle les implantations juives“partout en Israël”.
A partir de 1988, il semble adoucir ses positions et paraît moins attaché auxAccords de Camp David sur l’autonomie. Il revoit sa propre version des termesde l’Accord, afin de pourvoir servir de base aux pourparlers avec lesAméricains. En échange d’un gel de l’administration américaine sur uneconférence internationale pour la paix israélo-palestinienne, il se montre mêmeprêt à négocier sur certaines demandes arabes.
En 1991, il est entièrement partant pour le sommet de Genève pour la paix.
Discret jusqu’à la fin
Durant la guerre du Golfe en 1992, à la demande des Etats-Unis, il seretient de riposter aux Scuds irakiens. Il admettra plus tard qu’il s’agissaitd’une des décisions les plus difficiles de sa vie. Mais entrer en guerre auraitpu détruire la coalition dirigée par les Etats-Unis et mener à un conflitrégional, voire mondial, selon lui. “ Un leader se doit de mener son peuple etd’assumer l’entière responsabilité de ses actions”, notera-t-il.
Aux élections de 1992, Shamir semble sous-estimer la popularité de Rabin. Il nepeut croire que cet ancien général militaire puisse offrir au pays ce qu’ilsemble désirer le plus : des efforts plus actifs pour la paix. Il lui sembleégalement inconcevable qu’un gouvernement israélien puisse reconnaître l’OLP,qu’il considère comme une organisation terroriste dont la destruction d’Israëlest le but ultime. Mais Rabin remporte largement le scrutin et Shamir quitteses fonctions.
L’éditeur britannique Lord Weidenfeld l’avait persuadé dès 1987 d’écrire sesmémoires et l’homme d’Etat dicte bientôt ses souvenirs une fois par semaine.
Les amateurs d’anecdotes croustillantes resteront cependant sur leur faim.Shamir demeure un homme discret, sans goût aucun pour le drame, privilégiantles questions publiques.
Il n’évoque pas non plus ses dix années au Mossad.
Le livre est pour la plupart consacré au Lehi et à la lutte pour l’Indépendanced’Israël.