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Relier Jérusalem à Tel-Aviv en une demi-heure et d’ici 2017 : voici l’enfant chéri des projets de la compagnie ferroviaire israélienne

train 521 (photo credit: Reuters)
train 521
(photo credit: Reuters)
Le mois dernier, la cinémathèque et la ville de Jérusalem fêtaient conjointement les 120 ans du train Jaffa-Jérusalem. Dans une ambiance bon enfant où étaient projetés des films d’archives qui mettaient en vedette wagons et locomotive escaladant courageusement les collines de Jérusalem, le maire annonçait alors avec fierté la prochaine ligne de train censée relier Tel-Aviv à la capitale Jérusalem.
Nir Barkat était si enthousiaste qu’il a commis un léger lapsus : alors qu’il expliquait que la nouvelle voie ferrée reprenait au sens propre et figuré le projet du premier train célébré ce soir-là, qui reliait “Tel-Aviv à Jérusalem”, du fond de la salle on le corrigea : “Non ! Le premier train allait de Jaffa à Jérusalem !” Pour le maire, en tout cas, la boucle est bouclée, Tel- Aviv - Jérusalem, Jérusalem - Tel-Aviv en une demi-heure est presque une évidence : un pays développé se doit d’avoir un train à grande vitesse qui relie ses deux villes principales. S’il faudra encore patienter cinq ans dans la salle des pas perdus pour pouvoir monter à bord, le projet est bel et bien sur les rails.
La construction est budgétisée et les responsables, confiants : selon eux, cette initiative de 7 milliards de shekels, ou “Plan A1”, qui devrait bien devenir le plus grand projet d’infrastructure du pays, sera couronnée de succès. Après de nombreuses années de délais et de frustration, ils promettent qu’en 2017, le train à grande vitesse aura un impact remarquable.
Aujourd’hui, pour parcourir ces 63 km qui séparent Tel- Aviv de Jérusalem (et vice-versa), un bus express peut mettre entre 45 minutes et plus d’une heure, selon la circulation. La seule option ferroviaire convient plutôt à ceux qui veulent prendre leur temps et admirer le paysage, car le voyage en train dure une heure et demie. Quant à la gare hiérosolomytaine, elle est loin d’être centrale pour être située aux abords du centre commercial de Malha, au sud-ouest de la ville.
Un méga-projet pour des méga-dépenses La nouvelle ligne, elle, arrivera à l’entrée de Jérusalem, et réduira le trajet à une petite demi-heure, un réel avantage pour les voyageurs d’affaires. David Ravid, directeur de la compagnie ferroviaire israélienne, confirme l’existence d’une demande du public pour des allers-retours quotidiens entre les deux villes : “Nous n’aurons aucun mal à trouver des passagers. Quatre trains quitteront chacune des deux villes à presque chaque heure de la journée.”
Ce train, le plus rapide d’Israël, atteindra la vitesse de 160 km par heure et réduira donc le temps de voyage actuel de deux-tiers. “Le voyage prendra 28 minutes et demie”, précise fièrement Ravid. Cette double voie reliera aussi l’aéroport de Ben Gourion à Jérusalem (l’aéroport est déjà relié à Tel-Aviv par un train rapide).
Il ne s’agit pas d’un projet comme un autre, mais d’un “méga-projet”, comme le surnomme Ravid.
Cette double voie traversera 56 km de terrain accidenté.
Car Jérusalem est un joyau bien protégé : la ville est entourée de collines et de ravins profonds. Pour franchir ces obstacles, il faudra construire six tunnels, dont un d’une longueur de 11 km, qui deviendra le plus long d’Israël, et bâtir dix nouveaux ponts. Au prix, l’on s’en doute, de “méga” dépenses.
Le projet comprend aussi une nouvelle gare centrale à Jérusalem dont la construction a déjà commencé. Elle sera située à 80 mètres sous terre, entre Binyanei Haouma (le centre des congrès) et la Tahana Hamerkazit (la gare centrale des autobus).
Au terme d’un trajet d’à peine trente minutes, les voyageurs en provenance de Tel-Aviv pourront donc facilement circuler vers les quatre coins de Jérusalem, soit par le bus, soit par le tram. Par ailleurs, pour un touriste qui débarquera à l’aéroport de Ben Gourion, arriver dans la Vieille Ville de Jérusalem sera une affaire de 40 minutes.
Et le train va entraîner moult turbulences sur son passage.
En premier lieu, la rénovation de la zone qui entourera la nouvelle gare de Jérusalem. Mi-août, le ministre de l’Intérieur a approuvé les plans de construction de l’entrée de la ville. Au programme : 12 nouveaux immeubles de 23 et 33 étages qui abriteront des bureaux gouvernementaux, des entreprises privées et des appartements résidentiels.
Un hôtel de deux mille chambres et un cinéma multiplexe s’ajouteront à ce quartier qui transformera complètement le paysage urbain de ce pan de la capitale.
Ce train si cher aux Britanniques La municipalité se frotte les mains et espère bien que ce million de mètres carrés de bureaux et de commerces fournira quelque 40 000 emplois. “La nouvelle gare sera le pivot central de toute la restructuration du secteur avec plusieurs milliers de mètres carrés”, note Ravid, “notre compagnie investit donc énormément dans sa construction.”
Une chose est sûre, elle sera évidemment bien différente de celle construite en 1892 par l’administration ottomane qui, à l’époque avait fait construire le premier chemin de fer dans un souci de moderniser cette petite ville provinciale qu’était Jérusalem.
Sous le mandat britannique, on a continué à investir dans ce mode de transport, précieux maillon du vaste réseau ferroviaire du Moyen-Orient, qui reliait l’Egypte au Liban, la Syrie à la Transjordanie et constituait pour les Anglais un moyen de contrôler la région.
Mais la création de l’Etat d’Israël a sonné la fin de ce réseau ferroviaire de “bon voisinage”. Quant au train en Israël même, sa maintenance et son développement étaient loin d’être une priorité majeure, et ce durant de nombreuses années. Les autobus sont vite devenus le principal moyen de transport public, parce que, selon certaines sources, les autorités au pouvoir pensaient qu’ils étaient plus à même de résister aux attaques terroristes, contrairement aux voies ferrées qui pouvaient facilement être détruites par les bombes.
En 1998, la vieille ligne de train qui reliait Tel-Aviv à Jérusalem était dans un tel état que son service a été suspendu. Le travail de réparation a duré sept ans au bout desquels la ligne a finalement été rouverte. Une rénovation peu onéreuse, car déjà, dans l’ombre se dessinait l’idée d’investir plutôt dans la construction d’une nouvelle ligne de chemin de fer équipée de trains à grande vitesse.
Obstacles naturels et politiques La première étape s’est concrétisée en trois ans par la liaison Tel-Aviv - aéroport de Ben Gourion, inaugurée en 2004 et qui connaît un franc succès. En outre, des trains de nuit ont été ajoutés pour répondre à la demande accrue de touristes qui arrivent par des vols nocturnes, une grande première pour le réseau ferroviaire israélien.
La deuxième étape consistait à relier l’aéroport à la voisine municipalité de Daniel. Une initiative retardée, pour une raison courante en Israël : la découverte de vestiges archéologiques. D’anciennes tombes ont été mises au jour à proximité de la route numéro 1, la principale autoroute qui relie Tel-Aviv à Jérusalem. “Nos travaux ont été ralentis”, admet Ravid, “mais nous avons négocié avec les autorités religieuses aussi calmement que possible pour déplacer les tombes et reprendre le travail.”
La phase actuelle repose sur l’extension de la ligne de la municipalité de Daniel jusqu’à Jérusalem. Et c’est ce tronçon qui pose le plus de problèmes en termes d’obstacles naturels.
Financièrement parlant, le dépassement du budget est un problème permanent. Au départ, l’estimation du coût flirtait avec les 3 milliards de shekels. Une somme dépassée depuis longtemps, et qui plafonne aujourd’hui à sept milliards de shekels. Chiffre qui risque d’augmenter encore au vu des travaux restants prévus sur 4 ans.
Le conflit du Proche-Orient a, lui aussi, freiné le projet : Le tracé de la ligne ferroviaire traverse la Judée-Samarie à deux endroits litigieux, vers Latroun et au nord de Mevasseret Tzion. Des groupes palestiniens ont d’ores et déjà fait pression sur les entreprises européennes impliquées dans la construction, et Deutsche Bahn, la compagnie de transport ferroviaire allemande, s’est retirée du projet.
La grogne des environnementalistes Mais l’opposition la plus grande reste de loin celle des organisations environnementales, en particulier Hahevra Leaganat Hateva, société pour la protection de la nature en Israël (SPNI).
La controverse porte surtout sur les dommages causés à l’environnement par le creusement des tunnels et l’accumulation de la saleté qu’il provoque. Ravid le reconnaît : “Nous sommes parfaitement conscients du problème.
Creuser un tunnel, au rythme où nous le faisons, amène à gérer d’énormes quantités de terre et de poussière qui peuvent atteindre des millions de mètres cubes.” Il ajoute : “Nous les déplaçons alors dans des endroits spécifiques pour minimiser leur impact sur l’environnement.”
De son côté, la SPNI, dénonce les conséquences désastreuses sur l’environnement, comme sur le cours d’eau Yitla, si ancien qu’il est mentionné dans la Bible, et qui traverse un parc national. L’organisation a proposé une solution : remplacer le pont et les deux tunnels initialement prévus par un tunnel plus long et profond qui, selon eux, causerait moins de dommages à la vallée et à la rivière.
Le ministre des Finances et la compagnie du transport ferroviaire s’y sont opposés. Le ministère de l’Environnement, la SPNI et plusieurs autres groupes verts ont présenté des pétitions à la commission de la planification de la région de Jérusalem, mais cette dernière a donné raison au projet initial de la compagnie ferroviaire.
En août 2009, un appel à la commission des infrastructures nationales s’était aussi soldé par un échec : la commission a statué en faveur du pont sur la rivière Yitla, comme proposé par la compagnie ferroviaire. Et ce, même si c’est sous réserve des modifications à apporter pour réduire sa portée négative sur l’environnement.
La SPNI n’a pas caché sa déception suite aux décisions prises : “Le dommage environnemental que nous avions prédit est en train de se produire, et il est irréversible”, constate amèrement Dov Greenblatt, porte-parole de l’association.
“La vallée est un lieu de vie pour nombre de plantes et d’animaux. La compagnie ferroviaire prétend que la construction d’un long tunnel augmenterait lourdement les coûts, ce qui est faux, et c’est malheureux que l’environnement en souffre.”
De son côté, Ravid se déclare très soucieux des questions écologiques : “Nos travaux préservent la rivière dans ses conditions naturelles et nous prenons garde de ne pas endommager l’environnement. Je suis d’ailleurs satisfait de voir que, contrairement aux années précédentes, la compagnie ferroviaire a modifié son attitude face à ces problèmes et les prend au sérieux. Il y a eu récemment des conflits concernant le bruit des travaux et les troubles que cela pourrait causer aux habitants de la localité de Mevasseret Tzion, située près des nouvelles voies ferrées.
Nous avons fait tous les efforts possibles pour que le niveau sonore soit raisonnable. Nous aussi, nous sommes concernés et il n’y a pas de conflit entre nous et les environnementalistes.”
Quid d’Eilat ? La nouvelle ligne Jérusalem-Tel-Aviv a un objectif clair : l’efficacité, transporter les passagers le plus vite possible.
Si de ce point de vue, l’ancienne ligne est certainement insatisfaisante, ce voyage en train d’une heure et demie offre une vue panoramique charmante. Quant au bus, il prend certes moins de temps, mais ne traverse pas les collines. “Nous n’avons pas encore décidé de ce que nous ferons avec la vieille ligne Tel-Aviv - Jérusalem”, dit Ravid.
“Elle a beaucoup de valeur comme attraction scénique et touristique, et nous pensons l’utiliser dans ce but.”
La compagnie ferroviaire est propriétaire de l’ancienne gare et de ses alentours, vers le théâtre Han. En conjonction avec la corporation du développement de Jérusalem, elle a loué la plupart des entrepôts. Un espace public peuplé de restaurants et d’attractions va ainsi voir le jour au centre de Jérusalem. Cela convient à tous, et Ravid a l’intention de continuer dans cette direction.
Outre cette ligne vedette Tel-Aviv - Jérusalem, la compagnie ferroviaire travaille sur plusieurs autres projets.
Comme celui de relier Kfar Saba et Raanana, localités situées au nord de Tel-Aviv, à la ligne ferroviaire côtière et de construire deux nouvelles gares à Raanana.
Autre proposition à l’étude : réduire le temps de trajet entre Tel-Aviv et Beersheva, la capitale du Sud, à 55 minutes, contre une heure et quart à l’heure actuelle.
Mais aussi établir une ligne directe entre Beersheva et Ashkelon, sur la côte méditerranéenne. Enfin, la construction d’une gare à Zichon Yaacov est envisagée, qui sera reliée à Haïfa et Tel-Aviv, toujours sur cette ligne côtière, avec d’autres liaisons ferroviaires comme celle qui permettrait aux passagers en provenance de Tel-Aviv d’arriver à Kyriat Gat, au sud, en une demi-heure environ.
Mais quand on parle de train en Israël, il y a une question qui revient toujours : “Quand Eilat - ville située au bord de la mer Rouge et la plus au sud d’Israël - sera-t-elle finalement reliée par train au reste du pays ?” Il s’agirait alors là d’un “méga-méga” projet qui exigerait la construction de dizaines de ponts sur les 350 km de route.
“La planification d’un train pour Eilat est déjà en place”, dévoile Ravid. “C’est un projet d’une importance nationale et nous avons réalisé beaucoup d’études préparatoires à ce sujet. Désormais, sa réalisation dépend du gouvernement et bien entendu de l’allocation budgétaire.”