Etudes silencieuses

Le premier kollel spécialement destiné aux malentendants a ouvert à Jérusalem.

0602JFR22 521 (photo credit: Courtesy Maassé Nissim)
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(photo credit: Courtesy Maassé Nissim)
Silence, on étudie. Chez les Tolidano, on est rabbin de père en fils depuis desgénérations.
Pourtant Yossef s’est vu refuser l’accès au Talmud. Parce qu’il est sourd. Pouréviter le même rejet à d’autres, il a ouvert le premier kollel pour hommesmalentendants au monde.
Voilà 8 mois qu’il a accueilli ses premiers élèves au kollel (institut d’étudesrabbiniques et talmudiques) qu’il a appelé Maassé Nissim, ce qui signifie enhébreu « faiseur de miracles ». 15 jeunes hommes ont désormais la possibilitéde relever les innombrables défis de l’étude de la Torah : les débatspassionnés, la finesse des commentaires, les détours parfois sinueux de lalogique et les définitions précises qui fondent la loi juive, à la base duTalmud.
Ces joies ont longtemps été refusées aux sourds car le Talmud est,fondamentalement, une tradition orale. Il faut, par exemple, écouter trèsattentivement, pour savoir si une intonation particulière pointe une question(« koushia » en Araméen) ou sa réponse (« terutz »). Chacune de ces subtilitésest nécessaire pour la compréhension des textes. Et lire sur les lèvres nesuffit pas à les faire passer.
La yeshiva fonctionne du dimanche au jeudi au kollel du rabbin Moshé Fetehi, àJérusalem. En y pénétrant, on est saisi par le contraste avec les bruyantesrues de la ville.
D’intenses échanges intellectuels ont lieu et, pourtant, un profond silencerègne. Les havroutot (partenaires d’étude) débattent de certains points de laloi juive, leurs mains filant à la vitesse de l’éclair.
Tolidano se déplace dans cette silencieuse cacophonie, s’assoit avec chaquepaire d’étudiants et ajoute des commentaires à la fois en langage des signes etpar la parole. L’homme est né il y a 31 ans à Tel- Aviv, deuxième d’une fratriede 5 enfants.
Ses parents sont le rabbin Yohanan et Oshra Tolidano.
Né sans handicap, il contracte dans l’enfance une méningite qui le laisse sourddes deux oreilles. Il est néanmoins scolarisé dans une école d’enfantsentendants, apprend à lire sur les lèvres et à parler. Souvent, dans lesfamilles religieuses, les enfants sourds demeurent parmi les entendants et sedébrouillent, bon an mal an, avec une parole limitée et la lecture sur leslèvres, ce qui occasionne de nombreux malentendus.
Mais la mère de Yossef lui fait apprendre la langue des signes, et va mêmejusqu’à inviter un professeur chez eux pour donner à d’autres mères et enfantsl’opportunité de mieux communiquer.
Que se passe-t-il après le lycée ? Désormais, les élèves de Tolidano, qui ontentre 25 et 35 ans, ont droit au même traitement. Certains connaissaient déjàla langue des signes israélienne, ou américaine, avant d’entrer à Maassé Nissim,mais pour d’autres, c’est la première opportunité d’apprendre à communiquer entoute liberté.
« Même s’ils connaissent quelques signes, la plupart des enfants sourds sontgênés de parler avec leurs pairs et restent renfermés », explique Tolidano. « Ici,ils peuvent s’ouvrir aux autres et vraiment s’exprimer ».
Le fondateur du kollel sait de quoi il parle.
Il a lui-même passé 15 ans en yeshiva avec 400 autres élèves. « C’était trèsdifficile », se remémore-t-il, « même si j’avais un bon compagnon d’étude quis’asseyait avec moi et me réexpliquait scrupuleusement les leçons de la journée». Mais « le constant effort pour lire sur les lèvres 4 heures de cours durantétait un lourd tribut à payer ».
C’est à l’étranger, à Toronto, où il a enseigné pendant 2 ans à la YeshivatNefesh David, un programme pour garçons sourds de 13 à 18 ans, que Tolidanos’est mis à songer au sort de ses élèves après le lycée. « Estce la fin deleurs études thoraïques ? » se demandait-il. « Et quid des milliers demalentendants juifs qui n’ont jamais eu la chance d’étudier de cette manière ?».
L’idée fait son chemin et le conduit à donner vie au premier kollel conçuspécialement pour les besoins de ces jeunes gens. Il a choisi de lui donner lenom de son grandpère, Rabbi Nissim Tolidano, qui avait ouvert une yeshivaséfarade, Sheerit Yossef, en 1963 à Beer Yaacov, près de Ramle. Après avoirformé des milliers d’élèves pendant plus de 50 ans, le rav est décédé en juindernier.
« A chaque étape, je ressens la fierté de mon grand-père et sa bénédiction »,confie Tolidano.
Capables d’étudier comme n’importe qui 
Pour Fetehi, dont les propres élèvesétudient bien plus bruyamment dans la classe d’à côté, les rabbins de lafamille Tolidano « forment une chaîne qui ne s’est jamais brisée ». Tolidano,ajoutet- il, « descend d’une famille de chefs spirituels, et il en est unlui-même. Je m’en suis aperçu dès notre première rencontre. J’ai su qu’il étaitle type de personne qui peut souder ensemble un groupe issu d’horizons sidifférents et aux aptitudes à communiquer si variées.
« Aujourd’hui, ils sont là et ils commencent à se sentir mieux appréciés. Aprèstoutes ses années, ils savent désormais qu’ils sont autant capables d’étudierque n’importe qui ».
Hillel Inglis a eu la chance d’être inscrit au programme spécial de Toronto entant qu’adolescent, puis est passé dans une yeshiva « normale ». Jusqu’àl’ouverture de Maassé Nissim, ce natif de Londres n’avait pas eu l’opportunitéde poursuivre son éducation de façon optimale.
« Lorsqu’on n’entend pas tout, on passe à côté de certains points importants »,explique le jeune homme qui, à 25 ans, porte des appareils auditifs dans chaqueoreille. « Yossef nous fait changer de havrouta toutes les deux heures, pourque nous puissions nous aider mutuellement du mieux possible, car, bien quetous les élèves soient très intelligents, la plupart n’ont pas eu l’occasion des’entraîner à l’étude de la Guemara. Et là, tout d’un coup, ca vient ».
« Nous sommes une vraie famille », renchérit Mordechaï Weisman, un jeuneIsraélien de 25 ans aux peot châtains et au rire communicatif. « Selon monépouse, j’ai bien plus confiance en moi maintenant que je peux vraiment medévelopper intellectuellement », confie-t-il. « C’est comme si j’étais enfin enpossession de mon plein potentiel ».
Un potentiel qui émerveille son professeur, dont le rêve est de voir denombreux malentendants, religieux comme laïcs, étudier la Torah ensemble.Tolidano voyage fréquemment, en Israël et à l’étranger, pour lever des fonds.
Il n’y a pas de frais de scolarité, car Fetehi prête la salle de classe à titregracieux.
Chaque étudiant reçoit une bourse mensuelle de 400 dollars par mois poursubvenir à ses besoins. Quant à l’avenir, Tolidano a des objectifs ambitieux :« Je souhaite que chaque malentendant juif puisse se considérer comme l’égaldes autres étudiants. Qu’il ait confiance en lui et se sente à l’aise, qu’ilpuisse poser les questions qu’il n’a jamais pu poser avant dans unenvironnement sécurisant ». Et de conclure : « Il y a encore beaucoup à faire».