Expliquer Israël autrement

Redorer l’image d’Israël auprès de l’opinion publique et des médias internationaux. Telle est la mission de The Israel Project qui va fêter cette année ses 10 ans

Qui dit Israël, pense en premier lieu conflit israélo-palestinien. Et c’est en particulier vrai pour les médias français, qui prêtent une attention toute particulière aux “colonies” de Judée- Samarie. Sans doute le fruit d’une efficace politique de communication de l’Autorité palestinienne. Mais pas seulement. Pour preuve : le traitement médiatique réservé à l’Etat juif n’est pas le même dans la presse allemande et anglo-saxonne.

Car chaque pays aborde l’actualité à travers son prisme culturel ou historique. Ainsi, le passé colonialiste de la expliquerait sa grille de lecture du conflit israélopalestinien. Conséquence : le pays de Molière afficherait un intérêt accru pour les questions de démocratie et de droits de l’Homme.

De l’autre côté du Rhin, la tendance est différente. Dans une Allemagne toujours empreinte d’un fort sentiment de culpabilité par rapport à la Shoah, l’opinion serait surtout sensible aux questions économiques, comme le high-tech ou les énergies vertes.
Sur le plan sémantique aussi, les nuances sont de taille. Les Français, empêtrés entre le terme “colonie” et ses fortes résonances passéistes et la notion “d’implantation”, pensent à tort que les Anglais n’ont pas de dilemme rhétorique avec le mot “settlement”. Que nenni. Lors d’une visite en Israël en novembre dernier, le maire de Miami, Carlos Gimenez, critiquait le terme pour ses références au “Far-West et à ses pionniers”, préférant parler de “communauté” ou “lotissement”. Tout l’enjeu de la communication israélienne consiste donc à adapter intelligemment son discours à ses interlocuteurs.
Parler d’Israël aux Chinois

Et c’est précisément là un des défis de The Israel Project (TIP). L’objectif principal de cette ONG américano-israélienne : fournir des sources d’information alternatives aux médias mondiaux. Car les cadres de l’association dénoncent “la désinformation et une uniformité de prises de position en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien”, dans la presse. Julie Hazan, responsable de la branche européenne du bureau hiérosolomytain explique : “On observe des différences de mentalité même entre pays européens. Ce qui nous oblige à travailler par zones géographiques”. Une conclusion obtenue à partir d’enquêtes et d’entretiens avec des groupes de travail (ou focus group) quant à la doxa en vigueur dans chaque pays concerné.

Depuis sa création, TIP avait centré son travail sur deux zones d’activité privilégiées : les Etats-Unis et l’Europe, où l’antisémitisme est grandissant. Mais en 2012, l’heure est aux pays émergents. TIP va ainsi entamer trois grands chantiers : la Russie, la Chine et l’Inde notamment, avec qui Israël célèbre cette année 20 ans de relations bilatérales. Au programme de l’ONG : l’organisation de visites de ces journalistes étrangers, qui vont alors relayer une image d’Israël pour le compte d’une opinion publique - en particulier en Chine - largement étrangère au conflit israélo-palestinien. Et “l’intérêt n’est pas non plus le même pour les questions des droits de l’Homme”, poursuit Hazan.
Peut-être plus original, l’ONG commence à trouver un écho dans les pays arabes suite à la constitution d’une équipe arabophone : Laura Kahn, directrice exécutive pour les affaires internationales au sein de l’organisation était ainsi longuement interviewée le 2 janvier dernier par le quotidien marocain Le Soir-Echos, sur les droits de la femme en Israël.
Tordre le cou à la désinformation

A l’origine de l’association : l’activisme de la communauté juive américaine. Plus précisément celui de Jennifer Laszlo Mizrahi. Au palmarès de cette ancienne assistante parlementaire spécialiste des relations internationales : une formation professionnelle couplée à un attachement à Israël, lui-même nourri par un passage à l’université hébraïque de Jérusalem et une carte d’adhérent à l’AIPAC.

En 2002, au pire de la seconde Intifada, Mizrahi décide de mettre son expérience de consultante politique au service d’Israël, dont l’image est largement ternie à l’étranger à la suite du pseudo “massacre de Jénine”, lors de l’opération Rempart en avril de la même année. Elle forme alors un trio avec Sherryl Shwartz, avocate et philanthrope, et Margot Volstein, ingénieure high-tech originaire d’Ukraine, qui crée The Israel Project.
Depuis, le groupe a gagné en importance, fort de près de 70 employés répartis entre et Jérusalem. Son financement, malgré une ouverture internationale croissante, provient “à 99 % de dons privés américains”.

TIP organise son travail en deux parties : d’une part fournir aux 470 journalistes étrangers présents en Israël et aux quelque 76 000 autres journalistes répertoriés sur les bases de données de l’ONG des informations de fond sur différents thèmes reliés à Israël. D’autre part, promouvoir une image différente de l’Etat hébreu en soulignant des aspects moins connus du pays, tels sa vitalité économique. Le site Internet de l’organisation offre ainsi des “kits presse”, sur des thèmes aussi divers que l’Iran, les libertés religieuses, les droits des femmes ou Jérusalem.

Ne pas oublier les politiques

Car TIP ne veut pas se limiter à une guerre des récits “parole contre parole”, lors de crises dans la région. Au contraire : ce qui fait sans doute l’intérêt et, clame sa direction, le succès de The Israel Project, c’est son travail en amont.

Lors du départ de la seconde “flottille de la liberté pour Gaza” en juin dernier, TIP avait ainsi fait le déplacement à Marseille. Dans ses bagages, l’ancien ambassadeur d’Israël en , Yehouda Lancri, venu apporter sa pour dénoncer le départ de bateaux du port français. Il publiera par la suite, grâce aux efforts de TIP, une tribune dans Le Monde, alors que l’intervention n’avait pourtant été couverte que par les médias régionaux (dont La ), relayés par l’AFP.
Si les médias sont centraux pour leur poids sur l’opinion publique, les décideurs politiques ne sont évidemment pas oubliés : The Israel Project communique “étroitement” avec les diplomates présents en Israël. Julie Hazan, de la branche européenne du bureau hiérosolomytain explique : “Nous sommes également en contact avec les parlementaires des différents pays et fournissons des informations aux activistes juifs locaux qui peuvent être plus à même de défendre Israël sur place.”
Prochain projet européen de l’ONG : la venue du diplomate et ancien consultant pour la région Moyen-Orient de l’administration Obama, Dennis Ross, à Bruxelles et à Londres, pour une rencontre avec la presse. Sur le thème de la menace iranienne. Car Julie Hazan insiste : The Israel Project n’est pas un organe de propagande du gouvernement israélien, mais une organisation qui a pour vocation de donner des informations factuelles sur cette partie du monde. En clair, les questions politiques sont soigneusement évitées. L’organisation se concentre avant tout sur “la défense de la démocratie israélienne que l’on met à mal quand on s’oppose systématiquement à son gouvernement élu.”
Un travail de longue haleine

Mais la question demeure : tout ce travail pour quels effets ? Qui peut dire percevoir une amélioration dans le traitement d’Israël par les médias ? Et même si ce travail toujours fragile semble parfois porter des fruits, tout n’estil pas à recommencer à la moindre reprise des hostilités (cf. opération Plomb durci) ? Quatre ans après l’ouverture de la branche européenne, Hazan défend un premier bilan plutôt positif. “Le but n’est pas de tout faire changer du jour au lendemain mais d’établir un contact entre journalistes et experts israéliens.

C’est ce que nous avons fait avec Einat Wilf [députée du parti Aatsmaout, Indépendance], qui a pu rencontrer des journalistes français, ce qui a donné lieu à un article dans Le Monde.” Et peut-être aussi influencé Adrien Jaulmes du Figaro, qui avait désigné Wilf comme futur Premier ministre du pays dans son article prospectif de l’été dernier “Israël en 2020.”
“Les journalistes [15 000 francophones figurent sur les bases de données de l’ONG] nous reçoivent, nous accueillent, et même s’ils ne sont pas d’accord, nous écoutent. C’est du travail de longue haleine”, ponctue Hazan.