Interview de David Shoushana, candidat à l’élection du Grand Rabbinat de France

Qu’attendez-vous du GRF ? Quels sont vos espoirs et vos craintes pour cette fonction ?
La vraie question est plutôt de savoir ce que la communauté attend du nouveau GRF. Placer la communauté au cœur de l’action du GRF, c’est bien là que se concentrent toutes les attentes.

Quant aux craintes liées à ce poste, elles sont connues : ne pas avoir une marge de manœuvre suffisante pour mettre en place des réformes nécessaires. Le GRF n’est pas un acteur isolé sur l’échiquier communautaire, et les résolutions indispensables qu’il entend engager pour faire avancer l’institution et notre communauté ne peuvent se faire qu’en partenariat avec le président du Consistoire, le Grand Rabbin de Paris et le Directeur du Séminaire, qui resteront ses plus proches partenaires et collaborateurs.

 

Le GRF est-il le rabbin des Juifs orthodoxes ou doit-il aussi représenter les Haredim, les Loubavitch, les Massortis et les Libéraux ?

Le GRF se doit  de représenter tous les Juifs qui veulent reconnaître en sa personne l’incarnation des valeurs authentiques du Judaïsme. Cette reconnaissance n’est pas statutaire, elle se mérite. Par son exemplarité, son enseignement et sa personnalité, il devra fédérer tous les courants du Judaïsme qui restent attachés à la Torah authentique telle qu’elle nous a été transmise depuis Moshé Rabbénou et en transitant par tous les Sages de toutes les générations.

Comme dans le Désert, sous une même bannière, différentes tribus, chacune selon sa spécificité, se retrouvaient à équidistance autour de la Tente d’assignation qui contenait les tables de l’Alliance et qui constituait le point de ralliement de tous les enfants d’Israël. 

 

Quel est le réel pouvoir du GRF ?

Je récuse le terme de pouvoir. Je lui préfère celui d’Autorité. Une autorité morale fondée sur sa parole, elle-même reflet de l’enseignement de nos Sages. Pour autant cette autorité ne saurait se passer de l’humilité, vertu cardinale, que ne doit cesser d’incarner le futur GRF ; s’inspirant modestement de l’enseignement de Moshé notre Maître.

 

Envisagez-vous  de créer un Beth-Din de France ?

Si la faisabilité et la concrétisation d’un tel projet dépasse les prérogatives du GRF, il pourra néanmoins uniformiser les Labels ainsi que mettre au point des critères dans les différents domaines de la vie juive comme les conversions, célébrations de Bat Mitzva et obtention du Guet. J’ai moi-même expérimenté avec succès à Nice ce genre d’initiatives fédératrices et nécessaires.

Ou une Kasherout BDF comme l’avait tenté le Rav Sitruk ?

La question est complexe. L’enjeu, national, est d’envergure. Et ne peut se contenter de démagogie. Car la création d’un BDF ne pourra voir le jour que si tous les protagonistes acceptaient de créer ensemble un collège de Dayanims pour réfléchir dans un premier temps à un consensus mutuel autour des thèmes précités. J’entends que ce n’est pas la réponse positive et lapidaire que le lecteur pourrait attendre. Mais si l’ambition d’une kasherout homogène et cohérente nous interpelle tous, sa mise en place, pour garantir sa pérennité et sa légitimité, doit suivre ces étapes préliminaires indispensables.

Comment envisagez-vous le partage des rôles et fonctions entre le Président du Consistoire de France et le GRF ?
Comme je l’ai fait jusqu’à présent dans les différentes communautés et comme nous l’enseigne la Torah : « Le vrai Sage est celui qui connaît sa place ». Cet enseignement se passe de commentaires.

 

Quel sera l’impact de la fusion entre le Consistoire de France et le Consistoire de Paris ?

Les plus favorisés seront les Rabbins qui dans toute la France dépendront d’une même institution.

Ce qui réglerait les problèmes de salaires ainsi que des plans de carrières.

Il faut souligner que dans une telle fusion, il est évident que l’objectif n’est pas d’avaler les petites communautés mais au contraire d’apporter tout le soutien, la logistique et les moyens des grandes communautés. Après tout, la communauté, c’est aussi mettre en commun les forces des uns pour aider les autres.

 

Quelle sera votre action sur le douloureux sort des Agounot qui vient de ressurgir crument à la lumière ? Pressions psychologiques, financières, agrément prénuptial, modification des lois, ... ?

Comme précisé précédemment, il est impératif que tous les Baté Dines de France accordent leurs violons, afin d’apporter des solutions concrètes, en se basant sur des expériences d’autres Baté dines, en Angleterre, aux USA ou en Israël. Il faudra bien entendu, agir en conformité, avec les Lois régissant notre société française. Mais les solutions existent, elles sont à portée de main. On ne peut plus laisser croire que la moitié de notre peuple, celle des femmes, est défavorisée.

 

Que proposez-vous pour mobilier la jeunesse juive de France ?

Le GRF se doit d’être proche et présent dans les différents Lycées Juifs de France.

Dés ma nomination au poste de GRF, je me rendrai disponible afin de mettre en place ces dispositions le plus tôt possible. Mon expérience auprès des élèves juifs,  dans les écoles laïques et juives, me donnent une idée assez précise de cet engagement.

Par ailleurs, nous avons un outil exceptionnel à travers tous les mouvements de jeunesse  dont les EEIF, Tikvatenou, le Bné Hakiva,  la Hazak, qui fait un travail de terrain formidable. Il faut passer la seconde, et généraliser ces initiatives.

Enfin il est clair, comme nous le vivons en tant que parents, que le meilleur enseignement restera l’exemple que nous montrons à nos enfants. A nous donc, adultes de motiver nos jeunes à intégrer notre communauté pour en assumer demain la responsabilité.

 

 

L’Alyah connait un essor de 400 % d’une année sur l’autre. Quel est votre avis sur ce sujet ? Et que diriez-vous à un candidat à l’alyah ?

En hébreu, le mot Alya évoque surtout une élévation spirituelle et donc, j’encouragerais nos fidèles à envisager leur installation en Israël si elle constitue une véritable progression pour eux et leurs enfants. Personnellement, je considère que cette augmentation n’est que le prélude à la Délivrance finale comme annoncé par nos Prophètes. Qui ne s’en féliciterait pas ?

 

Comment comptez-vous utiliser Internet et les réseaux sociaux ? Il y a peu ou pas de cours ou réponses du Consistoire en ligne alors que d’autres sites sont très présents sur le Web.

Plus que jamais de nos jours où l’information est devenue mobile, sociale, la Communication reste la vitrine de toute institution et de ce fait, il faudra s’entourer de professionnels afin que le Consistoire soit à la pointe dans ce domaine. Et des professionnels en Nouvelles Technologies, la Communauté n’en manque pas !

Pourquoi ne pas envisager, par exemple, dans le cadre d’un Talmud Torah National, des cours en ligne ainsi que la préparation à la Bar Mitzva ou au mariage par des Rabbins qui pourraient communiquer via Internet. L’explosion des MOOCS (cours en ligne ouvert et massif) dans les domaines profanes, et l’incroyable succès qu’ils remportent, nous montrent déjà la voie. Soyons innovants et en phase avec notre époque, encore plus pour atteindre des juifs éloignés géographiquement de tout centre de Torah, et qui ne demandent qu’à en profiter. Cela fait notamment partie des leçons que j’ai pu tirer de mes expériences en Province.

 

Comptez-vous élargir la liste des produits casher disponibles sur le marché agro-alimentaire à l’image du OU Américain qui permet aux juifs de s’approvisionner en grande surface à des prix souvent plus abordables qu’en magasin casher ?

Nous disposons d’un outil exceptionnel qui est le Séminaire de la Rue Vauquelin pour former des Chomrims qui pourraient sillonner des usines, afin d’élargir le choix de produits surveillés. On doit une fois encore, penser aux petites communautés, éloignées des grandes villes, dans lesquelles il faudra mettre des Rayons Casher, afin de faciliter l’accès à la Cashrout pour ces consommateurs. Les Etats-unis depuis plus d’un demi-siècle y sont parvenu. Pourquoi pas nous ?

De même, l'abattage rituel est un sujet remis régulièrement sur la table. Comment comptez vous convaincre les dirigeants Européens et Français de conserver cette possibilité aux Juifs de France ?
Je répondrais aux deux questions en même temps. Outre le danger que constitue l’atteinte à ces deux valeurs fondatrices de notre culte, je voudrais apporter une réflexion plus spirituelle.

Nous devons savoir interpréter les signaux que le Maître du Monde nous envoie, au travers des évènements qui nous touchent directement. En l’occurrence, la Mila symbolise la pureté de l’Alliance, par le Respect des relations que tout Homme Juif se doit de respecter. En éduquant nos jeunes à la gravité d’une telle faute, nous assurerons la Pureté dans le Couple juif par le Respect des Lois de la Pureté familiale, sans parler des mariages endogamiques (Non Mixte). L’abattage rituel, la Chehita, est quant à lui, le symbole de la Pureté qui passe par la Consommation de produits Casher.

Comme nous l’indique la Torah, la consommation d’animaux impurs entraîne une obstruction qui se traduit par une indifférence, une insensibilisation, au message spirituel.

D’ailleurs ne trouvez-vous pas étrange que l’Europe s’interroge sur les deux domaines qui touchent à notre survie de Peuple Saint : la reproduction et l’alimentation ? Et précisément dans un domaine spirituel particulier : celui de la Kedousha, la sainteté ?

Aussi, nous devons tout mettre en œuvre pour défendre notre liberté de conscience religieuse, droit fondamentale de cette Europe nourrie aux Droits de l’Homme et en particulier au sujet de de la Brit Mila et de la Chehita.

 

Enfin, quels sont les vœux que vous formulez pour votre mission si vous êtes élus le 22 Juin ?

Pouvoir gagner le Respect et la Confiance de tous mes collègues, au prix d’une transparence, d’une ouverture et d’une exemplarité sans faille. Et ce, afin de travailler main dans la main pour faire face à tous les défis que connaît et connaîtra notre Communauté.

 

Et que souhaitez-vous à la Communauté juive de France ?

Je souhaite qu’elle soit un exemple de solidarité, de probité et de fraternité pour toute la société française et pour l’ensemble des Communautés juives de par le Monde. Vœu pieux diront les sceptiques et les cyniques ? Il ne tient qu’à nous de prouver que lorsque les juifs de France le veulent vraiment, ils le peuvent.