La portée politique d’un pèlerinage

Le pape s’est adonné à un exercice diplomatique difficile en voulant honorer à la fois les Palestiniens et les Israéliens, le judaïsme et l’islam. Son voyage religieux a pris une tournure politique et offert l’opportunité de stigmatiser l’Etat hébreu

La portee politique d'un pelerinage (photo credit: REUTERS)
La portee politique d'un pelerinage
(photo credit: REUTERS)

 

Un séjour placé sous le signe du dialogue interreligieux. Le pape François était pour la première fois dans l’histoire des voyages pontificaux accompagné par des représentants des deux autres monothéismes, son vieil ami Abraham Skorka, rabbin de Buenos Aires, et Omar Abboud, président de l’Institut pour le dialogue interreligieux de la capitale argentine.

Avec son « Evangelii Gaudium » (La joie de l’Evangile) paru après le tollé causé dans le monde musulman suite aux propos de Benoît XVI à Ratisbonne en 2006 qui semblaient lier islam et violence, le pape François s’est inquiété d’épisodes de fondamentalisme violent. Mais il a invité à éviter « d’odieuses généralisations… parce que le véritable islam… s’oppose à toute violence ». C’est la Jordanie et les Territoires palestiniens que le pape François a choisis pour débuter son pèlerinage de trois jours, avant de se rendre à Jérusalem. A Amman, il a rendu hommage aux victimes du conflit syrien et lancé un appel pour que cesse la persécution des chrétiens en forte augmentation dans cette région du globe et en Afrique. Selon l’Index mondial des persécutions de 2014, les Territoires palestiniens et Gaza y figurent en 33e position.

Un réveil tardif

Pourtant, la persécution des chrétiens est une préoccupation récente pour le Vatican. « On assiste depuis cinq ans à une prise de conscience », reconnaît Michel Varton à la tête de l’ONG « Portes ouvertes », qui produit cet Index annuel. « Avant, c’était le silence dans les églises et les médias séculiers. Le réveil est venu suite à l’attentat de Bagdad contre l’église chaldéenne et celui d’Alexandrie, il y a quatre ans », note-t-il. « L’Eglise catholique a alors pris position. Mais les courants protestants et évangélistes font preuve de plus de solidarité envers les chrétiens persécutés », reconnaît-il.

D’Amman, le pontife s’est envolé pour Bethléem. Selon la loi fondamentale palestinienne, qui tient lieu de constitution, la religion officielle des territoires est l’islam ; et la législation palestinienne est basée sur la charia (loi islamique). Les chrétiens ne sont plus que 2 % à Bethléem alors qu’ils étaient 90 % en 1948. « Les autorités ne protègent pas les droits des chrétiens en tant qu’individus. Les pressions subies ne cessent d’augmenter et la peur grandit au sein de la communauté » rappelle le directeur de Portes ouvertes. La position officielle de l’Eglise est d’attribuer à Israël et à « l’occupation », les raisons de ces persécutions et ces discriminations : « Les chrétiens de Palestine subissent aux côtés de leurs compatriotes musulmans les souffrances et humiliations quotidiennes qu’entraîne l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza depuis 1967… et ils sont souvent tentés d’émigrer », peut-on lire sur le site officiel du voyage papal.
« Il est très difficile pour un chrétien d’Orient de prendre fait et cause dans le conflit israélo-palestinien, surtout quand il vit entouré de musulmans. Toute son existence et celle de sa communauté peuvent vaciller sur une déclaration. Ainsi, il faut attendre que les chrétiens d’Orient quittent le monde musulman pour que les langues se délient », confie avec courage Frère Louis Marie du monastère d’Abu Gosh.
Lors d’une visite au camp palestinien de Deisheish, le pape François a décrit le conflit israélo-palestinien comme « inacceptable » et imploré les deux parties à trouver une solution pacifique. Puis il a célébré une messe sur le fronton de la basilique de la Nativité devant une toile peinte pour la circonstance par un artiste local, sans se froisser de ce qu’elle représentait la Crèche, avec au centre le nouveau-né Jésus, emmailloté dans un keffieh, assorti au couvre-chef de son père Joseph, évoquant un Jésus palestinien et non plus juif.
Puis il s’est recueilli au pied de la barrière de sécurité, laquelle s’érige en mur en cet endroit. Une décision qui a permis aux médias du monde entier de photographier le pape sous l’inscription : « Bethléem, c’est Varsovie ». Le porte-parole du pontife s’est empressé le lendemain de préciser que le Vatican est conscient que ce mur sert à préserver Israël d’attentats terroristes, mais il est fort probable que l’image sera exploitée dans la stigmatisation de l’Etat juif, de même que les souffrances des minorités chrétiennes, pour faire d’Israël un bouc émissaire alors que le pays mène une lutte existentielle pour sa survie.