Le pays du lait, du miel... et de la psychanalyse !

Plus de 110 ans que Sigmund Freud a jeté les bases de la théorie psychanalytique. Si aujourd’hui la psychanalyse est menacée dans bon nombre de pays, elle reste dominante en Israël, malgré l’explosion des thérapies courtes. Tour d’horizon

psycho (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

Shoah, guerres, terrorisme, accidents de la route, violencedomestique... La liste des victimes est longue en Israël et le traumatisme,pour les survivants et les endeuillés, est immense. Une raison qui expliquesans doute pourquoi le pays est devenu un “laboratoire du stress” pour leschercheurs en psychologie.

Alors qu’elle est en déclin, et souvent considérée comme obsolète en , enAngleterre et aux Etats- Unis, la psychanalyse, et ses dérivéspsycho-dynamiques, sont jusqu’à présent très influents en Israël. Les métiersthérapeutiques, très respectés, y sont représentés en grand nombre. On compteaujourd’hui près de 8 000 membres inscrits sur les listes du Ministère de laSanté. L’armée, notamment, est un grand employeur de thérapeutes, avec troisimportants services de soins et soutien, dont un spécialement dédié aupersonnel de l’aviation.
Une réalité qui a de quoi surprendre de la part du pays des start-ups, Etatinnovant et à la pointe de la recherche. Car l’argument scientifique est lepremier utilisé par les neurosciences et les thérapies cognitives pourcontester la psychanalyse : celle-ci serait dépassée par les progrès de larecherche et les méthodes psychiatriques. En d’autres termes, si le traitementd’une névrose nécessitait une analyse longue et poussée au temps de Freud, ellese soigne aujourd’hui par un suivi médicamenté.
La première Société de Psychanalyse en Israël (IPS) voit le jour avant lacréation de l’Etat, en 1934 à Jérusalem, par Max Eitigon, célèbre élève deFreud. Ce dernier avait rêvé que l’Université hébraïque soit la première àfonder une chaire de psychanalyse, mais tel n’a pas été le cas. Même si Freudse déclarait athée, il existe des liens évidents entre psychanalyse etjudaïsme, ce qui explique peut-être le vif attachement à la méthode en Israël.Gérard Hadad, analyste juif d’origine tunisienne, a ainsi montré comment leTalmud préfigure la psychanalyse dans plusieurs de ses pointsclés(interprétation des rêves, inconscient, sexualité infantile, etc.). Laconnaissance des textes bibliques ainsi que sa culture juive auraient influencéFreud, tout autant que Shakespeare et la mythologie grecque.
Plus simplement, la culture de l’intellect, de l’étude et de l’interprétationde textes talmudiques pourrait expliquer la persistance de la psychanalyse dansl’Etat juif où la contribution freudienne à la psychiatrie moderne estindéniable.
Le parcours du combatant

En ,les cursus de psychologie sont très faciles d’accès. Le baccalauréat en poche,une simple lettre de motivation suffit pour entrer en Deug puis Licence depsychologie dans les universités. Une moyenne acceptable et le nombre de placesde chaque Master constituent ensuite les seuls obstacles au second cycle. Ungrand nombre de psychologues formés arrivent donc sur le marché du travail auterme de cinq années d’études, sans que celles-ci ne soient valorisées.

Par opposition, la psychologie est en Israël une filière d’excellence qui exigedes scores psychométriques (examens d’entrée eux études supérieuresisraéliennes) très élevés pour le premier cycle. Et pour intégrer un Master, ilfaut présenter une moyenne globale de plus de 90/100, répondre à un examen desélection qui combine mathématiques et anglais, et passer des entretiens devantune commission de professeurs et psychologues.
Et si cela ne suffisait pas, à l’issue du diplôme, un stage de 10 mois à raisonde 16 heures hebdomadaires est de rigueur, en plus d’une “spécialisation”,équivalente à la pratique médicale, sur plus de deux ans dans un centre desoins agréé, nécessaire pour être enfin reconnu par le syndicat despsychologues et travailler à plein-temps.
Nimrod Ben-Ezer, étudiant en psychologie, témoigne : “Pour venir à bout de ceparcours du combattant, un soutien financier des parents est indispensable. Onne commence à gagner sa vie qu’au bout de 7 années de cours, c’est-à-dire latrentaine passée. Les études sont très exigeantes et difficiles d’accès. J’aimoi-même dû effectuer mon second cycle en Hongrie, parce que mes résultats deLicence n’étaient pas suffisamment bons. Dans la classe internationale, quidispensait ses cours en anglais, la majorité des étudiants étaient desIsraéliens dans la même situation que moi. Maintenant, il me reste un stage de10 mois à effectuer, plus une spécialisation sur 2 ans pendant laquelle je nepercevrai qu’un salaire de tiers-temps.”
Mais même une fois cette première étape achevée, les études ne s’arrêtent pas.Pour faire face à une concurrence féroce et rester compétents, la majorité desthérapeutes choisissent la formation continue, (“limoudey teouda”) de deux àquatre années en moyenne.
Pour les apprentis psychanalystes notamment, la route est encore longue. MichalRick, analyste près de Kfar Saba, membre de l’IPS et enseignante, raconte : “Ilfaut, en plus d’être déjà psychologue ou médecin, suivre 5 ans de coursthéoriques et trois ans d’analyses ‘didactiques’ pour être accepté dans laSociété de Psychanalyse”. Une analyse didactique sous-entend que l’analysant,qui exprime son désir de devenir thérapeute à son tour, explore son inconscienttout en se formant aux techniques de son analyste. “Aller chez le psy” une foispar semaine est d’ailleurs considéré comme une simple psychothérapie, et ilfaut 3 à 4 séances hebdomadaires - à raison d’un minimum de 200 shekels parséance - pour prétendre faire une analyse.
Freud, Lacan et les autres

Du côté des lacaniens, les choses sont peu ou prou lesmêmes. Lacan était un psychiatre et psychanalyste français, qui a voulu relire Freudet en donner sa propre interprétation. Aujourd’hui, le lacanisme est devenu uncourant à part dans la psychanalyse, faisant des émules partout dans le monde,notamment en ,en Argentine et en Israël. En Israël aussi. Signe d’originalité : Lacan pensaitque seul le futur analyste peut s’autoproclamer comme tel, à un moment clef dela fin de son analyse surnommé “la passe”. La reconnaissance professionnellepasse donc par un système de cooptation des pairs.

C’est l’école Dor-a qui dispense une formation lacanienne théorique et permet“d’étudier, de dialoguer” en s’appuyant sur la pratique. En dehors des deuxgrandes écoles freudiennes et lacaniennes, il existe des dizaines de formationset de spécialisations. Michal Rick est, par exemple, codirectrice de l’InstitutWinnicott, du nom du pédiatre et analyste anglais qui a légué une contributionimportante sur la relation mère-enfant et la petite enfance. Cette écoledélivre un certificat après 4 années d’études à des psychologues outravailleurs sociaux qui souhaitent se spécialiser dans ces techniques.
La psychanalyse n’est donc pas une mince affaire. Pour les patients, comme pourles thérapeutes. Patience et persévérance sont nécessaires, et d’autant plusdifficiles à comprendre que la concurrence des traitements courts fait rage. Iln’existe pas de loi dite des psychothérapeutes : dans les faits, tout un chacunpeut proposer des thérapies en Israël, quelle que soit sa formation. De plus,si un analyste se rémunère entre 200 et 400 shekels la séance, un coachmultiplie facilement par deux ou par trois ses tarifs.
A en croire Rick et Selbst, deux éminentes analystes, la psychanalyse se portecependant merveilleusement bien en Israël. Il n’est ainsi pas rare pour Selbstde recevoir des patients dès 6 heures du matin, et jusqu’à 23 heures. Signeinfaillible à ses yeux de la prospérité de la méthode et de la demande.
L’Etat hébreu serait-il donc l’un des derniers villages gauloispsychanalytiques ? On ne peut que saluer la longévité d’une technique exigeanteen matière de durée, dans un monde qui va de plus en vite ; en particulier enIsraël, où les habitants sont peu réputés pour leur patience. Reste simplementà espérer que l’influence énorme qu’exercent les psychologues israéliensconduise au résultat escompté : une société aux individus plus sains et plusheureux.