Le paysage religieux en évolution

Miri Gold et 14 autres rabbins libéraux ou massorti ont acquis le droit à la reconnaissance par l’Etat

paysage religieux (photo credit: Institut Schecheter)
paysage religieux
(photo credit: Institut Schecheter)

Neuf années de lutte et une campagne acharnée ont abouti àune décision que l’on peut qualifier de révolutionnaire. Le mois dernier, leprocureur général de l’Etat Yehouda Weinstein a enfin statué : Mme Miri Gold,rabbin de la communauté libérale du kibboutz Guezer, mérite le titre officielde rabbin et percevra donc un salaire de fonctionnaire en rémunération de sontravail. Cette victoire a valu à cette femme née aux Etats- Unis une avalanchede félicitations et n’a pas manqué d’attirer l’attention des médias.

Désormais, Miri Gold est heureuse. Elle mesure l’importance de sa victoire,tout en sachant que la bataille pour une société pluraliste en Israël estencore loin d’être gagnée. “J’ai toujours pensé qu’il fallait du temps pourchanger les choses”, remarque-t-elle.
La décision du procureur général pourrait cependant bien modifier laphysionomie religieuse du pays. Pour la première fois, certains rabbins dumouvement libéral et, par la même occasion, du mouvement massorti, bénéficientd’une reconnaissance officielle. Si celle-ci, imposée au gouvernement par laHaute Cour de justice et le procureur général, parvient également à se faireaccepter du grand public, le statut des non-orthodoxes en Israël changera dutout au tout.
Pour impressionnante qu’elle soit, cette évolution reste encore limitée. Carles dossiers épineux, eux (ceux qui touchent au mariage et aux conversions)dorment toujours dans les tiroirs. Derrière l’IRAC (,bras de défense publique et juridique du mouvement libéral), se profilent lesplus importantes communautés juives de diaspora. Leur but ? Obtenir lareconnaissance de leur choix religieux par l’Etat hébreu et la sociétéisraélienne. Installé sur le campus de l’Université hébraïque de Jérusalem,l’IRAC reçoit le soutien financier de communautés libérales d’Amérique du Nordpour les combats qu’il mène.
C’est la découverte fortuite d’un vide juridique qui a conduit à lareconnaissance par l’Etat des rabbins libéraux.
Il y a dix ans, Guilad Kariv, rabbin et avocat, et Anat Hoffman, alorsdirectrice adjointe de l’IRAC, découvrent que, dans les kibboutzim et lesconseils régionaux du pays, une loi autorise les habitants à choisir librementleur rabbin. Les membres d’un kibboutz peuvent par exemple décider de prendreleur vétérinaire pour rabbin. Aussitôt, les dirigeants libéraux et l’IRACvoient là une faille qui peut leur donner l’occasion de briser la puissanteopposition orthodoxe, et ils passent à l’action.
A l’époque, moins d’une dizaine de rabbins libéraux vivent et officient dansdes kibboutzim. Très vite, Miri Gold, née aux Etats-Unis et arrivée en Israëlil y a trente ans, est choisie comme tête de proue du mouvement.
“Rabbin du mouvement libéral, femme de cinquante ans mariée, et mère de troisenfants, nous ne pouvions trouver meilleure représentante”, explique AnatHoffman.
Miri Gold accepte sans hésiter. Elle connaît les enjeux et sait qu’il luifaudra du courage, de la ténacité et de la patience. “Aujourd’hui, en voyantl’incroyable courant de sympathie venu du public israélien, sans parler del’enthousiasme suscité à l’étranger, il apparaît clairement que nous avons euraison. La prochaine étape consistera à faire reconnaître tous les rabbins decommunautés libérales du pays, mais aussi les mariages et conversions deslibéraux.”
Selon un récent sondage de l’IRAC, 50 % des Juifs israéliens approuvent lanouvelle décision ; 30 % (orthodoxes ou ultra-orthodoxes) la contestent.“Cependant (et c’est peut-être la plus importante révélation de ce sondage), 15% des sondés ont répondu qu’ils s’en fichaient et ne voulaient pas entendreparler de judaïsme”, ajoute Anat Hoffman. “Et ça, c’est une tragédie !”

Leaders communautaires ou rabbins ?

Aussi simple qu’elle puisse paraître, la reconnaissance desrabbins libéraux a nécessité des trésors de persévérance, ainsi qu’une étudeapprofondie de la scène politique israélienne.

Une fois la décision de mener la bataille prise, l’IRAC a choisi de soumettrel’affaire à la justice, conscient que le ministère des Affaires religieusesn’accepterait jamais une telle requête. Le 5 septembre 2005, une pétitionofficielle est donc adressée à la Haute Cour de justice. Elle demande àcelle-ci un arrêt qui contraindrait l’Etat à rémunérer les rabbins libéraux,comme il rémunère les rabbins orthodoxes. Dans sa réponse, la Cour évoque uncomité interministériel qui planche justement sur la rémunération des rabbins -leurs salaires doivent-ils être versés par l’Etat ou par les conseils régionaux? - et propose que le problème soit tranché par lui. “Seulement,” soupire AnatHoffman, “ce comité n’a jamais mis la question de la rémunération des rabbinslibéraux à l’ordre du jour de ses débats.”
Les moments de désespoir ponctueront le chemin à travers le labyrinthe ducomité et des sous-commissions.
“On aurait dit que leur seul objectif était de perdre du temps”, commente Anat.Cinq années de discussions sur des questions budgétaires ne mèneront à rien :le comité ne prend aucune décision. L’équipe juridique de l’IRAC, dirigée parl’avocate Orly Erez-Lahovski, retourne alors devant la Haute Cour qui, comme lapremière fois, renvoie l’affaire au même comité.
Celui-ci finit alors par accepter une rémunération des rabbins libéraux, à conditionde les qualifier de “leaders communautaires”, et non de “rabbins”. La réponsefuse aussitôt : c’est non ! Et les débats reprennent...
Dès lors, le problème n’est plus tant les salaires perçus que le titre que l’ondonnera aux rabbins. Le ministère des Affaires religieuses, dirigé par ledéputé Shas Yaacov Margi, s’oppose catégoriquement à une reconnaissanceofficielle des rabbins libéraux par son intermédiaire.
Le comité suggère alors de faire verser les salaires par le ministère de laCulture et des Sports. “Nous n’y avons pas vu d’inconvénient”, raconte AnatHoffman, “tant que nos rabbins étaient appelés ‘rabbins’.” C’était là le seulpoint sur lequel le mouvement libéral n’était pas prêt à transiger.
La tactique de Beinisch

“Tous les quelques jours, nous recevions une nouvelleproposition”, se souvient Shavit, Israélien de 50 ans, père de trois enfants etdont les parents ont abandonné la pratique religieuse avant sa naissance. “Noussavions tous que nous tenions une occasion unique de faire avancer le statutdes rabbins libéraux et nous n’étions pas prêts à la laisser passer.”

Au sein du comité, la proposition se heurtait toujours au même obstacle. Chacunavait certes accepté que les salaires (70 % de la rémunération d’un rabbinorthodoxe) soient prélevés sur le budget du ministère des Services religieux,mais versés par le ministère de la Culture et des Sports, et le bureau duPremier ministre avait déjà prévu les budgets pour la rémunération de 15rabbins libéraux de kibboutzim et de conseils régionaux.
En revanche, ceux-ci ne pourraient porter que le titre de “chefs de communautéslibérales” et, sur ce point, l’Etat, par la voix du ministère des Servicesreligieux, n’était pas disposé à changer d’avis.
C’est alors que Dorit Beinisch, la présidente de la Cour suprême de l’époque,commence à s’impatienter. Et le juge Elyakim Rubinstein de déclarer ne pascomprendre l’obstination du gouvernement. Miri Gold, elle, est plus d’une foistentée d’abandonner. “C’est la Cour suprême qui a fait bouger les choses”,raconte Shavit, “en proposant au gouvernement de confier en dernier ressort ladécision à Weinstein, ce qui était très habile de sa part.
Weinstein savait, bien sûr, que les juges n’étaient pas loin d’émettre un arrêtqui imposerait une reconnaissance officielle des rabbins libéraux, mais ilétait préférable pour le gouvernement d’accepter une suggestion du procureur del’Etat, plutôt que de se retrouver au pied du mur, humilié par une décision dela Haute Cour.”
C’est donc ce qui s’est passé. Le dernier obstacle a disparu au moment même oùla Cour s’apprêtait à rendre sa décision. Dès lors, Miri Gold et 14 autresrabbins libéraux et massorti (les massorti s’étant, entretemps, associés à lalutte, ils ont bénéficié de ses fruits) devenaient des rabbins à part entièreet touchaient des salaires de l’Etat, exactement comme les rabbins orthodoxesdu pays.
Le premier Shabbat de juin, au kibboutz Shefayim, un millier de participantsvenus des quatre coins du pays ont partagé l’atmosphère joyeuse de laconvention annuelle du mouvement libéral. L’IRAC célébrait son 25e anniversaireà cette occasion et la journée a été ponctuée de récits émouvants d’Israéliensqui ont pu faire respecter leurs droits grâce au Centre. Quant à Miri Gold,elle a eu droit à une très longue “standing ovation”.
Pourtant, malgré cet air de fête, chacun savait que le combat pour une vraiereconnaissance du judaïsme libéral était loin d’être achevé.

L’habit fait-il le rabbin ?

“Le problème, c’est que pour beaucoup d’Israéliens qui sedéfinissent comme laïcs, les Juifs orthodoxes représentent la seule et uniqueréférence en matière de judaïsme”, explique Miri Gold avec une certaineamertume.

“Mon kibboutz n’est pas un kibboutz libéral, comme celui de Lotan, dans le suddu pays, ce qui ne m’a pas empêchée de bénéficier du soutien de tous sesmembres tout au long de ma lutte. Mais le public israélien n’est pas comme eux: nous devons éduquer les gens, leur expliquer qui nous sommes. Ce sera unetâche considérable. L’avantage, c’est que, maintenant que nos rabbins vont êtrerémunérés par l’Etat, les dons de nos membres serviront à financer noscampagnes.
D’ordinaire, les gens viennent nous trouver quand leur premier fils doitcélébrer sa bar-mitsva, parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise dans unesynagogue orthodoxe.
C’est ainsi qu’ils font connaissance avec nous et, bien souvent, ils continuentà venir ensuite. Toutefois, ils sont encore trop nombreux à penser que les‘vrais’ rabbins sont ceux qui ressemblent à des rabbins, avec barbe et chapeaunoir, et ces rabbins-là, ils n’ont aucune envie de les rencontrer.”
Shavit fait partie de ces libéraux qui ont connu le mouvement quand leur fils aatteint l’âge de la bar-mitsva.
“Mes parents venaient tous deux de familles religieuses, mais ils avaient cesséde pratiquer. J’ai donc été élevé dans une atmosphère laïque, tout comme mafemme. Elle et moi, nous recherchions une synagogue où nous pourrions êtreassis ensemble, afin de partager ce précieux moment côte-à-côte”,explique-t-il. Shavit a ainsi découvert la communauté libérale de Mevasseret , où il réside, et ila eu envie d’y rester après la bar-mitsva.
“Comme beaucoup de Juifs laïcs, j’avais peur que mes parents n’approuvent pasque j’entre dans une communauté dont le rabbin était une femme, mais en fin decompte, ils n’y ont pas vu d’inconvénient. Au contraire, ils ont été ravis etse sont même rapprochés du judaïsme par ce biais.” Pour lui comme pour beaucoupde laïcs, l’ignorance des coutumes et de la tradition juives est une réellemenace pour l’identité collective juive. “Grâce au mouvement libéral, à sessynagogues et à ses communautés, enfants et adolescents laïcs peuvent apprendrele Birkat Hamazon (bénédiction après le repas) ou les rituels, comme se laverles mains, et toutes les traditions ancestrales. Ce n’est pas parce qu’on adécidé de ne pas pratiquer que l’on doit tout ignorer”, conclut-il.
Un premier pas vers la reconnaissance

“L’indifférence du public laïc est notre plus grossepréoccupation”, renchérit Anat Hoffman. “C’est comme lutter contrel’indifférence de la majorité silencieuse face à une question qui menace ladémocratie, les droits de l’Homme et du citoyen : c’est le même combat.”

En fait, la bataille suivante a déjà commencé et atteindra bientôt le pointcritique de la décision : il y a deux mois, l’IRAC a soumis à la Haute Cour unepétition demandant à l’Etat de reconnaître deux rabbins libéraux de Jérusalem :Levi Weiman-Kelman de la communauté Kol Haneshama, à Baka, et Ada Zavidov, dela Kehilat Har-El, à Sha’arei Hessed. En tant que rabbins de communautés dequartier, stipule la pétition, ils doivent bénéficier des mêmes droits que lesrabbins orthodoxes, y compris d’un salaire de fonctionnaire.
“Ces deux rabbins sont aux avant-postes”, explique Anat Hoffman, “et bien sûr,une fois qu’ils seront reconnus, l’Etat devra aussi reconnaître les quelque 200rabbins des communautés libérales en Israël.”
Pour elle, pour Shavit et pour est évidentque la reconnaissance de Miri Gold comme rabbin n’était qu’un premier pas versla reconnaissance d’un grand mouvement religieux et la fin du monopoleorthodoxe sur le judaïsme. “Nous ne pouvons pas nous permettre de restersilencieux”, affirme Shavit. “Sinon, nous découvrirons un beau matin en nousréveillant que nous vivons dans un ghetto, que nous - les laïcs et ceux quitrouvent le mouvement libéral à leur goût - nous sommes devenus une minorité etque nos enfants s’apprêtent à quitter le pays que nous avons bâti pour eux.”

Les hauts et les bas de l’IRAC

L’institution qui s’attache à défendre la liberté deconscience et de religion a nombre de défis à relever dans la sociétéisraélienne

L’IRAC (, Centre d’actionreligieuse d’Israël), installé à Jérusalem, est l’organisme de défense publiqueet juridique du mouvement libéral. Fondé en 1987 pour promouvoir le pluralismedans la société israélienne et défendre la liberté de conscience et dereligion, il s’attache aujourd’hui à des questions liées aux rapports entreEtat et religion.

Si son but initial était de faire reconnaître et financer, par l’Etat, lesmouvements libéraux et massorti, le département juridique de l’IRAC estdésormais devenu expert en matière de répartition équitable des fonds publics,qui doivent aussi aller à des groupes minoritaires pas nécessairement juifs.
Il y a 25 ans, le Mouvement libéral était peu connu en Israël et n’avait guèred’influence, sinon aucune.
Beaucoup le considéraient comme un lieu de rencontre pour Anglo-Saxons libérauxqui ressentaient le mal du pays au milieu de l’hégémonie orthodoxe d’Israël.
Le rabbin Ouri Regev, fondateur du centre, a dirigé celui-ci pendant 15 ans,avant d’être remplacé par Anat Hoffman - ex-élue municipale du parti Meretz. OuriRegev et Anat Hoffman sont tous deux nés en Israël, mais le centre fonctionne àl’américaine, notamment en soumettant des pétitions - généralement à la HauteCour - pour chacune des questions religieuses qui lui tiennent à coeur.
L’an dernier, le centre a pris la décision stratégique de se concentrer sur ladéfense juridique de la communauté libérale d’Israël, et moins sur l’actionsociale. Il n’a guère pris part aux mouvements sociaux de l’été, par exemple,alors qu’il y a neuf ans, il s’était démené corps et âme pour soutenir la mèrecélibataire Vicki Knafo dans sa tente de protestation, lui offrant un soutienpsychologique, mais aussi financier et logistique.
Les conversions : le cheval de bataille de l’IRAC

Parmi ses actions de ces dernières années, l’IRAC a beaucoupcombattu les discours controversés des Grands Rabbins d’Israël, mais sans grandsuccès. La pétition lancée contre le Grand Rabbin de Safed Shlomo Eliyahou, quiengageait ses fidèles à ne pas louer leurs maisons à des Arabes, n’a pas suffià le faire destituer de son poste. L’IRAC s’intéresse aussi aux affaires decoercition religieuse : chacun doit être libre d’être religieux ou non et librede choisir sa religion. Il ne se contente pas de plaider pour les droits desJuifs libéraux du pays : il entend également défendre le public dans sonensemble.

Il s’est ainsi beaucoup impliqué contre la séparation des sexes dans les bus,dans les quartiers ultra-orthodoxes, au occidental (y compris dans le combat du groupe de prière des Femmes du Mur, quepréside Anat Hoffman). Et milite également contre le bannissement des affichesreprésentant des femmes à Jérusalem, et contre toute discrimination visant lesnouveaux immigrants non halakhiquement juifs et les femmes.
Pour ce qui est de la ségrégation dans les bus, l’IRAC a porté la situation àl’attention du public, mais n’a pas réussi à arracher au ministère desTransports une interdiction claire et nette de la ségrégation des sexes danstous les cas.
Le problème des conversions reste cependant le principal cheval de bataille del’IRAC, et c’est aussi, reconnaît Anat Hoffman, l’un de ses grands échecs.Malgré ses efforts soutenus pour introduire du changement dans le statutjuridique des mariages et des divorces, la situation n’a pas évolué depuis lacréation de l’Etat : l’Etat ne reconnaît pas les mariages libéraux et déclareles rabbins libéraux incompétents pour célébrer des mariages ou organiser desobsèques.
“Nos rabbins n’ont aucun rôle dans les tribunaux rabbiniques”, déplore AnatHoffman. “C’est un grave échec. Mais nous ne baisserons pas les bras : nouspoursuivrons le combat là-dessus aussi.”
Cependant, le centre a tout de même remporté quelques victoires, comme lareconnaissance par l’Etat des conversions libérales pratiquées à l’étranger,qui permettent désormais de se faire enregistrer comme Juif au ministère del’Intérieur. Les dirigeants du mouvement y voient un premier pas vers lareconnaissance des conversions libérales en Israël. Pour le moment, les coursen vue de la conversion ont donc lieu en Israël (à Jérusalem pour la plupart),mais la cérémonie est organisée à l’étranger. Mais pour Anat Hoffman, c’est larémunération par l’Etat des rabbins libéraux qui représente la plus belle victoirepour le centre et le mouvement dans son ensemble.