Les leçons d’un coûteux échange

La commission Shamgar s’est-elle posé la question cruciale : pourquoi avoir attendu autant d’années pour le même prix ?

La commission Shamgar nommée pour examiner les moyens de gérer les futurs cas d’enlèvements d’Israéliens, civils ou militaires, a publié son rapport, la semaine dernière. Si la majeure partie de cet exposé de 100 pages restera dans le domaine du secret, les éléments mis au jour abordent le sujet du transfert de ces dossiers du bureau du Premier ministre à celui du ministère de la Défense. Le rapport suggère qu’une fonction permanente et professionnelle soit spécialement créée, qui n’aurait aucun contact avec la famille de la victime et serait totalement dépolitisée.

On peut aisément deviner que l’essentiel du rapport resté confidentiel traite de la question du prix payé, par le passé, pour des soldats israéliens et prisonniers de guerre capturés, ainsi que du processus de décision au niveau gouvernemental dans les négociations pour leur libération.
Presque tous les Israéliens s’accorderaient sur deux points : en premier lieu, à tout prix éviter les situations où l’ennemi réussirait à kidnapper un de nos soldats. Deuxièmement, si, à Dieu ne plaise, un soldat était enlevé, nous préférerions qu’il s’échappe ou soit secouru lors d’une opération militaire, et cerise sur le gâteau, que les ravisseurs soient capturés.
L’armée israélienne a échoué à récupérer Guilad Schalit par une opération héroïque. Immédiatement après l’enlèvement, l’armée savait sans doute où Guilad était détenu, mais a jugé impossible de le ramener à la maison en vie. Plus tard, alors que nous n’avions plus aucune idée de son lieu de détention, nulle opération militaire ne pouvait même être envisagée.
“Le pilier de la force d’Israël”

Pour être celui qui a ouvert le canal des négociations entre Israël et le Hamas, je pensais que s’il fallait négocier un échange, autant le faire aussi rapidement que possible. Et au meilleur prix. Tout au long de l’affaire, les responsables gouvernementaux et militaires ont maintenu que des négociations publiques feraient grimper le prix. Ce qui a été démenti. Le prix de base de la libération de Schalit (450 prisonniers palestiniens d’une liste du Hamas, et 550 autres, sélectionnés par Israël) a été fixé, et accepté, dès janvier 2007, soit environ six mois après l’enlèvement.

La campagne publique entreprise en Israël pour le retour de Schalit n’a donc pas conduit le Hamas à faire grimper les enchères. Au contraire : la première série de demandes que j’ai reçue du Hamas, environ deux mois après l’enlèvement était : 1 500 prisonniers, la fin Point de vue Les leçons d’un coûteux échange La commission Shamgar s’est-elle posé la question cruciale : pourquoi avoir attendu autant d’années pour le même prix ? du siège de et un cessez-le-feu total et mutuel. Nous avons tous le sentiment que le prix payé pour Guilad était élevé, très élevé. L’opinion mondiale était stupéfaite qu’Israël accepte de libérer 1 027 prisonniers palestiniens, dont des centaines avec du sang juif sur les mains, pour un unique soldat israélien.
Un négociateur du Hamas, Salah al-Arouri, fondateur attitré des forces Izzadin Kassam en Judée- Samarie, a même salué “la force” démontrée par Israël dans l’échange de prisonniers sur les ondes de la radio israélienne : “Faire ce qu’Israël a fait montre la valeur que la société israélienne accorde à la vie humaine. C’est le pilier de la force d’Israël - mener une guerre pour libérer un homme, libérer un millier de prisonniers pour lui, c’est là la force d’une société et d’une armée.”
Pas de calculs politiques

En fin de compte, le Premier ministre Binyamin Netanyahou a chargé son envoyé spécial issu du Mossad, David Meidan, de mener à bien les négociations. Selon moi, Netanyahou a pris la décision de conclure l’affaire après avoir compris qu’il s’agissait du seul moyen de ramener le soldat. Il savait qu’il n’existait aucune option militaire, et que s’il n’agissait pas rapidement, Guilad pourrait ne pas revenir vivant. La conjoncture régionale a également créé une fenêtre d’opportunité qui, pensaitil, pouvait conduire à un accord rapide.

Toutes ces conditions réunies ont concordé avec mon apport de contacts directs en coulisses, menant directement aux ravisseurs de Guilad et aux preneurs de décision au sein du Hamas.
La campagne publique, selon moi, a également eu un impact sur Netanyahou, et ne saurait être dénigrée. Se réveiller chaque jour à la vue de la famille Schalit campant sur le trottoir de sa résidence et devant le décompte du nombre de jours de captivité en gros caractères a certainement dû avoir un impact sur le Premier ministre.
Netanyahou n’a probablement pas été guidé par des calculs politiques. Autant que je sache, il a pris la décision de négocier un accord à la mi-avril, bien avant les manifestations de l’été et six mois avant que le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ne fasse sa demande à l’ONU de reconnaissance d’un Etat palestinien. Netanyahou a tout simplement abdiqué parce qu’il savait qu’il n’existait aucun autre moyen de ramener Guilad en vie. La commission Shamgar a-t-elle été capable de se baser sur le cas spécifique de Schalit pour statuer sur de futurs enlèvements ? Je n’en rien, mais j’en doute sérieusement.

Les “spécialistes” du ministère de la Défense seront-ils plus professionnels qu’Ofer Dekel, Hagai Hadas et David Meidan ? Seront-ils mieux immunisés face à la pression publique que Netanyahou ? Le ministre de la Défense est-il moins une personnalité politique que le Premier ministre ? Le désir de payer un prix plus bas va-t-il affecter la manière dont les futurs ravisseurs de soldats israéliens traiteront le précieux bien entre leurs mains ? Là aussi, j’en doute.
Je crains que si l’option militaire est exclue, il n’existe aucune alternative aux négociations. Mon principal espoir est que la prochaine fois, à Dieu ne plaise, il ne faudra pas attendre cinq ans et quatre mois. Toutes mes connaissances et implication dans l’affaire ne m’ont amené qu’à une seule conviction : nous aurions pu ramener Guilad au moins quatre ans plus tôt pour le même prix. La question que la commission Shamgar devrait vraiment poser est pourquoi a-t-il fallu autant de temps ?