Les nouveaux pionniers du désert

De jeunes familles quittent la vie trépidante de la ville pour se construire un nouvel avenir dans le calme du désert.

P16 JFR 370 (photo credit: Or Movement)
P16 JFR 370
(photo credit: Or Movement)

Mal entretenue, avec ses nids de poule et ses borduresétroites, la route 316 serpente à travers le Néguev, depuis le village bédouinde Houra, dont les minarets dominent les maisons construites illégalement. Lavue, cependant, est magnifique depuis la route, avec des paysages qui changentde kilomètre en kilomètre. Les grands espaces du Néguev donnent le tournis.

La route traverse le désert rocailleux, la forêt dense deYatir au sud des collines de Hébron, et s’achève près de Soussia. Le genre deroute sur laquelle, en cas de panne, quatre ou cinq voitures s’arrêtent l’uneaprès l’autre pour proposer de l’aide. Quelque chose qui n’arriverait jamais àTel-Aviv… Le chemin mène à la communauté de Har Amassa, qui célèbre son 30eanniversaire.

Une communauté où il se passe des choses inattendues. Unbruyant tintamarre y a remplacé le calme habituel qui règne depuis des années.Ça creuse, ça cogne, ça frappe de tous côtés. Partout, tracteurs et bulldozersfouillent et retournent la terre. « Tout ce bruit provient des travaux deconstruction », sourit Liel Hacohen, résident d’Har Amassa depuis maintenantdeux ans. « Lorsque nous avons emménagé ici, il y régnait un silence de mort.Nous n’étions que six familles à habiter le village et nous nous sentionsvraiment isolés. Maintenant, c’est un tel vacarme ! Mais nous sommes si heureuxde voir la communauté s’agrandir ! ».

L’expansion d’un rêve

Avec les encouragements et l’aide du mouvement Or – dontle but est d’inciter et de soutenir les ménages qui souhaitent s’installer dansle Néguev et la Galilée – un groupe de jeunes familles a ainsi développé unenouvelle communauté à Har Amassa. Ces familles étaient précisément à larecherche d’un lieu d’habitation à l’écart du centre d’Israël, où ellespourraient construire leur propre avenir, avec beaucoup d’espace pour éleverleurs enfants. Aujourd’hui, il ne reste que trois familles de ce premier groupede pionniers Mais le village ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des ans.Il compte aujourd’hui 26 foyers tandis que 15 autres ménages construisentactivement la maison de leurs rêves au sein du projet d’expansion communal. Lacommunauté dispose de l’espace et des permis pour bâtir jusqu’à 90 maisonsunifamiliales dans ce hameau du désert.

Ceux qui choisissent d’élire domicile à Har Amassadoivent d’abord recevoir l’approbation de la commission d’Intégration et passerun examen dans un centre médical. Ce double processus sert à déterminer si lesfamilles potentielles et la communauté sont compatibles, s’il y acorrespondance de vues, et quelles sont leurs chances d’intégration. « Nousrecherchons de jeunes familles, dont les parents travaillent et qui ont lesmoyens de construire une maison ici », explique Hacohen, qui siège à lacommission.

Coût d’une parcelle d’un demi-dounam (500 m2) : 150 000shekels, plus 50 000 shekels pour adhérer à l’association coopérative qui gèrela communauté. Jusqu’à ce que leurs maisons soient prêtes, les familles peuventchoisir de vivre dans une caravane sur la propriété communale. Un choix qu’ontfait Omer et Dvora Weisbein, originaires de Ramat Gan. « Cela faisait plus dedeux ans que nous écumions le pays pour trouver une communauté en dehors ducentre qui répondrait à nos aspirations », explique Omer. « Dvora et moi nepouvions pas supporter le stress, l’agitation, le bruit des voisins en pleineville. Nous souhaitions élever nos enfants dans un endroit calme, tranquilleavec de grands espaces ouverts tout autour. Nous avons contacté le mouvementOr, qui nous a suggéré d’aller faire un tour du côté de Har Amassa. Nous avonsd’abord consulté un ami proche, qui a vécu dans la communauté il y a 20 ans. Puis nous avons mis nos deux enfants dans lavoiture et sommes allés y jeter un coup d’œil. »

« Les nouvelles implantations du nord se ressemblenttoutes : des maisons standards, toutes sur le même modèle, avec un petit carréde pelouse et un haut mur tout autour. Ce n’est pas exactement ce que nousavions en tête », assure Dvora. « Mais sur la route de Har Amassa, nous avonsréalisé que, ce que nous aimions vraiment, c’était les grandes étenduessauvages du Néguev. Nous sommes tombés amoureux de la communauté dès notre arrivée.Alors, quand notre fils nous a demandé si nous étions chez nous, cela nous aparu une évidence. On avait enfin trouvé le village de nos rêves ».

Au bout du monde

Situé au cœur d’une réserve naturelle, avec de grandsarbres verts pour marquer l’entrée du lieu, et des paysages désertiques quis’étendent à perte de vue, sans l’ombre d’un toit aux alentours pour gâcherl’horizon, Har Amassa est comme une ode à la nature.

La colline culmine à 700 mètres d’altitude, les soiréesd’été sont donc fraîches, l’air est sec et vif, et les hivers apportent parfoisde la neige. Le National Israël Trail (sentier de grande randonnée), quiparcourt le pays du Kibboutz Dan jusqu’à Eilat, passe près de Har Amassa.Aussi, la communauté a-t-elle décidé de consacrer une chambre aux randonneursde passage, afin de leur fournir un gîte pour les nuits froides. Tout cetespace ouvert semble inspirer les habitants d’Har Amassa dans la constructionde maisons qui reflètent leur personnalité.

A l’extérieur de la maison de Tom et Moriah Grunwald, unde leurs amis proches s’affaire à la construction d’un porche en bois qui offreune vue panoramique sur le désert alentour. Ils ont peint tous les mursintérieurs eux-mêmes. Tom a construit la cuisine et installé une cheminée. Lemur du salon rend hommage aux membres de la famille qui ont élu domicile dansces lieux. « Nous étions à la recherche d’une communauté de qualité, d’unendroit agréable pour élever nos enfants, et d’un terrain pour faire poussernos propres légumes », explique Moriah, tout en berçant son bébé dans ses bras.Elle est éducatrice spécialisée. Tom et elle sont aussi une famille d’accueilpour deux enfants plus âgés, qui passent leurs matinées au jardin d’enfantsvoisin. Les enfants ne peuvent qu’être heureux avec tout cet espace autourd’eux.

« Quand on habite un appartement en ville, on doittrouver de quoi occuper les enfants toute la journée », souligne Omer. « On lesconduit à droite et à gauche pour des activités parascolaires, chez leurs amiset au parc. Ils n’ont aucune indépendance. Ici, c’est différent. Dès notrearrivée, mon fils a pris son vélo et est parti explorer les lieux tout seul ».« Il n’y avait pas encore d’école maternelle quand nous avons emménagé. Une demes amies a donc pris soin de mes enfants chez elle », confie Moriah. « Peu detemps après, l’une des mamans qui avaient elle-même dirigé un jardin d’enfantsdans le passé, en a ouvert un pour l’ensemble de la communauté. Il y amaintenant tellement d’enfants que nous avons une école maternelle officielle,reconnue par le ministère de l’Education nationale. Son personnel est composéd’enseignants diplômés, possédant les compétences et qualifications adéquates.Et les parents se sont réunis pour décider quels devraient être les principesdirecteurs de l’école. »

Trouver du sens

A chaque famille, ses besoins et ses attentes. Si chacuned’entre elles est arrivée pour des raisons peu ou prou similaires, chacune ades opinions différentes. La plupart des maisons sont encore à divers stades deconstruction. Les habitants donnent l’impression d’avoir tout le temps du mondepour peaufiner chaque détail. Du carillon de la sonnette à l’aspect de chaquefenêtre.

Des chambres jadis utilisées pour loger des soldats quistationnaient au village sont aujourd’hui attribuées aux nouvelles familles quiattendent d’emménager dans leurs demeures aux odeurs de neuf.

Une des maisons en cours de construction est une énormebâtisse de trois étages, appartenant à un couple de retraités. Ils espèrent queleurs petits-enfants vont l’adorer au point de vouloir souvent rester dormirsur place.

Liel et Yaïr Hacohen ont décidé, pour leur part, de bâtirleur maison en torchis. « C’est ça, le vrai sens de la vie », explique Yaïr,tout en mélangeant le sable et l’eau, tandis que sa fille pointe le bout de sonnez hors du porte-bébé accroché sur son dos. « Il n’y a aucune raison pour quel’on confie aux autres le soin de construire notre propre maison ». Yaïr gagnesa vie en donnant des cours de Pilates à Lehavim, la commune voisine. Liel travaillecomme sage-femme au CHU de Soroka à Beersheva.

La plupart des habitants ont entre 30 et 40 ans. Ilstravaillent souvent en dehors du village tout en élevant des enfants en basâge. On y trouve pêle-mêle un avocat, un travailleur social, un naturopathe, undirecteur d’entreprise, et un directeur de production musicale et agentartistique. Omer et Dvora Weisbein travaillent tous les deux dansl’informatique. Omer possède une entreprise de marketing en communication etDvora est gestionnaire d’information. Elle a conclu un accord avec son patronqui lui permet de travailler au bureau à Tel-Aviv deux jours par semaine, et lereste du temps depuis son domicile.

L’effet boule de neige

Nitzan Stern-Saad nous accueille à l’entrée du village.Elle possède un atelier de céramique et son mari, Meïr, travaille le bois.« Quand nous habitions Motza Illit, je travaillais dans un petit appentisderrière la maison », confie-t-elle, tout en façonnant une de ses créations surson tour de potier. La pièce où elle travaille actuellement était à l’origineun hangar à ferraille, mais elle a consacré beaucoup de temps et d’efforts à sarénovation. Maintenant, en plus de son atelier, elle dispose d’une petiteboutique en devanture où elle vend ses œuvres ainsi que des produits cultivéslocalement. Nitzan gère également une coopérative alimentaire locale, quiachète des produits de base en gros pour l’ensemble de la communauté, afin deminimiser les dépenses en alimentation. « L’un de nos critères principaux, quand nous étions à la recherche d’unendroit pour vivre, était de trouver un lieu qui offre aussi des débouchéséconomiques », explique Nitzan avec le sourire. « Le fait qu’il existe unecommunauté était important, mais nous souhaitions également pouvoir préservernotre intimité. Un lieu qui ne soit pas complètement indépendant d’un côté,mais qui nous permette aussi de bâtir et de façonner notre existence à notreguise ». Tout autour de Har Amassa, s’étalent les vignobles de Yatir, dont lesvins ont acquis une reconnaissance internationale. Une partie des terres duvillage a également été attribuée aux expulsés du Goush Katif. Les habitants dela commune tentent d’acquérir des terrains supplémentaires à vocation agricole.

La communauté doit cependant faire face à de nombreuxdéfis. « Nous aimerions voir des entrepreneurs s’installer ici, intéressés parl’ouverture de petites entreprises au sein de notre village », explique EyalBrandeis. Il montre un vieux bus Dan que l’un des résidents a l’intention detransformer en café. « On ne peut pas vraiment vivre ici sans voiture. Ceux quiélisent domicile à Har Amassa doivent réaliser que la ville la plus proche,Arad, se trouve à 20 minutes de route. C’est pourquoi nous souhaitonsabsolument que de petites entreprises soient créées sur place pour offrir desemplois aux habitants. »

Les nouveaux résidents de Har Amassa sont certes desvisionnaires, mais ils ne sont pas à l’abri de la multitude de problèmes quiont frappé la communauté à ses débuts, du temps où elle faisait encore partiedu Mouvement des Kibboutzim Unifiés. En 2009, le gouvernement a décidé dedissoudre le kibboutz, qui pendant des années était resté « un kibboutz enformation », et de le transformer en village communautaire. Ses finances sonttoujours sous le contrôle d’un liquidateur judiciaire. Par conséquent, ilsubsiste encore un certain nombre de décisions juridiques et de mises en examenparmi les résidents qui n’ont toujours pas été résolues. En raison de la petitetaille de la communauté et de son isolement, un désaccord insignifiant peut, enfait, vite faire boule de neige et embarquer toutes les familles dans unconflit généralisé, dans lequel chacun doit prendre parti. Si les arbres autourdu village pouvaient parler, ils agiteraient sans doute leurs branches dans lesairs en décrivant les conflits et les querelles qui ont secoué la communautédepuis ses premiers jours. Certaines familles ont quitté Har Amassa en raisonde ces disputes, et la communauté a eu bien du mal à leur trouver desremplaçants. Parfois de beaux espoirs ont été brisés. « Toutes sortesd’individus vivent ici », souligne Nitzan. « Cela rend la vie beaucoup plusintéressante, mais parfois les choses se compliquent d’autant. Nous pourrionsfaire avancer les choses beaucoup plus vite si nous étions capables de nousmettre d’accord sur toutes les questions qui surgissent. » Peut-être qu’àpartir de maintenant, avec l’arrivée de nouvelles familles, la communautéva-t-elle connaître des jours plus paisibles. « Har Amassa avait un réel besoinde sang neuf », affirme Dédé Louski, l’un des anciens du village. « Nous avonstraversé des moments difficiles. Ça a été très dur. Certains habitants sontpartis en raison des problèmes sociaux. Mais quand la communauté se rassemble,cela peut être très fort et passionnant. »

« Les habitants de Har Amassa redeviennent optimistes »,affirme Omer. « On nous a raconté un peu ces histoires de divisions internes ausein de la communauté. C’est pourquoi, avant de prendre notre décision finale,nous avons passé des dizaines de coups de fil pour essayer de comprendre dansquelle direction allait la communauté. J’ai même parlé avec Ouri Seligman, legreffier des sociétés coopératives, qui connaît tous les dessous de l’histoire.Je lui ai demandé s’il encouragerait son fils à venir vivre ici, et il arépondu par l’affirmative sans l’ombre d’une hésitation. Cela nous a aidés àfranchir le pas. »

Redéfinir le sionisme

Dans un effort pour accueillir tous les nouveauxhabitants et faciliter leur intégration au sein de la communauté, les résidentsde Har Amassa ont engagé un gestionnaire de collectivités locales. Brandeis,qui habite Sapir, vient à Har Amassa deux fois par semaine pour essayer decréer des liens entre les habitants, imaginer et mettre en place de nouveaux projets,et tenter de bâtir une communauté soudée. « Chaque collectivité isolée loin dessentiers battus, surtout de petite taille, a besoin d’organiser activementl’interaction entre ses résidents. Sinon elle ne peut pas survivre », estimeBrandeis. « Ceux qui viennent s’installer ici recherchent ce typed’interactions. Mais ils ont encore beaucoup de travail à faire ! Ils n’onttoujours pas fixé les limites physiques du village. Ils n’ont pas encore décidéquelles forme et structure exactes ils veulent donner à leur communauté. Lefait même qu’ils aient choisi d’établir leur résidence en ce lieu montre qu’ilssont intéressés par une interaction mutuelle. Se sentir impliqué dans la vie deses voisins et les désaccords qui en découlent fait entièrement partie de ceprocessus de renouvellement et de création. » Pendant que nous nous tenonsdehors à évoquer les différents problèmes auxquels les habitants de Har Amassase trouvent actuellement confrontés, une bande de chiens court devant nous. Ilsont l’air joyeux, comme on peut l’être quand on vit dans de grands espacesouverts après avoir grandi en ville. Nitzan sourit en les voyant passer.« Tenez, par exemple, nous ne sommes pas encore parvenus à une décision unanimeconcernant les chiens. Doit-on les garder en laisse ou les laisser courir enliberté ? »

La communauté en est encore à ses débuts, de nombreusesquestions demeurent sans réponse. Les avis diffèrent même sur le fait de savoirsi Har Amassa doit être considérée comme une entreprise sioniste. Les nouveauxhabitants ont-ils seulement réfléchi à cette question avant de déciderd’établir leur foyer au cœur de cette communauté du désert ? Ce n’est pascertain. « Je pense que c’est l’acte le plus sioniste que j’ai jamaisaccompli », déclare Dvora. « Non seulement j’ai fait mon aliya de France, maisen plus je vis dans un yishouv de pionniers en plein cœur du désert. Si cen’est pas du sionisme, alors je ne sais pas ce que c’est. »

« J’ai aussi la citoyenneté européenne », renchérit Liel.« J’étais récemment en randonnée dans les Alpes suisses et je me suis soudaindemandé : “Qu’est-ce que je fais là-bas, au beau milieu du désert ?” Mais jevis ici parce que j’ai le sentiment de faire partie de quelque chose de plusgrand que moi. » Et Nitzan d’ajouter : « Nos grands-parents ont bâti ce pays deleurs propres mains. Nous aussi, nous avons trouvé notre vrai foyer. Nous avonsl’impression d’être les nouveaux pionniers de notre génération. Cela nous rendvraiment très heureux. »