L’université Ben Gourion sous le feu des critiques

La présidente de l’université Ben Gourion Rivka Carmi défend son institution, un “modèle de sionisme moderne”, selon elle. Et réfute les arguments qui clament que le Département Politique et Gouvernement s’est politisé

ben gourion uni (photo credit: © Marc Israël Sellem)
ben gourion uni
(photo credit: © Marc Israël Sellem)

La professeure Rivka Carmi est pleine de contrastes. Cettefemme de 63 ans, séduisante et élégante, est une ambassadrice éloquente etpassionnée d’Israël et du sionisme, mais aussi des communautés périphériques etbien sûr de l’université Ben Gourion dans le Néguev, qu’elle dirige depuis2006.

Celle dont lesmanières modestes et douces laissent facilement imaginer sa manière d’examinerun enfant malade ou de discuter d’une maladie grave avec des patients inquiets,avoue pourtant ne pas pratiquer la médecine. Elle mène aujourd’hui une carrièreuniversitaire, après avoir fait des recherches en néonatologie et en génétiquemédicale. Mais elle conserve l’aisance du pédiatre qu’elle aurait pu être avecses interlocuteurs et se préoccupe de leur bien-être. Sans surprise, elleconfie qu’à la fin d’une longue journée comme présidente d’université, ellecontinue de rêver à s’occuper d’enfants et développer des remèdes pour leursmaladies.
Mais à présent, le temps consacré à la médecine est un luxe que Carmi a du malà s’accorder. L’université Ben- Gourion est attaquée depuis quelques mois parle Conseil de l’Education supérieure (CES), qui a publié un sévère rapport enseptembre dernier à propos du Département Politique et Gouvernement del’université, citant des “faiblesses majeures au regard de la discipline pharedu département : les sciences politiques, à redresser immédiatement”, ainsiqu’une inquiétude au sujet des “études de la politique comme disciplinescientifique qui risquerait d’être entravée par un tel accent sur lemilitantisme politique.”
En définitive, le rapport a conclu que “le département devrait instituer deschangements importants afin de renforcer son essence disciplinaire etméthodologique” et que la situation du département devait être surveillée “deprès”. Si des changements n’étaient pas opérés, en dernier recours,l’université Ben Gourion devrait songer à fermer son Département Politique etGouvernement.
Après la publication du rapport en fin d’année dernière, et suite à l’appel àla démission de Carmi par des groupes de droite dont Im Tirtsou, la présidentea accepté de s’exprimer sur le sujet ainsi que sur une pléthore d’autresquestions.
On peut comprendre votre désir de prendre la défense du DépartementPolitique et Gouvernement, mais il est indéniable que le rapport expose de trèslourdesaccusations...
Il est important de souligner deux choses : premièrement, toutes lesrecommandations faites par le CES ont à voir avec la composition académique duprogramme.
Selon les termes employés par le rapport, les recommandations résultent d’uneconstatation importante : il n’y a pas assez de cours sur les fondamentaux dansle cursus.
Donc, 1, nous avons accepté ces conclusions et déclaré que nous allions nousatteler à améliorer les standards académiques du programme. Et, 2, le rapportest très clair : si on ne prend pas en compte ces préoccupations académiques,l’université Ben Gourion devra alors songer à fermer le département, mais endernier ressort.
Est-ce que le CES est habilité à clore le programme ?

 Ce n’est pas clair, même si je suis persuadée que si le CESforme une commission et recommande officiellement la fermeture du programme, larecommandation sera prise très sérieusement. Mais il y a une marge entre celaet ce qu’il est écrit dans le rapport.

N’oubliez pas : c’est le CES qui a créé le programme il y a une décennie, dansl’idée de ne pas en faire un programme de sciences politiques “normal”. Dès ledébut, il était entendu qu’il serait un peu original, un peu éclectique, sivous voulez, qu’il inclurait une large variété de voix. Mais il faut entre 8 et10 ans pour qu’un programme de la sorte se stabilise.
Le moment est donc approprié pour le CES de revoir le programme, etl’université est très chanceuse de recevoir des remarques constructives quantaux domaines à améliorer.
Nous sommes peut-être allés un peu trop loin dans la multidisciplinarité. Etn’avons pas été suffisamment forts en matière de sciences politiques en tantque telles.
Mais n’oubliez pas que six des douze membres du programme de la Faculté sonttitulaires d’un doctorat en sciences politiques. Et le rapport admet cela :“Sur le papier, le programme d’étude ne diffère pas tellement des programmesplus ou moins conventionnels des autres universités du pays.”
Si vous lisez attentivement le rapport, sans préjugés, vous verrez que certainsaspects du programme posent problème. Je ne suis pas d’accord avec toutes lesconclusions, mais dans l’ensemble nous avons accepté les remarques, y avonsrépondu point par point et allons nous atteler à améliorer le cursus en accordavec les recommandations. La phrase “en dernier recours, l’université devrasonger à clore le programme” signifie que si nous rejetons toutes lesrecommandations et échouons à consolider les éléments essentiels de sciencespolitiques du cursus, alors, en dernier recours, ils songeront à fermer leprogramme.
Mais bien sûr, dans les médias, la fermeture du programme de sciencespolitiques a été annoncée comme un fait accompli.
Néanmoins, vous ne pouvez pas échapper à la question : le CES croit que “l’étudede la politique comme discipline scientifique puisse être entravée par lemilitantisme politique”. Est-ce dû à une possible politisation del’établissement ?

Absolument pas. Impossible. Il n’y a aucun rapport.

Réfléchissez aux plus grands départements de notre université, l’ingénierie,les sciences physiques, la médecine.
La seule faculté qui ait un lien indirect à la politique est celle des sciences sociales.
Mais si vous vous penchez sur les sujets politiques par nature, il n’y a rien àfaire. C’est le problème. Cette section du rapport indique que nos étudiants sont libres de donner leuropinion, libres d’exprimer un avis contraire aux pensées de leurs enseignants.De plus, si vous regardez les 800 professeurs titulaires et membres titulaires souscondition de l’université, il serait difficile d’en trouver 10 issus de lagauche radicale. Peut-être 10, pas plus.
Je pense que ces chiffres sont certainement inférieurs aux pourcentages del’opinion publique. Si on parle de huit radicaux parmi les 800 professeurs,cela représente 1 % de notre corps enseignant. Combien d’Israélienss’identifient à la gauche radicale ? Plus que cela sans doute.
L’un des hommes les plus lus que je connaisse est aussi l’un des plusconservateurs, dans le sens américain du terme. Il n’a jamais intégréd’université : “avec mes idées politiques, il n’y a aucune chance que je soistitularisé ici-bas”. Etes-vous d’accord ?

Non. Honnêtement. Je travaille à l’université depuislongtemps, je connais les attentes. Personne, lors des conseils detitularisation, ne connaît le penchant politique des candidats, cela importepeu d’ailleurs. Et finalement, nous avons autant de sympathisants de la droiteextrême que de la gauche radicale. Notre corps enseignant inclut également 10membres de l’extrême-droite.

Comment expliquez-vous alors le fait que de jeunes gens de sensibilité dedroite persistent à dire qu’ils préféreraient étudier au Centreinterdisciplinaire à Herzliya plutôt qu’à l’Université hébraïque, l’universitéde Haïfa ou à Ben Gourion ? Je ne peux pas parler en leur nom, et je ne leur aijamais demandé pourquoi ils évitent les départements de sciences politiques desuniversités, mais je peux affirmer avec certitude qu’ils se sentent plus àl’aise à l’CID qu’à l’UH ou à l’UBG.
Il est toujours plus confortable d’être entouré de ceux qui partagent votrepoint de vue. Mais je ne suis vraiment pas sûre d’accepter votre hypothèseselon laquelle les sympathisants de droite abandonnent nos universités.
Ou même nos départements de sciences politiques. Nous accueillons beaucoup,beaucoup de jeunes de droite. Ces deux dernières années, les rédacteurs denotre journal étudiant étaient membres d’Im Tirtsou. Nous avons plus dedoctorants de droite que de gauche.
J’ai interrogé les élèves sur la question, et ce serait mentir que de dire quecela n’en agace pas certains. Mais là est le point crucial : aucun de nosétudiants n’a peur d’exprimer ses opinions. Bien entendu, ils doivent défendreleur point de vue, et c’est l’essence des discussions politique de s’échaufferparfois. Mais ces jeunes gens, dont la plupart sont d’anciens soldats del’armée, savent parfaitement faire valoir leurs positions. Vous allez me direqu’ils sont intimidés parce que leur professeur ne partage pas leur point devue ? Le Département Politique et Gouvernement a été pris pour cible par unpetit groupe d’extrémistes, qui ont commis une terrible injustice à l’encontrede l’université Ben Gourion, modèle du sionisme moderne, selon moi.
Après tout, qu’est-ce que le sionisme ? C’est la construction d’un foyernational pour le peuple juif. Et que faisons-nous dans le Néguev ? Nousconstruisons le futur de l’Etat d’Israël. Car ne vous méprenez pas, l’avenird’Israël ne se trouve pas dans la région de Tel-Aviv. Il réside dans le Néguev,où notre université s’implique dans chaque aspect de la communauté : culture,santé, économie, relations communautaires et autres.
Nous nous impliquons dans la création d’un parc hightech dans la région et dansplusieurs projets d’énergies vertes. Nous nous impliquons dans l’apport demaind’oeuvre hautement qualifiée à Beersheva et dans le Néguev.
Revenons aux protestations sociales de l’été dernier. Quelle est la place del’université dans de tels mouvements de manifestations ? Que pourrait oudevrait faire l’université pour contribuer à la création d’une justice sociale?

 C’est une question difficile. Et qui touche à une valeurfondamentale : quelle est la place de l’université dans la société ? Si on setourne vers l’histoire, l’université a été créée pour être une tour d’ivoireélitiste, pour interroger et penser autrement. Pour encourager la réflexioncritique.

Au cours des années, les choses ont beaucoup évolué.
La question de ces dernières décennies a elle aussi évolué : est-ce quel’université a la responsabilité de donner en retour quelque chose à lacommunauté ? Toutes les universités israéliennes ont été bâties autour de cetteidée que la faculté doit quelque chose à la société. Bien entendu, la rechercheuniversitaire, au final, contribue aux avancées médicales et économiques dupays, à ses technologies de défense et autres encore pour le bien de l’Etat.
Mais la vraie question consiste à savoir à quel niveau l’université pourraitêtre source de progrès sociaux. Au sein de notre Etat, il existe des problèmesautour de valeurs fondamentales telles que la place des femmes dans la société,l’égalité, la réduction du fossé entre les riches et les pauvres, la culture,etc.
Pour certains, ce n’est pas du ressort de l’université.
Ils estiment que toutes les bonnes volontés dispensées à titre individuel sontà saluer, mais que tel n’est pas le rôle de l’institution. Car selon eux, laraison d’être de l’université n’est autre que la recherche et l’enseignement.
Point.
Je vois les choses un peu différemment. Bien sûr, le mandat essentiel del’université touche à l’enseignement et à la recherche. Là n’est pas laquestion. Mais il ne devrait pas être impossible de voir une université quipourrait avoir un impact sur la société. D’une certaine façon, à partir dumoment où vous effectuez des recherches et commencez à enseigner, vous avezdéjà un impact sur la société.
Mais dans un pays tel que le nôtre, il faut plus que cela. Nous devons chercherà rester en cohérence avec les besoins de la société. Je compareraisl’université aux forces armées. Le but essentiel de l’armée est de défendrel’Etat d’Israël. C’est une armée après tout.
Mais historiquement, l’armée a également participé à l’intégration desimmigrants, aux implantations, à l’éducation. Autant de domaines totalementextérieurs à la mission de défense du pays.
En Israël, une université se doit d’être pertinente, en corrélation avec lasociété. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que par le passé, les universitésont été réputées pour jouer un rôle de premier plan dans les mouvements sociauxet les protestations. Même si je ne pense pas que ce soit là le rôle appropriépour l’université.