Moyen-Orient : à quoi joue l’Amérique ?

L’administration Obama a abandonné ses alliés traditionnels de la région, précisément au moment où le fanatisme monte en flèche. Le Moyen-Orient peut exploser à tout moment

Obama en Arabie Saoudite (photo credit: KEVIN LAMARQUE)
Obama en Arabie Saoudite
(photo credit: KEVIN LAMARQUE)

Une source non identifiée du Département d’Etat américain a déclaré récemment au quotidien koweïtien Al Rai que la confrérie des Frères musulmans ne constituait pas un danger pour les Etats-Unis et que d’ailleurs personne n’avait demandé à Washington de l’inscrire sur la liste des organisations terroristes. Ce dernier point est sans doute exact, mais était-ce vraiment le moment de faire une déclaration aussi publique alors que les Frères fomentent une guerre terroriste contre l’Egypte – alliée de longue date de l’Amérique au Proche-Orient – laquelle a justement qualifié la Confrérie d’organisation terroriste et l’a interdite ? Les Frères y ont vu la preuve que les Etats-Unis continuaient à les soutenir, ce qui les encourage à poursuivre leur combat.

De fait, depuis le début des manifestations contre Moubarak en janvier 2011 Washington soutient la Confrérie et a même suspendu une grande partie de son aide militaire à l’Egypte pour protester contre l’éviction de Morsi. On se perd en conjectures sur les raisons de cette politique. Il n’y a pas si longtemps l’administration Obama se glorifiait d’avoir exécuté Ossama Bin Laden, ennemi numéro de l’Amérique et fidèle disciple de deux illustres Frères. Le premier, Abdulla Azzam, Palestinien membre de la branche égyptienne de la Confrérie et l’un des fondateurs d’Al-Qaïda, a été son professeur et son mentor ; le second, Mahmoud Qutob, qui fut son professeur à l’université de Jeddah, est le frère de Sayed Qutob, théoricien de la Confrérie et père de l’idéologie qui a donné naissance à l’islam radical dont on connaît le sillage mortel. Par ailleurs Abdel Rahman, le cheikh aveugle artisan de la première attaque terroriste contre le World Trade Center à New York en 1993, crime pour lequel il purge une peine de prison à vie aux Etats-Unis, était le chef de la Gama’a AlIslamiya, mouvement dérivé de la Confrérie et responsable de l’assassinat du président Sadate ; c’était aussi un grand ami de Bin Laden, aux côtés duquel il s’était battu en Afghanistan.

La liste est encore longue. Depuis 85 ans, les Frères musulmans et les mouvements qui s’en inspirent sèment la terreur et la mort, s’attaquant aussi bien à ceux qui sont musulmans comme eux qu’à l’Occident. Ce qui n’empêche pas l’administration américaine de déclarer publiquement que la Confrérie ne constitue pas un danger. Des rumeurs persistantes font état de la présence d’Arabes américains ayant des liens avec le mouvement à la Maison-Blanche, au Département d’Etat et jusqu’au Bureau du Contre-terrorisme. Des listes de noms circulent ; difficile pourtant d’y croire.

 

 

Crise de confiance avec l’Arabie Saoudite

et les pays du Golfe
 

 

L’Egypte fait les frais de ce curieux état des choses. Elle a désespérément besoin des équipements militaires dont l’administration a suspendu la livraison – notamment les hélicoptères Apache et le matériel de surveillance sophistiqué – dans son combat contre le terrorisme des Frères et des mouvements djihadistes. Le ministre égyptien des Affaires étrangères se plaint que les autorités américaines ne laissent pas partir un certain nombre d’hélicoptères Apache envoyés aux Etats Unis pour révision périodique. Des armes à destination du Caire achetées en toute légalité à la Pologne ont été saisies par la douane allemande en vertu de l’embargo sur les armes imposé par l’Union européenne. Etats-Unis et Union européenne ostracisent donc d’un commun accord l’Egypte, le plus grand pays arabe, qui se bat contre l’islam radical. En désespoir de cause l’Egypte s’est adressée à la Russie et un énorme marché d’armement d’un montant de trois milliards de dollars est sur le point d’être signé ; Le Caire demande aux Russes d’envoyer en urgence des hélicoptères de combat pour la lutte contre le terrorisme.

La politique américaine a provoqué une crise de confiance avec l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe pour lesquels l’Iran est une menace majeure et qui ont donc vécu comme une trahison la découverte que Washington avait négocié en cachette avec Téhéran un compromis sur le programme nucléaire. Défiant les Américains, l’Arabie, les Emirats et Koweït ont annoncé qu’ils financeraient le marché d’armement russo-égyptien. Le fait est que les relations entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis se sont grandement détériorées après les attentats du 11 septembre, 16 des 18 terroristes ayant perpétré les attentats étant des Saoudiens. Ryad a essayé de rétablir la situation en bannissant du royaume la confrérie des Frères musulmans et des imams saoudiens ont publié des fatwas condamnant le terrorisme et notamment les attaques contre des pays tiers. C’est la raison pour laquelle l’Arabie Saoudite a applaudi la chute de Morsi.

Le président Obama qui voulait apaiser les pays du Golfe, s’était proposé de rencontrer leurs représentants à Ryad avant la tenue de leur sommet annuel prévu à la mi-mars à Koweït. Comprenant que leur colère était telle que cette rencontre n’aurait aboutie qu’à mettre à nu les divergences, il y a renoncé et pris la décision de reporter sa visite. Elle a finalement eu lieu le vendredi 27 mars, soit après le sommet, et n’a duré que 24 heures, se limitant à une rencontre bilatérale avec le roi de l’Arabie Saoudite. Les deux chefs d’Etat ont réaffirmé l’alliance stratégique entre leurs pays sans réussir à cacher leurs profondes divergences concernant l’Egypte, la Syrie et l’Iran. Obama s’est déclaré préoccupé de l’envoi des missiles sol-air par l’Arabie Saoudite aux rebelles syriens ; et en ce qui concerne l’Iran, il s’est engagé « à ne pas accepter un mauvais accord avec l’Iran ». Ni l’un ni l’autre n’était prêt à revoir sa politique et il semble que le fossé s’est creusé davantage.

Depuis l’éclatement de l’empire ottoman le Moyen-Orient a connu une succession de guerres, de coups d’état et de massacres. Les pays de la région n’ont jamais réussi à développer leur économie malgré les énormes ressources dont ils disposent ; ils avaient recours à l’aide des grandes puissances comme l’Angleterre, la France, l’Amérique ou l’Union soviétique. La France et l’Angleterre ayant abandonné leur rôle de puissance coloniale et l’Union soviétique s’étant désintégrée, les pays arabes pragmatiques confrontant l’Iran et Al-Qaïda ne pouvaient plus compter que sur les Etats-Unis. Aujourd’hui c’est de moins en moins évident. L’échec du printemps arabe a encore aggravé la situation. La Somalie, la Libye, la Syrie, l’Irak et le Yémen se disloquent ; le Liban est au bord de l’abîme, le Soudan aussi. Seuls les royaumes traditionnels – Arabie Saoudite, pays du Golfe, Jordanie, Maroc – restent stables, mais pour combien de temps ? L’éclatement de la Libye a été catastrophique et ses énormes stocks d’armes tombés aux mains des pillards alimentent le terrorisme en Egypte et dans le reste du Moyen-Orient. La solide alliance des pays pragmatiques qui bloquaient les visées de l’Iran n’est plus ; des pays qui, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les pays du Golfe, s’étaient montrés des alliés fidèles de l’Amérique pendant des dizaines d’années ne peuvent plus compter sur elle. On assiste à une formidable poussée de l’extrémisme et du fanatisme. Le Moyen-Orient peut exploser à tout moment.

Et l’Amérique ? Elle se désengage de la région tout en donnant l’apparence d’encourager les forces extrémistes. Pourquoi ? C’est la grande inconnue. Ce qu’on sait, c’est que la nature a horreur du vide. Ce vide, qui va le remplir maintenant ?

 

 
 

 

 

 

L’auteur est ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et chercheur au JCPA.