Pommes de discorde

Les propriétaires des vergers et vignobles des hauteurs du Golan craignent de voir les villes et villages de la région vivre bientôt la même situation que ceux des abords de Gaza

Pommes de discorde (photo credit: DR)
Pommes de discorde
(photo credit: DR)
La semaine dernière, les habitants des hauteurs du Golan ont revécu un incident qui s’était déjà produit vingt ans plus tôt : à l’époque, un Syrien, en manque de distractions, avait tiré sur des agriculteurs israéliens travaillant près de la frontière. Hafez el-Assad, le président d’alors, avait fait arrêter le coupable qui avait été promptement exécuté après un procès éclair.
Quand Bachar el-Assad, fils d’Hafez, a pris la relève, les habitants du Nord d’Israël ont espéré le voir marcher dans les pas de son père et maintenir la tranquillité dans la zone. Mais la sanglante guerre civile a éclaté en Syrie et les Israéliens de cette zone se sont mis à espérer la chute du nouveau dirigeant.
Depuis, des rebelles soutenus par al-Qaïda et affiliés à cette organisation ont pris le contrôle du point de passage de Kuneitra et les habitants du Golan ont changé leur fusil d’épaule. Ils estiment à présent que, pour Israël, le régime d’Assad est préférable à l’émergence de forces rebelles violentes qui contrôleraient la frontière.
« Des gangs criminels » : c’est ainsi que les habitants du Golan désignent les rebelles en question, tout en espérant que les tirs venus de Syrie vont bientôt cesser de mettre en péril leurs vies, leur gagne-pain et leurs activités quotidiennes.
Le Nord, plutôt épargné
Jusqu’à présent, ils sont parvenus à résister aux appels au boycott qui résonnent à travers le monde et qui les étiquettent comme des occupants. « Nous n’avons pas besoin que ces gens-là achètent nos produits », proclame même Karina Chipolinski, propriétaire de la fabrique de chocolat De Karina.
Il y a dix ans, la jeune Karina, originaire d’Argentine, vient visiter Israël. L’air frais et pur du Golan la séduit aussitôt et elle tombe aussitôt amoureuse de la région, au point de décider de s’y installer et d’y monter son entreprise.
« De Karina est une affaire qui tourne, mais c’est aussi une attraction touristique », explique Chipolinski. « Les tirs venus de Syrie ne sont pas très agréables, mais les touristes israéliens en ont vu d’autres et cela ne les empêche pas de venir en nombre. J’ai confiance en notre pays et je sais que Tsahal nous protège, mais j’espère que nous n’allons pas nous retrouver entraînés dans un conflit qui porterait un coup significatif à nos activités. »
Dans le Golan, l’été est la grosse saison touristique. Des dizaines de milliers de visiteurs sont là et les professionnels travaillent d’arrache-pied pour les accueillir. L’opération Bordure protectrice, qui a affecté le Sud du pays, a également nui au tourisme dans le Nord, car peu d’Israéliens sont partis en vacances cet été. Toutefois, grâce aux municipalités du Nord qui ont organisé l’accueil d’habitants du Sud, les professionnels du tourisme du Golan sont parvenus à rentabiliser leurs installations tout en ayant l’impression de faire une bonne action et de rendre service au pays.
« Un morceau de Dieu que personne ne pourra jamais endommager »
La délicieuse expérience proposée par Chipolinski ne se trouve qu’à 20 km des fameuses pommes du Golan.
Le chemin qui mène aux vergers offre un point de vue magnifique sur toute la vallée de Kuneitra. Nous y arrivons au petit matin et tout est calme à la frontière. Pourtant, la semaine précédente, de violents combats ont eu lieu à cet endroit, avec avions de chasse et tirs de tanks et de mortier qui partaient dans toutes les directions. Une bataille de grande envergure, à en croire les témoins…
Le calme des lieux est rompu par un groupe de jeunes Israéliens venus là dans l’espoir d’assister en direct à quelque chose, de se sentir impliqués dans la guerre, comme si la récente activité autour de Gaza ne leur avait pas suffi. Le moindre nuage de poussière soulevé par les roues d’une voiture devient l’objet de toute leur attention.
« C’est à cet endroit précis que nous avons été attaqués par les Jordaniens », raconte un homme d’un certain âge au groupe d’adolescents qui l’accompagne. « Ils nous lançaient des missiles anti-tanks Sagger et l’un de mes amis, qui faisait partie de mon unité, a été tué. « Des combats très violents ont eu lieu ici, surtout côté ouest. Savez-vous combien de soldats de Tsahal ont été tués à l’endroit où nous nous trouvons ? Chaque unité plantait un drapeau et déclarait qu’elle occupait désormais le territoire. La différence, c’est qu’à l’époque, personne ne nous embêtait avec ça… »
En regardant en direction de Kuneitra, nous voyons les vergers d’Ein Zivan. Entre la base abandonnée par la force des Nations unies chargée d’observer le désengagement (FNUOD) et l’entrée du kibboutz, s’étendent 202 hectares de pommiers, nectariniers, cerisiers, poiriers et pêchers. « C’est un morceau de Dieu que personne ne pourra jamais endommager », affirme Kodish, « cela constitue un site touristique à part entière. Chaque année, des milliers d’Israéliens viennent ici pour participer à la cueillette, dont une partie est exportée en Syrie.
Si la délicate situation sécuritaire à la frontière perdure, estime-t-il, l’aspect touristique de notre activité va disparaître. En fait, Assad est bon pour nous », conclut-il. « Chaque année, il nous achète de grandes quantités de pommes. Mais maintenant, plus personne, là-bas, n’a le temps de s’occuper d’acheter des pommes, alors celles-ci restent chez nous désormais. »
Reliés à la terre
Malgré tout, Kodish est confiant : Ein Zivan ne souffrira pas trop sur le plan économique cette année, du moment que les tirs s’arrêtent. La semaine dernière, Tsahal a déclaré les vergers zone militaire fermée et fait évacuer des dizaines d’employés. « Si nous ne pouvons pas y aller cette semaine », indique Kodish, inquiet, « les pommes ne pourront pas se retrouver sur les tables pour Rosh Hashana.
« Nous avons construit une entreprise sioniste ici », ajoute-t-il en désignant les employés qui cueillent les fruits avec détermination. « Certains de ces gens sont des étudiants qui viennent de terminer leur service militaire et ont eu envie de travailler un peu dans l’agriculture et de sentir la terre entre leurs doigts… »
Les jeunes en question se font rassurants : ils n’abandonneront pas les vergers. « Il y a des explosions de temps en temps, mais elles ne nous inquiètent pas », affirme Golan Simets, un étudiant de Jérusalem, son sac de pommes dans les bras. « Je suis davantage peiné par tous ces pauvres Syriens qui se font massacrer. A quelques mètres à peine de là où nous nous trouvons, la guerre fait rage et nous, nous sommes là, à cueillir joyeusement nos pommes ! Ce n’est pas fou, ça ? »
Chen Peri, de Raanana, qui cueille de fruits tout près de nous, n’est pas inquiète non plus. En revanche, ses parents ne sont pas sereins. « Ils m’appellent sans arrêt », soupire-t-elle. « Ils sont stressés. Quand un obus de mortier tombe dans le coin, nous avons un peu peur pendant une seconde, mais si nous sommes venus travailler là, c’est pour nous sentir reliés à cette terre que nous aimons. C’est un endroit magnifique et il est très important pour nous qu’il survive, et même qu’il prospère. Nous ne sommes pas là pour l’argent. »
« Le boycott ne nous fait pas peur »
Kodish et les autres agriculteurs de la région ne se font pas de souci pour leur situation financière personnelle, mais pour les changements progressifs du quotidien des gens de la région. Ils pensent à ce qui s’est passé dans les villages proches de Gaza ces 14 dernières années. Car, si la guerre civile qui se déroule dans le pays voisin n’affecte pas directement la vie en Israël, la plus grosse appréhension, c’est que l’équilibre des pouvoirs change un jour en Syrie.
« J’aimerais pouvoir croire que les groupes terroristes vont être éradiqués. Dans le cas contraire, cette zone va devenir un autre Gaza », prédit Kodish. « Assad doit les vaincre, sinon, ce sera à Israël de le faire. »
Il y a dans les hauteurs du Golan quelques vignobles de qualité qui produisent des vins d’un niveau exceptionnel. Les hivers froids de la montagne constituent manifestement un climat propice à la viticulture et les entreprises viticoles sont réputées figurer parmi les meilleures du Moyen-Orient. Les vins produits ici ont reçu de nombreux prix et remporté des concours internationaux. Cependant, si ces vins sont bel et bien devenus un sujet de conversation en Europe, ce n’est pas pour leurs qualités. De nombreux pays européens ont choisi de boycotter les produits du Golan, arguant qu’il s’agit d’un territoire occupé.
Mais les propriétaires de l’exploitation viticole Bazelet Hagolan, dans le moshav de Kidmat Zvi, ne s’inquiètent pas pour autant, bien au contraire.
Nous avons pu troquer les bouchons de liège traditionnels contre d’autres, ornés du drapeau d’Israël, disent-ils. « Nous exportons notre vin en tant qu’Israéliens fiers de l’être. Nous voulons que, dans les rayons des magasins, les consommateurs voient que ce sont nos vins et qu’ils les savourent en connaissance de cause », déclare Assaf, viticulteur. « Le boycott ne nous fait pas peur. Si certains n’ont pas envie d’acheter nos produits, tant pis pour eux ! Il y en a une multitude d’autres qui sont ravis de le faire. Nous ne nous sentons pas menacés par le boycott. »
Un passe-temps devenu prospère
Comme beaucoup d’habitants du Golan, la famille Levy est extrêmement sioniste et se sent investie d’une mission. Ses membres éprouvent un amour très fort pour le pays et pour la terre. « Nous avons créé ce vignoble sur la base de nos profonds sentiments sionistes », explique Levy. « Tous nos employés ont fait l’armée, sauf celui chargé de surveiller la cacherout. Nous avons accueilli ici gratuitement des milliers de soldats. Mon père leur donne simplement la clé. Ils font des barbecues, boivent du vin et, avant de partir, ils nettoient derrière eux et ils éteignent la lumière en fermant la porte.
Tout a commencé le jour où la famille Levy a eu envie de boire quelque chose de bon et a décidé de fabriquer elle-même son vin dans sa cave. Et ce qui a débuté comme un passe-temps a fini par devenir l’un des vignobles les plus prospères de la région. Les niveaux de production de Bazelet Hagolan ont tant augmenté au fil des ans qu’aujourd’hui, le raisin cultivé ne suffit plus et qu’il a fallu aller planter des vignes supplémentaires dans le Néguev.
« Nous souffrons un peu des répercussions de l’opération Bordure protectrice », reconnaît Levy, « et aussi parce que nos ventes ont chuté… »
Si la situation sécuritaire ne les empêche pas de dormir, les viticulteurs se préoccupent cependant de l’avenir.
« A l’exception des rares fois où un obus de mortier tombe dans notre zone, ce qui nous empêche de récolter le chardonnay, les tensions en Syrie ne nous affectent pas beaucoup », explique Levy. « En revanche, si la situation se dégrade et que les combats à la frontière éclatent à la saison des vendanges, nous aurons de graves problèmes, car le raisin risque de pourrir sur pied. Mais ce n’est pas notre préoccupation immédiate, en fait : ce qui nous tracasse, c’est qu’il n’y a pas assez d’Israéliens dans le Golan. J’aimerais qu’en lisant cet article, des gens décident de venir vivre ici. Nous tenons vraiment à voir notre communauté s’accroître. Il y a un très gros besoin de main-d’œuvre dans le Golan, et pas seulement pour les vignobles, et il est important pour nous de continuer à y travailler. »
Le Conseil régional du Golan espère pour sa part que cette situation délicate ne s’éternisera pas. Il a invité Silvan Shalom, ministre du Développement du Néguev et de la Galilée, à venir visiter la région. Celui-ci a exprimé sa préoccupation et promis d’apporter tout son soutien.
On ignore quand et comment la guerre en Syrie va se terminer. Certains experts affirment qu’Assad tentera tôt ou tard de reprendre le contrôle de Kuneitra. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : après 40 ans de présence dans la région, il faudra se lever de bonne heure pour déstabiliser la solide communauté juive du Golan.
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