Punta del Este: nouvel eldorado des juifs d’Amérique

Entre plages de sable fin et sécurité, la station balnéaire uruguayenne a su séduire les juifs du continent et d'ailleurs.

JFR P20 370 (photo credit: Reuters)
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Punta del Este, avec ses plages de sable fin et sesrésidences haut de gamme, est une oasis de luxe qui séduit les touristes depuislongtemps. Une destination de choix pour l’élite sud-américaine, mais passeulement. Tout récemment, Donald Trump en a fait le premier projet résidentieldu continent. Et plus intéressant encore : ces dernières années, la ville sedistingue pour être en passe de devenir le lieu de villégiature privilégié dela communauté juive, pendant les mois d’été sud-américains, de janvier à mars.
Pour preuve : des centaines de fidèles assistent désormais aux offices deShabbat à Beit Meir, la synagogue de la ville qui peut aussi s’enorgueillir deson festival du film juif. Les randonneurs israéliens peuvent se loger à faiblecoût dans un somptueux manoir pendant que les luxueux gratte-ciel sont dotésd’ascenseurs shabbatiques. C’est là, aussi, que la première pizzeria casherd’Uruguay a ouvert ses portes en janvier dernier. Et chaque jour, des avionssurvolent la plage avec des banderoles publicitaires dans leur sillage. L’uned’elle, sponsorisée par le rabbin Loubavitch de la ville, affiche même l’heurede l’allumage des bougies de Shabbat.
« Nous aimons venir ici pour retrouver des amis où nous en faire de nouveaux.Et bien sûr, nous aimons les plages », déclare Roberta Lavelberg de Sao Paulo,employée de la Confédération juive du Brésil, ou CONIB, principal groupe decoordination de la communauté.
Havre de paix pour les juifs 
Punta del Este est située sur la côte sud del’Uruguay à environ à deux heures à l’est de la capitale Montevideo.
Son climat agréable et ses plages de sable blanc font le bonheur des touristesdepuis longtemps. Mais pour les juifs d’Amérique latine, qui vivent dans uneinsécurité permanente, le choix de cette destination est principalement motivépar la tranquillité et la sécurité qu’ils trouvent dans la ville. Selon unsondage du Global Peace Index (Indice de paix mondial) paru en 2012, l’Uruguayarrive en tête du palmarès des pays qui offrent le plus de quiétude à sesrésidents, devant le Brésil et l’Argentine, qui abritent pourtant les plusimportantes communautés juives de la région. Avec une seule route qui latraverse, il est facile à Punta del Este de contrôler la criminalité. « Toutesles villes de la région ne sont pas aussi paisibles pour les juifs », a déclaréMonica Barrios Hernandez, coordinatrice du département du tourisme. « Ici, ilssont en parfaite sécurité. Les juifs orthodoxes peuvent porter librement leurscostumes traditionnels, aussi bien à la plage qu’à la synagogue. Ici, ils neseront jamais dérangés par personne ».
La présence juive à Punta del Este a subitement augmenté ces dernières années.La création du Country Club Cantegril en 1950, par l’homme d’affaires MauricioLitman y est pour beaucoup. Puis le lancement un an plus tard du Festivalinternational du film de Punta del Este, a donné à la ville une statureinternationale.
En 1959, la ministre des Affaires étrangères israélienne, Golda Meir, avaitorganisé une réunion à Punta del Este pour les ambassadeurs israéliens de toutel’Amérique latine.
Puis dans les années 1960, des promoteurs et architectes juifs entreprennentdes projets immobiliers d’envergure.
Weiss-Sztryk-Weiss, une société immobilière juive, s’est implantée dans lesannées 1970. La famille Atijas, également juive, a fait scission d’avec lamaison Weiss pour monter sa propre affaire. Les deux entreprises ont eu uneénorme influence sur le développement de la ville.
Quatre synagogues 
C’est dans les années 1980 et 1990 que les Argentins de laclasse moyenne commencent à venir en vacances ici.
« Investir dans cette ville permet de réaliser une bonne plus-value. Aprèsavoir fait une étude sur le retour d’investissement, beaucoup de juifs descommunautés environnantes se sont lancés dans des placements », note NestorSztryk, le directeur de Weiss-Sztryk-Weiss, qui développe huit projetsimmobiliers résidentiels à Punta del Este. « Les Brésiliens et les Argentins,qui vivent dans une constante insécurité, apprécient la qualité de vie, etgrâce à la tranquillité qu’ils y trouvent, n’ont à craindre ni pour leursenfants, ni pour leurs biens. » Un peu plus de 9 000 personnes y résident àl’année. Punta del Este, dispose de quatre synagogues. Un pic d’affluence enété porte la population juive à quelque 25 000 à 50 000 personnes dans un paysoù la population atteint 3,3 millions, dont environ 17 000 juifs.
Avec le début de la saison d’été, en janvier, des activités Et ce n’est pas unebelle journée ensoleillée qui pourrait empêcher quelque 650 personnes de venirà l’hôtel Conrad pour participer à une conférence sur les défis auxquels Israëldoit faire face. Ni 900 autres, d’assister à la signature d’un livre qui portesur la Cabbale ou la mystique juive, dont l’auteur, Sergio Bergman, est lepremier rabbin à être élu à des fonctions publiques en Argentine.
Quant à l’Orchestre philharmonique d’Israël, il s’y produit un peu plus tarddans le mois, et les universités ainsi que des organisations caritativesisraéliennes, organisent régulièrement des événements dans cette villégiature.
En février, la ville a accueilli la 10e édition du Festival du film juif, grâceau soutien des juifs d’Argentine, du Brésil et du Chili, ainsi que dugouvernement Uruguayen.
Le premier émissaire Chabad s’est installé à Punta del Este en 1985. Cemouvement hassidique a aussitôt transformé une maison en auberge, le YaacobHouse. Là, les globetrotters israéliens et les juifs locaux trouvent à se logerpour seulement 20 dollars la nuit dans un quartier où le prix des maisonsoscille autour de 2 millions de dollars.
« Nous offrons également des offices de Shabbat et des repas shabbatiques pourles jeunes qui passent leur été dans les villages voisins de Punta del Diabloet Jose Ignacio, deux stations balnéaires plus au nord », ajoute le rabbinElieser Shemtov, « le tourisme en Uruguay est en plein essor à l’est et lesLoubavitch suivent tout naturellement le mouvement.» 
« Tranquilles et heureux » 
Avec la crise financière qui a frappé l’Argentine de plein fouet vers la findes années 1990, de nombreux juifs de la classe moyenne ont émigré en Europe etaux Etats-Unis. D’autres ont choisi de s’installer ici pour y jouir d’une plusgrande sécurité tant économique que physique. Yael Cohen, par exemple, a émigréavec son mari après avoir été enlevée et agressée par des voleurs. Elle a vendusa pharmacie de Buenos Aires pour en acheter une autre à Punta del Este, où lecouple réside maintenant. « On voyait bien dans les médias que la criminalitéétait en hausse, mais il a fallu que nous en soyons les victimes pour nousdécider d’opter pour une vie en sécurité », a déclaré Cohen. « Ici, nous sommestranquilles et heureux. » L’an dernier, l’architecte Daniel Weiss est devenu lepremier président juif de Cantegril, un club très privé dans le pays, créé parLitman, lui-même élu à sa tête pour deux ans dès sa création. Fin janvier,preuve d’une forte présence juive dans la ville, l’Argentin Samuel Liberman aannoncé son intention de construire un hôtel de 600 millions de dollars ainsiqu’un centre commercial, pour un montant six fois plus élevé que celui ducomplexe immobilier initié par Trump.
La présence des institutions juives a augmenté ces dernières années commepartout ailleurs en Amérique latine. Le CIPEMU, « Comunidad Israelita de Puntadel Este », centre communautaire juif, créé en 2005, compte aujourd’hui 800membres. « Nefesh », une nouvelle école juive a ouvert ses portes l’annéedernière. Et une yeshiva devrait bientôt voir le jour grâce à des fondsprovenant des communautés juives d’Argentine et du Brésil.
« Je suis très émue, ce soir », confie Johanna Cohen, une Argentine en cheminpour se rendre à l’office du Shabbat du vendredi soir, « me voici dans cetterue, en bord de mer, en train de me rendre à la synagogue, accompagnée de mesdeux filles, parmi tous ces gens, qui partagent la même histoire que moi et lesmêmes valeurs ».
Car partout ailleurs, en Argentine et au Brésil, des hommes de la sécuritégardent l’entrée des synagogues et autres lieux juifs. « Mais ici, nouscélébrons le Shabbat les portes ouvertes, et rien n’est jamais arrivé. »