Qui sont les Hiérosolymitains ?

Les 800 000 habitants de Jérusalem seraient plus pauvres mais plus heureux que la moyenne des Israéliens.

Mahane Yehuda 311 R (photo credit: REUTERS)
Mahane Yehuda 311 R
(photo credit: REUTERS)
Les Hiérosolymitains seraient 804 400, indique la dernière enquête sur la population de Jérusalem publiée à la mi-septembre 2012 par le Bureau central des statistiques. Pourtant, si l’on prend en considération le fait que la ville abrite la majorité des bureaux gouvernementaux, une université et l’un des quatre plus prestigieux hôpitaux du pays ; et qu’elle attire de nombreux visiteurs et des centaines de milliers de touristes, on peut compter que près d’un million de personnes séjournent, d’une manière ou d’une autre, à Jérusalem.
Il n’est pas difficile de décrire le touriste moyen, qu’il soit un Juif de Diaspora, un pèlerin chrétien ou un Musulman.
Mais savoir à quoi ressemble le Hiérosolymitain typique, tapi derrière les statistiques, est une autre histoire...
Avant d’aborder les résultats de l’enquête sur les résidents de la ville, Dr Maya Choshen, chercheur senior et chef statisticienne à l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes tient à souligner que “ce qui caractérise les habitants de Jérusalem c’est justement leur diversité, et le fait qu’ils aiment être entourés d’une variété de personnes différentes.”
Les Hiérosolymitains seraient donc différents les uns des autres. Voilà qui ne va pas faciliter leur portrait. Choshen va donc nous guider dans le méandre des données et résultats du Bureau central des statistiques et de l’Institut de Jérusalem.
L’impression qu’on a de la population de Jérusalem est sa division en trois grands segments : Arabes, ultra-orthodoxes et “Juifs” (ce dernier groupe comprendrait les Juifs religieux, traditionalistes ou séculaires, soit tous les Juifs qui ne sont pas haredim).
Cette observation est fantaisiste. Car comme l’explique Choshen, “la première erreur est de croire que les ‘hommes en noir’ représentent un tiers de la population générale de la ville, alors qu’ils ne représentent que 34 pour cent des 499 400 résidents juifs. Le reste de la population se partage de la manière suivante : 281 100 Musulmans, 14 700 Chrétiens (toutes appartenances confondues) et 9 000 indéfinis par le ministère de l’Intérieur, soit ni Juifs, ni Chrétiens ni Musulmans.”
L’autre grande idée reçue est que beaucoup de résidents quittent la ville. Regardons les chiffres de plus près : s’il est vrai qu’en 2011, 17 800 personnes ont déménagé de la ville, 10 400 nouvelles s’y sont installées. En outre, la majorité des 17 800 citoyens qui ont quitté Jérusalem se sont réinstallées dans ses alentours, dans des agglomérations plus petites. S’ils sont haredi, ils ont choisi des localités comme Betar Illit, Elad ou Modiin Illit et s’ils sont religieux non haredi ou séculaires, ils sont allés à Mevasseret, Tzour Hadassah, Modiin ou Shoham. La majorité de ceux qui ont quitté Jérusalem continuent d’y travailler ou d’y faire affaire.
Une grande partie de ceux qui partent sont des haredim qui rencontrent des problèmes de logement, ou des jeunes familles qui souhaitent acheter un appartement à un coût plus abordable, trouver un emploi ou offrir une meilleure éducation à leurs enfants. “Nous ne pouvons pas connaître exactement le profil de ceux qui quittent la ville”, explique Choshen, “en revanche, si l’on se base sur le choix de leur relocation, on peut facilement deviner s’ils sont haredim ou non. Nous pouvons donc affirmer que ces dernières années, une grande majorité de ceux qui partent sont haredim.”
Dans ce contexte, le député maire Isaac Pindrous, du mouvement Yahadout Hatora Hameouhedet, a récemment exprimé sa frustration de n’obtenir, ni du maire Nir Barkat ni du ministère de la Construction et du Logement, des solutions d’habitation pour la communauté haredi.
Le manque de constructions dans les quartiers ultra-orthodoxes a provoqué le départ d’un nombre grandissant de jeunes familles de cette communauté. “Les statistiques mettent en évidence un taux de naissance élevé au sein de la communauté haredi, ce qui suggère une augmentation de la population haredi dans la ville”, indique Choshen. “Et d’après la rumeur, dans les vingt prochaines années, le nombre de haredim dépassera celui des non-haredim. Mais si l’on prend en compte les chiffres qui prouvent que de plus en plus de haredim quittent la ville, cette prédiction ne tient pas debout.” Selon Choshen, en ce qui concerne la population arabe, on note depuis cinq ans une baisse constante du taux de natalité.
Un problème de définition 
Comme ces chiffres et statistiques sont basés sur l’appartenance des résidents à différents segments de la population, il est essentiel de vérifier comment les différentes sources définissent ces segments (haredim, religieux et non religieux).
Dans ce contexte, Choshen explique la décision du Bureau des statistiques de changer son questionnaire et de demander aux personnes interrogées de se décrire, au lieu d’utiliser les critères de Manhi (le bureau de l’éducation de Jérusalem).
Ainsi, selon Manhi, un haredi est défini comme quelqu’un qui envoie ses enfants dans une école haredi ; un religieux les envoie dans une école nationale religieuse ; et un séculaire enverra ses enfants dans une école non religieuse nationale.
Mais depuis 2002, poursuit Choshen, le Bureau des statistiques utilise d’autres moyens pour faire ses recherches.
“Tout d’abord, on fait une enquête sociale où l’on n’interroge que les gens âgés de 20 ans et plus. Ensuite, et c’est essentiel, on leur demande de nous dire à quel secteur de la société ils appartiennent. Et ces résultats ne coïncident pas toujours avec ceux de Manhi.”
“En d’autres termes, si vous demandez à un habitant de Jérusalem à quel segment de la société il s’identifie, il peut vivre comme un haredi et se décrire comme un national religieux - et vice-versa.”
“Pour décrire une population, de nombreux facteurs jouent par-delà les résultats démographiques pris à la lettre”, continue Choshen. “Par exemple, si dans les prochains mois on construit pour la population haredi des logements en dehors de Jérusalem, leur exode augmentera de manière drastique.
Cela ne veut pourtant pas dire que leur nombre total sera moins élevé, mais on constatera un changement radical dans le caractère de leur population.
Car, dans ce cas-là, la majorité des haredim qui resteront à Jérusalem seront les Européens ou Américains.
Et leur style de vie est totalement différent.”
“Ces haredim-là travaillent. Dirigeants d’entreprises, ils ne choisissent pas de vivre en vase clos, dans des quartiers spécifiques.
De plus, leur statut économique est généralement plus élevé. Amateurs de culture, la majorité d’entre eux ont reçu une éducation universitaire. Ils sont complètement différents des orthodoxes locaux que nous connaissons.”
Une fois le secteur haredi mieux défini, on peut se demander ce qu’il en est des sympathisants Shas. Et où il convient de les placer dans cette mosaïque. Certains universitaires décrivent les haredim séfarades comme des “haredim tendres”. Mais, ici encore, il s’agit d’un groupe loin d’être monolithique. “Puisque ces résultats sont basés sur un point de vue subjectif - c’est-à-dire comment la personne interrogée se définit et non comme elle est vue de l’extérieur - nos définitions traditionnelles ne correspondent plus à rien”, précise Choshen.
“Selon les données de Manhi, un enfant qui étudie dans une école haredi appartient à une famille haredi. En réalité, ce n’est pas toujours vrai”, corrige-t-il. “En particulier, si on parle d’enfants de familles qui s’identifient avec le courant haredi Shas.”
En d’autres termes, un enfant peut être envoyé dans une école haredi pour des raisons qui ne sont pas liées à la pratique religieuse, mais davantage aux locaux, à l’accessibilité, ou pour les repas chauds qui y sont servis. Sa famille peut en fait se situer dans l’éventail entre national religieux et “haredi tendre”, ou même dans le courant traditionnel, auquel appartiennent de nombreux Juifs séfarades. La réalité est donc beaucoup plus complexe que ce que suggèrent les données simplificatrices de Manhi.”
“Evidemment, nombre d’électeurs Shas se définiront comme des haredim”, convient Choshen. “Mais contrairement aux Ashkénazes, vous en trouverez autant qui se décriront plutôt comme religieux ou traditionnels. Ou le contraire - des haredim séfarades qui voteront Likoud plutôt que Shas.
Conclusion : ne nous basons pas exclusivement sur les chiffres et encore une fois, rappelons-nous que rien n’est à prendre à la lettre.”
Dis moi où tu habites, je te dirai qui tu es...
Choshen suggère que le choix du quartier de résidence est un élément clé dans l’appartenance à un segment et a aussi un rapport avec le vote. “Nous savons déjà que les gens aiment vivre avec ceux qui leur ressemblent. Les haredim séfarades qui vivent près des quartiers ultra-orthodoxes (comme Shmouel Hanavi) seront plus enclins à voter pour des partis haredi et à observer plus strictement les règles strictes que les Séfarades, qui choisiront d’habiter Katamonim, et où le vote sera davantage une revendication sociale, donc plus “séfarade” que “haredi”.
Dans ce contexte, Choshen relève des circonstances additionnelles qui ont amené des changements, comme la rénovation de vieux quartiers défavorisés.
Katamonim en est un bon exemple : l’arrivée, il y a quelques années, de familles jeunes et dynamiques avec une éducation académique, a complètement modifié le quartier. Des familles religieuses, modernes et sionistes, se sont installées dans un quartier non religieux et ce mouvement a mené à une gentrification du quartier, comme il y a des années à Baka ; et il est devenu un des plus huppés de la ville.
“Puisque dans tous ces quartiers, une grande proportion de la population d’origine demeure, le changement affecte tout le monde. Si c’est pour le mieux dans le cas de Katamonim, c’est l’inverse à Nevé Yaacov, où ont eu lieu une ‘haredisation’ et une baisse du statut socio-économique des résidents”, explique Choshen. “A Jérusalem, contrairement à Tel-Aviv, la mosaïque de la population vient des différents quartiers, il ne s’agit pas d’une classique division nord-sud, où la frontière socio-économique est profondément marquée.”
Choshen affirme aussi que la morphologie géographique particulière de Jérusalem fait sa diversité. “Jérusalem est composée de petits villages ; mais tout est très près. Dans la même rue, vous pouvez trouver des habitants riches comme des habitants d’un niveau économique inférieur, et puis il y a aussi les religieux, les traditionnels et les séculaires qui vivent vraiment à proximité les uns des autres “ “De plus”, ajoute Choshen, “les quartiers sont généralement grands et renferment une population très dense.
Certains ressemblent même à de petites localités et il se crée ainsi de larges communautés dans la ville, qui se répartissent en grand nombre, non seulement par des critères classiques comme riche-pauvre, religieux-séculaire, mais aussi par d’autres facteurs beaucoup plus variés.”
Alors après toutes ces définitions, nuances et descriptions, peut-on enfin tracer le portrait du drôle d’oiseau qu’est le Hiérosolymitain ? Choshen n’a aucun mal à définir son caractère. “Un vrai Hiérosolymitain, s’il choisit d’habiter un quartier qui correspond à ses habitudes et à son style de vie, tient aussi à voir et fréquenter des gens différents de lui.”
Un shouk de toutes les couleurs 
Séfarade ou ashkénaze, sioniste religieux, haredi strict ou tendre, traditionnel ou séculaire, riche ou vivant sur un revenu modeste - ils se rencontrent tous au marché, à Mahané Yehouda.
“Ce marché est très spécial”, remarque Choshen. “Il n’y a aucun endroit auquel je puisse le comparer. C’est un surprenant phénomène social.”
“Cette définition du Hiérosolymitain, qui aime être entouré de gens variés, s’illustre parfaitement au marché. Là, devant un étalage de fruits se tiennent côte à côte un universitaire de renom, une femme haredi de Gueoula et une jeune étudiante de Nahlaot.”
“Ils se rencontrent naturellement. Si on me demandait de décrire le Hiérosolymitain typique, je dirais : ‘il n’y a rien de mieux que Mahané Yehouda pour le découvrir. Allez-y et vous le rencontrerez !” Ainsi, le Hiérosolymitain typique aime la compagnie de personnes différentes de lui, mais préfère vivre dans un quartier où les gens ont un style de vie identique au sien. Il peut envoyer ses enfants dans une école haredi ou sioniste religieuse, sans se décrire lui-même comme haredi ou même sioniste. Et quelle que soit sa situation économique, il ne renoncera pas à faire son marché à Mahané Yehouda.
Quels autres paramètres complètent le portrait de ces 804 000 Hiérosolymitains ? 
La majorité du quasi demi-million de Juifs de la ville accorde une grande importance à l’éducation, dont les études universitaires : 26 % des plus de 18 ans ont un diplôme (comparé à 14 % de la population arabe). Chez les plus de 25 ans, le taux s’élève à 29 %.
Si on fait une analyse par quartiers, Rasco, Guivat Mordehaï et Rehavia, on trouve 64,4 % de diplômés, le grand record du pays revient à Modiin avec 67 % de diplômés et à Maccabim-Reout avec 69 %.
“Mais rappelons que ce sont des localités très hétérogènes”, s’empresse de corriger Choshen. “Si on les compare à d’autres agglomérations situées autour de Jérusalem, d’un niveau socio-économique presque semblable, vous noterez une grande différence.”
Les Hiérosolymitains ne comptent évidemment pas parmi les plus riches du pays. Une donnée clairement mise en évidence dans d’autres résultats du Bureau des statistiques : une famille moyenne dépense mensuellement 12 397 shekels, soit moins que n’importe quelle autre famille des six autres grandes villes du pays.
Finalement après toutes ces observations, l’élément le plus intéressant trouvé par le Bureau des statistiques, et auquel Choshen et l’Institut de Jérusalem pour les Etudes sur Israël adhèrent sans réserves, est que les Hiérosolymitains sont les plus heureux habitants du pays ! Malgré tous les problèmes, réels ou imaginaires, auxquels ils doivent faire face, ils sont beaucoup plus optimistes que les habitants de n’importe quelle autre partie du pays, et pensent même que dans le futur proche, les choses iront de mieux en mieux : 56 % des Hiérosolymitains sont optimistes contre 52 % des habitants du reste du pays.
Alors si les Hiérosolymitains ne sont pas si riches, ils se débrouillent assez bien et se plaignent certainement moins que leurs compatriotes israéliens partout ailleurs : 63 % d’entre eux s’estiment heureux, ou très heureux, par rapport à leur situation économique, contre 59 % dans le reste du pays.