Un couteau dans la nuit

Face à la montée des violences en Israël et à leur retentissement dans les médias, le sentiment d’insécurité se répand au sein de la population. Citoyens indignés et police impuissante : état des lieux

Couteau dans la nuit (photo credit: © Reuters)
Couteau dans la nuit
(photo credit: © Reuters)

C’était une matinée morose, il y a quelques mois. Un tempspluvieux et froid. Assis avec quelques officiers de police de Tel-Aviv, je leurdemande leur appréciation générale de la situation sécuritaire dans la régionmétropolitaine Goush Dan. “Pour le moment, c’est tranquille, car on est enhiver”, m’avait alors répondu l’un d’entre eux. “Mais attendez donc un peu cetété”. Depuis des années en effet, la police est habituée aux pics estivaux decriminalité”.

Si aucune étude scientifique n’a été vraiment menée à ce sujet, les explicationsempiriques semblent couler de source.
La raison : les chaudes soirées d’été poussent les jeunes israéliens à sortirdans les rues. Et le fait est de moins en moins rare : nombre d’entre eux sontdans un état d’ébriété avancé... Les mesures pourtant annoncées à grand renfortde publicité pour enrayer l’alcoolisme juvénile n’ont pas, pour l’heure, faitleurs preuves.
D’après une enquête menée par l’Autorité israélienne Anti-drogue en 2009,quelque 19 % des garçons de 11 ans et 8 % des filles du même âge avouentconsommer de l’alcool au moins une fois par semaine. Seule l’Ukraine enregistredes scores plus élevés...
Et le lien entre ivresse et flambée de violence est vite fait. À cela s’ajoutela possession de plus en plus courante de couteaux : au sein du district deTel-Aviv par exemple, la police a observé une hausse de 50 % des incidents dusà la possession d’une arme blanche. Tous ces facteurs mis ensemble aboutissentà une explosion de la violence urbaine, avec de plus en plus d’accidents mortels.
D’après le Pr Richard Isralowitz, chef du département régional de recherche surl’abus d’alcool et de drogue à l’université Ben Gourion, “les jeunes consommentrelativement moins de tabac et autres drogues, mais ils boivent plus d’alcool ;cette consommation chez les mineurs coûte des millions de shekels à l’État dufait de la violence qu’elle génère, de l’activité criminelle et des trafics quimenacent le bien-être des citoyens en Israël”.

Qui a raison ?

D’après les rapports de police, le dernier mois a de loin été leplus violent depuis des années. Avec, entre autres, le meurtre brutal de GadiVichman, poignardé à Beersheva par un jeune alors qu’il réclamait du calme pourson enfant qui n’arrivait pas à dormir. Ou l’assassinat prémédité d’Orgil Mauti,17 ans, attaqué de toutes parts par trois jeunes de Rehovot. Deux exemples quireflètent les trop nombreux cas de meurtres ou de viols dont la police estinondée chaque semaine. Alors même que cette vague de violences urbaines secouele pays, beaucoup estiment que la police réagit trop mollement et paraîtdépassée par les événements. La réalité n’est pas si simple. Avec un budgetannuel inférieur à 8 milliards de shekels, et le même ratio de policiers parhabitant depuis des années (alors même que la population est en pleinecroissance), la police israélienne a dû choisir une priorité : celle d’attraperles meurtriers et les violeurs considérés suspects plutôt que de prévenir lescrimes en amont.

Conscientes de ne pas pouvoir, au vu des moyens matériels actuels, assurer uneprésence accrue dans toutes les rues, les forces policières misent sur unerépression sévère des criminels avérés, en guise de dissuasion. En celad’ailleurs, il est impossible de nier l’efficacité de la police, qui metsouvent la main sur les coupables dans les deux semaines qui suivent lesdrames.
Mais les bavures existent. Comme dans le cas Vichman.
Une policière et un inspecteur municipal avaient déclaré s’être rendus sur leslieux du crime, intrigués par les bruits juste avant le meurtre de Vichman,mais sans avoir “remarqué quelque chose d’anormal”. De fausses déclarations.
Personne ne s’étant rendu sur les lieux en dépit des appels de la femme deVichman.
Paradoxalement, il suffit de jeter un coup d’oeil sur les statistiques de lapolice : 50 homicides entre janvier et mai 2011 contre seulement 37 pour lamême période en 2012... Qui a raison au final ? Les statistiques de la policeou la population qui constate une hausse des crimes ? La réponse unanime desresponsables de sécurité, notamment l’inspecteur général Yochanan Danino et leministre de la Sécurité publique Itzhak Aharonovitch : les citoyens ont raison.Car pour eux, le sentiment de sécurité de chaque individu est le premier desindicateurs, et si ce sentiment de sécurité s’effrite, c’est que cesstatistiques sont erronées.
Aharonovitch l’a bien dit : “Je me moque des statistiques optimistes, lorsquele sentiment d’insécurité croît de façon impressionnante”.
Médias, légendes urbaines et réalité

Les responsables sécuritaires sont bienconscients de cette réalité, même s’ils soulignent le rôle crucial des médiasdans la propagation d’un sentiment de panique surdimensionné.

Chaque homicide est rapporté comme s’il s’agissait de mettre en place l’étatd’urgence nationale. Ce sont donc les gens ordinaires, ceux qui vivent dans leszones à risque au quotidien, qui sont les meilleurs indicateurs. Comme leconfirment les autorités en charge de la sécurité intérieure, cette atmosphèreest due à l’émergence d’une culture de l’alcool, des couteaux et d’uncomportement violent qui peut déboucher sur une bagarre pour des broutilles.
Un constat similaire pourrait être dressé à l’encontre des immigrantsafricains, souvent perçus auprès de l’opinion publique comme responsables denombreux crimes, notamment le récent viol d’une jeune femme.
L’inquiétude des citoyens ordinaires à l’égard du nombre croissant de cesclandestins dans les quartiers du sud de Tel-Aviv n’est pas tant liée à la peurd’une violence accrue qu’à la transformation rapide des quartiers ouvriersisraéliens en zones majoritairement africaines.
Mais d’un autre côté, les chiffres contredisent les propos du ministre del’Intérieur Eli Yishai, lequel avait accusé les immigrants de cette montée deviolence urbaine. Une étude commandée par la Knesset l’année dernière avaitrévélé que le taux de criminalité parmi les travailleurs immigrés d’Afriqueétait en réalité inférieur à la moyenne nationale.
Une fois de plus, les chiffres n’ont pas pour objectif de contredire l’inquiétudedes citoyens. Lorsque des quartiers entiers sont transformés en l’espace d’unenuit en “zones” à risques, sans que le gouvernement n’agisse de manière fermecontre des actes de violence tels que meurtres ou viols, l’inquiétude etl’indignation des citoyens est plus que justifiée.
Mais cela fait déjà des années que les officiers de police réclament augouvernement d’envisager des moyens d’action pour endiguer la criminalitébanalisée. Ce qui impliquerait une hausse du budget de la police, accompagnéed’actions de prévention rendues possibles par des investissements dansl’éducation, l’encadrement social et le développement des aires urbainessouvent en situation de précarité. Sans quoi les policiers ne devront secontenter que de ce qu’ils font jusque-là, à savoir attraper les coupablesavérés, sans être en mesure d’empêcher d’autres crimes à venir.