Une communauté en péril ?

Les Juifs de Grèce ne sont pas épargnés par la crise. Les premiers touchés, les jeunes, n’ont qu’une idée en tête : l’exil

grecs (photo credit: © Gavin Rabinowitz)
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(photo credit: © Gavin Rabinowitz)

Patricia Alcalay, 24 ans, est au chômage depuis la fin deses études d’infirmière, en décembre 2010.

Son père a perdu son emploi il y a quatre mois, un an à peine avant de prendresa retraite. Sa sœur aînée, partie faire ses études à l’étranger, a trouvé unemploi aux Pays-Bas. Pour l’heure, elle ne prévoit pas de revenir en Grèce. Detelles histoires sont devenues monnaie courante au sein de la communauté juivehellénique, laquelle doit se battre, comme le reste de la population, poursurvivre dans un pays enlisé depuis cinq années dans une crise économique quine montre aucun signe d’amélioration.
Environ 5 000 Juifs vivent en Grèce. Quelque 3 500 sont installés à Athènes, 1000 à Thessalonique et le reste sont dispersés ailleurs dans le pays. Lesdirigeants de la communauté affirment tout faire pour œuvrer au maintien desinstitutions juives et tenter de répondre à la forte hausse des demandes pourles programmes d’aides sociales.
Mais certains craignent une menace plus grande encore, qui plane sur le futurde la communauté : l’exode de jeunes Juifs au chômage qui n’entrevoient que peud’espoir dans ce pays.
“La situation est très difficile pour nous, suite à la crise financière enGrèce. Cela touche la communauté juive très lourdement”, indique BenjaminAlbalas, président de la communauté juive d’Athènes, qui fait son possible poursoulager les institutions de la ville. “Nous aidons deux synagogues, l’école,le cimetière, un centre communautaire et des personnes en difficulté dont lenombre augmente sans arrêt”.
Mais alors que le besoin d’aides pour la communauté a augmenté, les subventionsmunicipales ont considérablement diminué. La majeure partie des revenusproviennent de la communauté juive elle-même qui détient des biens commerciauxet immobiliers. Et cela depuis bien avant la Seconde Guerre mondiale, quandvivaient alors en Grèce quelque 78 000 Juifs, dont bon nombre à Thessalonique,ville portuaire au nord. Mais pendant la Shoah, la communauté a presquecomplètement été décimée.

Solidaires face à la crise

Durant ces dernières années, le gouvernement grec,qui a dû faire face à une série de fraudes fiscales chroniques, a imposé destaxes foncières exorbitantes, dans le but d’accroître les revenus de l’Etat.“En conséquence, les locataires de nos logements, soit nous ont demandé de baisserles loyers, soit sont partis”, indique Albalas.

Et par ailleurs, continue-t-il, les dons provenant des membres les plus touchésde la communauté ont diminué de 50 %. Albalas a toutefois refusé de communiquerles chiffres, que ce soit pour les revenus ou pour les aides dispensées.
Parmi les sévères mesures d’austérité imposées sur Athènes, le gouvernementgrec a pratiqué des coupes budgétaires sur les retraites, revu à la baisse lessalaires de la fonction publique et du secteur privé, réduit de dizaines demilliers le nombre de ses fonctionnaires, ce qui, dans son ensemble, a affectéles secteurs les plus faibles de la communauté juive.
“Les deux problèmes principaux auxquels nous sommes confrontés depuis la crisesont celui des retraites qui ont diminué et le taux inquiétant du chômage enconstante augmentation”, déclare Isaak Mordechai, directeur adjoint du comitédes aides sociales d’Athènes. “Les retraites ont tellement baissé que les gensne peuvent même plus vivre”.
En contrepartie, la communauté juive d’Athènes se voit donc dans l’obligationde proposer des aides directes : subventions financières, distribution decoupons d’alimentation, soutien médical et psychologique.
Le tout, pour près de 60 personnes. “Mais il est évident que beaucoup plus vontdorénavant avoir besoin d’être aidés”, ajoute-t-il.
Un futur qui prend l’allure d’un terrain vague

En février, l’organisation juivedu Joint (American Jewish Joint Distribution Committee) a ainsi voté unesubvention financière d’environ 1 million de dollars sur deux ans, pourpermettre aux institutions juives en Grèce de continuer à fonctionner. D’autresgroupes juifs ont également offert leur aide. Néanmoins, les dirigeants de lacommunauté d’Athènes et de Thessalonique précisent ne pas avoir été officiellementinformés de la décision et n’avoir pas encore reçu de fonds.

L’argent du Joint va permettre de couvrir les frais d’éducation pour lesfamilles les plus nécessiteuses des communautés juives d’Athènes et deThessalonique, mais aussi certaines initiatives spécifiques. Comme par exemple,la rémunération de moniteurs pour les colonies de vacances juives et uneassistance financière aux écoles juives d’Athènes.
Si l’aide américaine est bienvenue, de tels fonds ne seront néanmoins passuffisants pour maintenir les institutions en vie et répondre aux besoins d’unecommunauté en détresse. En Grèce, le taux de chômage national s’élève à plus de21 %, et atteint les 50 % parmi les jeunes de moins de 25 ans. Des pourcentagesqui se retrouvent également au sein de la communauté juive, note Albalas. Pourles jeunes, le futur prend l’allure d’un terrain vague.
“J’ai parfois obtenu un emploi à mi-temps, mais rien de permanent. C’est trèsdécevant”, témoigne Alcalay qui cherche du travail comme infirmière depuis 16mois et envisage même d’abandonner sa profession.
“A présent, je cherche un emploi dans n’importe quel domaine parce que j’aibesoin d’argent. Je n’ai personne d’autre que mes parents, et eux aussi sont auchômage”, ajoute-t-elle.
Alcalay n’est pas seule dans ce cas. “Plusieurs de mes amis viennent juste definir leurs études à l’université cette année, ou l’année dernière, et eux nonplus ne parviennent pas à décrocher un travail”, indique Evie, 24 ans, anciennedirigeante de l’association des Jeunes Juifs d’Athènes.
Une communauté qui prend de l’âge

La communauté essaie d’aider comme elle lepeut. Un réseau d’hommes d’affaires juifs tente de trouver des emplois pour lesjeunes au chômage. Deux jeunes hommes ont reçu une bourse pour prendre part au minyan(quorum de 10 hommes nécessaires pour la prière collective) quotidien.

“Nous parlons là d’emplois non qualifiés, car nous ne sommes pas des chasseursde tête aptes à proposer des postes à haute responsabilité”, précise Mordechai.Et en fin de compte ce n’est quand même pas suffisant.
Pour les jeunes, les issues sont donc peu nombreuses.
“La situation est tellement mauvaise qu’ils cherchent à s’expatrier par tousles moyens, soit pour étudier à l’étranger, soit pour y trouver un emploi”,indique David Saltiel, président de la communauté juive de Thessalonique.
Léon, un jeune de la communauté, confirme. Selon lui, tous ses amis de son âgesont “stressés et déprimés”.
Les autres sont partis et “n’ont pas l’intention de revenir tant que lasituation ne se sera pas améliorée, considérablement améliorée”. S’il aactuellement un travail, il avoue lui aussi être en quête “d’opportunités quilui permettront de quitter le pays”.
La soeur d’Alcalay, qui a 25 ans, fait partie de ceux qui ont fait le choix dequitter leur famille pour aller étudier à l’étranger. Aujourd’hui, elle aintégré une entreprise de technologie de l’information aux Pays-Bas. “Elleaimerait revenir d’ici quelques années, mais je ne le lui conseille pas,déclare Alcalay. “Même si je l’aime, je lui dis de ne pas rentrer au pays,parce qu’elle risque fort de se retrouver au chômage elle aussi”.
Les dirigeants juifs sont conscients des risques que cela implique pour lacommunauté. “Si nos jeunes générations s’en vont et réussissent à s’établirfavorablement à l’étranger, ils n’auront plus envie de revenir”, conclutSaltiel. “Nous allons devenir une communauté de personnes âgées”.