Le califat : rêve ou cauchemar pour l’islam ?

Alors que l’Etat islamique continue son travail d’endoctrinement des masses arabes, des universitaires viennent désormais lui prêter main-forte

Le monarque saoudien Abdallah Ier (photo credit: REUTERS)
Le monarque saoudien Abdallah Ier
(photo credit: REUTERS)
A la fin du mois d’octobre, un véritable tremblement de terre a secoué le monde clos des sages et savants islamiques. Titulaire d’une chaire de jurisprudence islamique à l’université de Dammam en Arabie Saoudite, Mme Iman Mustafa al-Bugha donnait sa démission pour rejoindre les armées de l’Etat Islamique dans le Nord de la Syrie. Elle s’en expliquait sur ses réseaux sociaux : « La nation de l’islam a besoin de martyrs qui abandonnent leur existence confortable pour porter témoignage… J’ai renoncé à mon énorme salaire pour me mettre au service de la nation islamique et combattre l’injustice. »
Sur sa page Facebook – disparue depuis après avoir été largement citée par les médias arabes – elle déclarait : « A partir du moment où j’ai compris les tragédies des peuples musulmans, je suis devenue membre de l’Etat islamique avant même qu’il ne voie le jour… Le “djihad” est la voie, la véritable voie de l’islam et ses dirigeants n’ont pas le droit d’effectuer le moindre changement sur le chemin d’une victoire légitime ; si al-Baghdadi [L’actuel dirigeant] venait à se détourner de cette voie, nous le remplacerions ; la voie véritable – le djihad – éclaire le chemin des véritables croyants qui ont abandonné le monde et ses pratiques dissolues pour accomplir leur destinée jusque dans la mort. »
Al-Bugha s’élève contre ceux qui prétendent que l’Etat islamique ne représente pas l’islam, et notamment le président Obama qui le répète en toute occasion. D’après elle, cet Etat observe la charia à la lettre et condamne les musulmans qui se taisent devant les violations de la charia, alors que la nation islamique est humiliée et dominée par les juifs « qui massacrent nos peuples sous nos yeux ».
Ces prises de position – passées sous silence en Occident – interpellent violemment les sages islamiques qui cherchent en vain la faille dans ses arguments. Le mouvement salafiste, qui aspire lui aussi à un retour à l’islam pur et dur de l’époque du Prophète et à la restauration du califat, recule devant la cruauté et le caractère barbare de l’Etat islamique.
Enseignée dans toutes les écoles
Le problème, c’est qu’Iman Mustafa al-Bugha est une autorité respectée en droit islamique et qu’elle enseignait hier encore cette matière dans l’une des universités les plus prestigieuses de l’Arabie Saoudite et du monde arabe. Là des étudiants originaires de tous les pays arabes viennent apprendre les principes fondamentaux de leur religion et il est probable que plus d’un approuve ses positions. Après son départ, certains hauts responsables ont bien essayé de prétendre qu’elle était connue pour ses vues extrémistes ; mais personne ne s’en était jamais plaint, personne n’a jamais cherché à lui retirer son poste et c’est de son plein gré qu’elle est partie.
Il faut bien le dire : les lois de l’islam telles qu’elles se sont développées depuis le temps de Mahomet ne tendent pas à la quête de la paix et de la tolérance. Leur but est d’imposer l’islam – par la prédication ou par la force. Ainsi, Mahomet a imposé l’islam aux tribus arabes et ses successeurs ont lancé leurs armées à la conquête du monde, du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord, puis à la Chine en Orient, et en Occident jusqu’à ce qu’elles soient stoppées en France.
C’est exactement ce que cherche à faire aujourd’hui l’Etat islamique, un Etat qui se glorifie de suivre la charia à la lettre, comme l’atteste le professeur al-Bugha. Or, c’est la même charia qui est enseignée dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur dans tout le monde musulman.
Les châtiments sévères, pour ne pas dire barbares, infligés à ceux qui ont transgressé – lapidation de la femme adultère, crucifixion ou décapitation des infidèles et esclavage sexuel imposé à leurs compagnes – sont prescrits par l’islam et par la charia. Il en est de même du statut de dhimmi et des mesures discriminatoires infligées aux chrétiens dans tout l’Empire ottoman jusqu’en 1856, lorsque le sultan a été contraint de les supprimer sous la pression des grandes puissances.
Les plus hautes autorités d’al-Azhar, l’institut phare d’études islamiques du monde sunnite, ainsi que d’autres sages dans le monde arabe, ont beau prétendre que ce que fait l’Etat Islamique est contraire aux valeurs de l’islam, ils se sont montrés incapables de trouver un seul argument reposant sur la charia leur permettant de démontrer qu’il s’agit d’une organisation terroriste qui ne respecte pas ladite charia. Ils en sont réduits à polémiquer entre eux.
Une lutte des titans
Aujourd’hui encore les manuels en usage à l’université al-Azhar reposent sur la charia et glorifient les actions du Prophète, de ses compagnons d’armes, des quatre premiers califes et de leurs généraux. Ils évoquent ainsi les hauts faits de l’illustre général Khaled Ben Walid : il avait décapité le chef d’une tribu ayant abandonné l’islam, puis plongé sa tête dans une marmite en ébullition et l’avait ensuite dévoré.
Selon des sondages effectués dans des réseaux sociaux en Arabie Saoudite, plus de 92 % des Saoudiens approuveraient l’Etat islamique. Cela n’a rien d’étonnant : cet Etat applique ce qu’ils ont appris à l’école et ce qui est prêché le vendredi dans les mosquées. Il n’y a jamais eu de manifestation contre l’Etat islamique dans un pays arabe ; pire, c’est par centaines que de jeunes Arabes partent rejoindre ses rangs pour « exprimer leur véritable identité » ou à la recherche de sensations fortes. Ils n’en reviennent pas tous.
Pour changer cet état de choses, une seule solution : faire évoluer les lois de l’islam, figées depuis le XIe siècle. Mission impossible ? En Egypte, le président Sissi s’est exprimé à plusieurs reprises sur cette question ; il considère qu’il faut revoir les dispositions les plus extrémistes de la charia. Sur ses instructions, le ministère de l’Education a retiré en juin dernier les cours d’éducation islamique des programmes scolaires ; l’enseignement des valeurs morales a été introduit dans un nouveau manuel. Il s’agit d’une décision courageuse qui n’a pas été saluée par l’Occident et c’est dommage.
C’est une lutte de titans qui se déroule dans le petit monde clos des institutions islamiques. On y évoque à voix basse la nécessité de procéder à des réformes. Le débat n’est pas encore sur la place publique. Les forces conservatrices s’opposent vigoureusement à tout changement. Elles sont de loin les plus nombreuses. Réussiront-elles à l’emporter, à étouffer les réformateurs ? Pas sûr. Mais le combat sera long et difficile.
L’auteur est ancien ambassadeur d’Israël en Egypte.
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