Ben Brafman contre les medias

L’avocat de Dominique Strauss-Kahn était à l’université Bar-Ilan le 26 décembre, lors d’une conférence consacrée aux relations entre justice et médias. L’occasion de livrer quelques clés de son succès

Aussi chaleureux hors micro qu’agressif lors de ses plaidoiries, Benjamin Brafman, tribun hors pair, aurait pu être homme politique. Ou directeur de yeshiva comme son frère. La légende veut d’ailleurs que l’homme ait mis fin à ses études religieuses sur conseil de son directeur de yeshiva : “Tu ne peux pas te permettre de gâcher ce talent d’orateur.”

Si l’affaire DSK l’a brusquement projeté sur la scène juridique française, cela fait vingt ans que Brafman exerce comme avocat de droit pénal aux Etats-Unis, après un passage au bureau du procureur de . Spécialiste de la criminalité en col blanc, il a en outre défendu Mickael Jackson et J-Zay. A 63 ans, il n’en est plus à sa première affaire médiatique. Au point de préciser non sans ironie qu’“en soi, l’affaire Strauss-Kahn était relativement modeste.” Certes indiscutablement plus que les détournements de fonds de la mafia new-yorkaise.
D’où sa participation au colloque organisé par l’université Bar-Ilan fin décembre, sur le thème “justice et relations publiques”. Au programme, des questions clés : qui influence qui dans les affaires criminelles ? Et dans quelle mesure ce jeu d’influence est nuisible à l’exercice de la justice ?

 

La surenchère de l’information

 

En mai 2011, les images de DSK, menotté et mal rasé, avaient fait le tour du monde, accompagnées de descriptions explicites des faits présumés, “au mépris de tout respect de la présomption d’innocence”, note Brafman. “La presse, tabloïds et journaux prétendument de meilleure qualité confondus, ont joué à : c’était à qui écrirait le script le plus vendeur. Et il y avait matière : argent, pouvoir, sexe, juif, femme de chambre africaine-américaine...” énumère l’avocat, selon qui “jusqu’à 70 % du contenu des journaux, est consacré de près ou de loin à des affaires judiciaires.”

Pour lui, les principales raisons derrière le torrent d’informations de toutes qualités qui se déverse à l’occasion de chaque affaire médiatique (qu’on songe que Le Figaro consacrait en moyenne huit pages par jour à DSK la semaine suivant son arrestation) ne sont pas à chercher très loin. Les nouvelles technologies permettent un flux quasi-direct d’informations vers le public, engendrant le développement par les journalistes sur leurs blogs et comptes Tweeter d’un véritable système de minutes pour rendre compte d’un sujet. Finie ou presque la déjà sommaire limite de 18 heures.
Le phénomène, explique Brafman, est renforcé par une concurrence féroce entre des médias financièrement limités justement par l’émergence d’Internet : un journal ne peut plus se permettre de ne pas consacrer au moins une part de ses ressources à l’information quasi instantanée, sous peine de perdre son audience.
Résultat : une course contre la montre perpétuelle où “la recherche de la vérité est remplacée par une collection de phrases, témoignages et perceptions le plus souvent faussés.” Une rumeur devient une “source” d’autant plus facilement que les médias ne sont pas tenus de révéler l’origine de leurs informations, ce qui les dédouane de toute responsabilité quand, comme dans l’affaire DSK, le procès tourne court. “Un procès pour diffamation ?” rétorque Brafman à une question venue du parterre d’étudiants et professionnels du droit, “cela prend des années pour traîner un journal en justice, sans être sûrs de pouvoir prouver juridiquement une quelconque faute professionnelle.”
La stratégie du “motus et bouche cousue”

 

S’il s’attarde sur les vies ou parcours brisés de certains de ses clients (Strauss- Kahn n’était-il pas dans les starting-blocks pour être président en mai 2012 ?) du fait de la diffamation, les effets pervers du système peuvent aller encore plus loin, en touchant au fonctionnement du système judiciaire lui-même. Notamment aux Etats-Unis, où les jurys sont particulièrement omniprésents. “Théoriquement les jurés doivent baser leur décision uniquement sur les pièces du dossier présentées lors des audiences. Mais évidemment, malgré les interdictions, la plupart lisent la presse et font des recherches sur Internet. Comment prétendre que leur jugement n’est pas influencé par les ragots qu’on y trouve ? Et je dis cela, sans forcément souhaiter qu’on en revienne à enfermer les jurés dans un hôtel pendant tout le procès.”

Que faire donc quand on est l’avocat de la défense ? “Le titre de mon intervention [Gérer la presse dans les affaires médiatiques] est erroné : vous ne pouvez pas gérer les médias, vous pouvez juste essayer d’y survivre. Chaque mot que vous prononcerez pourra être réutilisé contre vous. C’était notre politique avec Dominique Strauss-Kahn : ‘mon client n’a pas forcé la plaignante. Le reste ne vous regarde pas.’ Point. C’est parfois difficile à tenir, surtout quand, comme dans ce cas-là, il y a non seulement l’affaire judiciaire per se, mais aussi l’image politique. C’était pourtant la méthode gagnante, surtout quand, en face, la plaignante s’est discréditée par ses interventions incohérentes.”
Une stratégie du “motus et bouche cousue” qui diffère de de son collègue Avigdor Feldman, également présent. Lui conseille au contraire de renverser les choses en construisant le récit émotionnel réutilisé par les médias. D’où sa participation au colloque organisé par l’université Bar-Ilan fin décembre, sur le thème “justice et relations publiques”.