La question palestinienne et la coalition

La composition de la 19e Knesset sera dévoilée sous peu. Et, avec elle, les enjeux de la nouvelle coalition. Décryptage.

2301JFR12 521 (photo credit: Boaz Ratner/Reuters)
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(photo credit: Boaz Ratner/Reuters)

La question palestinienne joue un rôle majeur danschaque élection israélienne, depuis 1967. Cette fois-ci, pourtant on al’impression que le Premier ministre Binyamin Netanyahou et la TravaillisteShelly Yachimovich ont tous deux choisi de la minimiser. Netanyahou, car s’il aendossé la solution à deux Etats, la plupart de ses collègues duLikoud-Beiteinou la rejettent ; Yachimovich, car elle a mené sa campagne presqueexclusivement sur les questions socio-économiques et fait de son mieux, avec unélectorat de plus en plus à droite, pour jeter par-dessus bord l’image « enragéde paix » de son parti.

Fin décembre, un mouvement extraparlementaire poussait néanmoins le Likoud etAvoda dans leurs retranchements. Blue White Future (en français : Avenir bleuet blanc), pour qui, sans solution à deux Etats, Israël devra sacrifier, auchoix, son caractère juif ou son caractère démocratique, a sommé les 6 grandspartis sionistes de clarifier leurs positions sur la façon de gérer ou derésoudre le conflit avec les Palestiniens. Récit.
Bennett : « annexer la zone C »
La rencontre a lieu à l’université de Tel-Aviv. Pour un sujet qui n’est pas supposé intéresser les électeurs, l’assistanceest fort nombreuse. La salle de conférence est trop petite pour ceux quicherchent une place assise. Une bonne partie du public demeure donc àl’extérieur et suit le débat sur des larges écrans télévisés, installés à lahâte.
Le timing est particulièrement adapté. Les Palestiniens viennent tout justed’obtenir la reconnaissance de l’Onu, en tant qu’Etat observateur non-membre,tandis que l’Europe et les Etats-Unis laissent échapper des signes d’impatienceface à la politique du gouvernement Netanyahou à l’égard de la solution à deuxEtats.
Le premier intervenant de la soirée est Naftali Bennett. A 40 ans, l’ancienentrepreneur a été la véritable surprise de cette campagne, fraîchement élu àla tête du parti de droite nationaliste et religieux Habayit Hayehoudi. Ancienprésident du Conseil des implantations de Judée et Samarie, Bennett représentela quintessence du « colon ». L’axe majeur de son programme : empêcher lasolution à deux Etats. Et d’arguer qu’un solide score électoral lui permettra d’empêcherNetanyahou, assumé gagnant par tous les sondages, de céder à un accord de paixqui impliquerait un retrait de la Judée-Samarie et le démantèlement desimplantations. « Si vous voulez un Netanyahou nationaliste, et non unNetanyahou de la solution à deux Etats, votez pour Habayit Hayehoudi », disaitson slogan ce soir-là.
Très en confiance, le leader détaille son plan : annexer la zone C, quicomprend toutes les implantations juives et se trouve sous contrôle israélien,et permettre un certain degré d’autonomie palestinienne dans les zones A et B,déjà sous contrôle palestinien (la sécurité de la zone A est assurée par lesPalestiniens, tandis qu’elle est gérée par Israël dans la zone B).
Selon Bennett, la zone C est peuplée d’environ 400 000 Juifs et seulement 48000 Palestiniens. Une fois rattachés à Israël, ces derniers pourront obtenir lapleine nationalité israélienne. Dans les zones A et B dans lesquelles, selonBennett, il y aurait 1,8 million Palestiniens et aucun Israélien, les Palestinienss’administreront eux-mêmes, mais sans pour autant être un Etat.
Ces statistiques ne sont pas partagées par tout le monde. Selon d’autresestimations, les habitants des implantations seraient environ 350 000 et lesPalestiniens entre 100 000 et 150 000 dans la zone C, et près de 2,6 millionsdans les zones A et B. Plus encore : le plan de Bennett annexerait 60 % de lazone C, et laisserait les Palestiniens, sans Etat, sur les 40 % restant.
Par comparaison, la solution à deux Etats confère entre 94 et 98 % de la terreaux Palestiniens, le reste étant négocié dans le cadre d’échange deterritoires. C’est pourquoi Bennett ne se fait pas d’illusion. « La communautéinternationale ne l’acceptera pas », dit-il laconiquement. « Mais nous feronsce qui est bien pour Israël ».
Le Likoud : un, deux ou trois Etats ?
Côté Likoud, c’est Tzipi Hotovely qui estvenue défendre le parti. La députée est connue pour sa position dure. Ellesourit beaucoup, mais elle déroule sa thèse sans humour. Et explique avecfermeté que le plan du Likoud prévoit de conserver toute la Judée-Samarie. « Laterre d’Israël est le pays du peuple juif et nous avons l’intention d’y rester», lance-t-elle. Plus encore, ajoutet- elle, un compromis sur la terre seraitcontraire aux intérêts israéliens puisque la paix avec les Palestiniens n’estpas possible.
« Le centre-gauche ne fait que colporter des illusions », insiste-t-elle. « LesPalestiniens n’abandonneront jamais le droit du retour et le Hamas nereconnaîtra jamais Israël ».
Cependant la députée ne détaille pas pour autant le sort réservé auxPalestiniens dans les conditions d’un Etat binational, ou ce qui adviendralorsque ces derniers deviendront démographiquement majoritaires.
D’autres Likoudniks radicaux ont émis des idées à ce sujet. Moshé Feiglin a,par exemple, suggéré d’offrir un demi-million de dollars à chaque famillepalestinienne pour émigrer. Dani Danon, de son côté, évoque l’idée d’une «solution à trois Etats », dans laquelle Israël, la Jordanie et l’Egypte sedépartagent les terres palestiniennes entre elles : Jérusalem obtiendrait lamajorité de la Judée-Samarie et céderait le reste à Aman, tandis que Gaza iraitau Caire.
S’il prétend soutenir la solution à deux Etats, Netanyahou n’a jamais avancé deplan détaillé. Plus encore : il refuse de s’engager sur les frontières de 1967avec échange de territoires comme base des négociations, un minimum exigé parles Palestiniens, et accepté par la communauté internationale ainsi que lesprécédents gouvernements.
D’ailleurs, même si le Premier ministre voulait vraiment promouvoir la solutionà deux Etats, la liste Likoud-Beiteinou devrait l’en empêcher. Sur les 35premiers candidats, seuls Tzahi Hanegbi et Carmel-Hacohen se sont joints à luipour ouvertement la soutenir. De plus, les documents officiels du parti n’enfont nulle part mention. Enfin, tout au long de la campagne, le Likoud aaffiché des positions de plus en plus dures afin de tenter d’endiguer la fuitedes voix vers Habayit Hayehoudi. De quoi peser sur la politique du futurgouvernement.
Le bloc de centre-gauche y croit toujours 
Pour le parti de Tzipi Livni, toutest une question de leadership. « Si Yitzhak Rabin était en vie, nous aurionsdes implantations permanentes acceptées par la communauté internationale, etIsraël aurait été un pays très différent », croit savoir l’ancien ministre dela Défense Amir Peretz, qui a quitté Avoda pour rejoindre Livni, en partieparce que cette dernière place la question palestinienne en tête de sespriorités.
L’ancienne chef de la diplomatie a fait en effet campagne sur l’idée qu’ungouvernement Netanyahou-Liberman conduirait Israël au désastre, tandisqu’elle-même donnerait une vraie chance à la paix. En d’autres termes : la paixest à portée de main, la balle est dans le camp des politiciens israéliens.
« Mahmoud Abbas est un leader palestinien qui supplie quasiment le gouvernementNetanyahou de reprendre les négociations et ce dernier dit non. On l’a poussé àaller à l’Onu. Nous devrions immédiatement faire des gestes de bonne volonté,impliquer la Ligue arabe et remettre le processus de paix en marche », affirmePeretz.
Le rabbin Shaï Piron, numéro 2 de la liste Yesh Atid, voudrait gagner sur tousles tableaux. L’occupation est, selon lui, une question de morale juive, maisil n’est pas pressé de la régler. Il souhaite réactiver les négociations, maisn’est pas prêt à diviser Jérusalem, une condition sine qua non aux yeux desPalestiniens. « Les choix électoraux des Israéliens indiquent que la solution àdeux Etats n’est pas leur priorité absolue », conclut-il.
Les Travaillistes : profil bas
Représentant d’Avoda, son numéro 2 ItzhakHerzog, est plus circonspect qu’à son habitude.
Motif : la stratégie électorale du parti qui consiste à ne pas paraître tropconciliant. Il y a un an, il proposait que Jérusalem soutienne la requêtepalestinienne à l’Onu, à la condition d’une reprise des négociations entre lespartis. Désormais, il se contente de dire que la seule façon d’avancer est deprocéder par petites étapes intermédiaires, sans aborder le coeur du problème.
Cependant, même de façon détournée et très prudente, le député avance uneproposition radicale pour sortir de l’impasse : reconnaître l’Etat palestinien,céder une partie du territoire et commencer à négocier les frontières finalessur la base des paramètres Clinton de décembre 2000, qui tracent les contoursd’un accord sur toutes les questions clefs.
De fait, le programme électoral travailliste comprenait l’adoption de cesparamètres comme un moyen de ramener les Palestiniens à la table desnégociations. En refusant ce type d’initiative, avance Herzog, Netanyahou nedonne aucune raison aux Palestiniens de négocier. « Nous n’avons pas de temps àperdre. A trop procrastiner, nous pourrions finir par perdre les grands blocsd’implantation », met-il en garde.
Pour la présidente de Meretz, Zehava Gal- On, les choses sont au contraire trèsclaires et manichéennes. Il existe deux visions, l’une bonne, l’autre mauvaise,de l’Etat hébreu : dans la première, c’est un pays démocratique, en paix avecses voisins et bien accueilli par la communauté internationale ; dans laseconde, c’est une nation ethnocentriste, raciste et immorale, rejetée par lereste du monde.
« La droite nous propose de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de latête, de ne pas trouver de compromis et de permettre l’émergence d’un Etatbinational qui finira par devenir un Etat d’apartheid et aboutira à l’isolationinternationale complète. « Ce sera votre faute Tzipi Hotovely » a-t-elle lancé.
La coalition : une étape cruciale pour le processus de paix 
Quels que soientles résultats finals du scrutin, la coalition donnera certainement du fil àretordre à Bibi. Il devra peut-être faire entrer tout le centre-gauche, souscertaines conditions (processus de paix concret, enrôlement des étudiants deyeshiva, plus de dépenses sociales et plus d’impôts sur les riches).
L’alternative étant de se retrouver coincé avec une coalition d’extrême-droiteet d’ultraorthodoxes qui étouffera toute initiative en faveur de la paix ouréformes locales, compromettra les valeurs démocratiques et attirera l’opprobreinternational. Ce n’est pas ce que Netanyahou avait prévu.
Le Premier ministre aimera peut-être former une coalition avec HabayitHayehoudi et/ ou Shas, puis diviser le centre-gauche en débauchant un ou deuxpartis. L’idée sera alors de donner un semblant de respectabilité à songouvernement et de garder la communauté internationale à distance, sansvéritable intention de faire la paix.
Sous la 18e Knesset, c’est Ehoud Barak qui jouait ce rôle. Mais cette fois-ci,Bibi pourrait ne pas avoir ce privilège. Etant donné les circonstances, ildevrait avoir 4 possibilités majeures : 1. Faire une coalition avec le Likoud-Beiteinou, Habayit Hayehoudi et les partis ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsmeunifié de la Torah), pour un total d’entre 61 et 66 sièges parlementaires. Untel gouvernement ne ferait rien pour trouver un accord avec les Palestiniens,voterait un budget d’austérité et encouragerait des mesures antidémocratiquescomme, par exemple, minimiser le pouvoir de la Cour Suprême.
2. Likoud-Beiteinou, Habayit Hayehoudi, Shas, Yesh Atid et le Parti de TzipiLivni pour environ 80 mandats. Problème : Yesh Atid ne veut pas siéger avecShas et Tzipi Livni refuse de collaborer avec Habayit Hayehoudi.
3. Likoud-Beiteinou, Habayit Hayehoudi et Yesh Atid, pour environ 61 sièges, ensupposant que les trois partis s’en sortent bien dans les urnes. Le parti deYaïr Lapid, maillon faible du centre-gauche, pourrait accepter de rejoindre unecoalition sans Shas, à la condition d’enrôler les étudiants des Yeshivot, dechanger le système électoral et de voter une fiscalité moins écrasante pour laclasse moyenne. Là non plus, il n’y aurait pas d’avancée sur le dossierpalestinien.
4. Likoud-Beiteinou, Avoda, Tzipi Livni et Yesh Atid pour un total de 70sièges, et un programme prévoyant de vrais efforts en direction de la solutionà deux Etats. Le hic : Netanyahou aurait pu aller dans ce sens au mois de maidernier, lorsque Kadima est entré dans la coalition, mais a finalement choiside faire autrement. Pourquoi aurait-il alors envie de recommencer maintenant ?La dernière possibilité, la moins évoquée et sans doute la moins probable,serait la défaite de Netanyahou. Mais, sauf très grosse surprise, la questionrepose surtout sur la composition de la future coalition. L’impact de ce choixsur l’avenir de l’entreprise sioniste ne saurait être sous-estimé.