La réémergence de la laïcité ?

Zehava Gal-on revient sur sa victoire aux primaires de Meretz, ses projets pour revitaliser la gauche et sa vision des secteurs ultra-orthodoxe et arabe du pays

laicite (photo credit: reuters)
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Elle est la troisième femme à prendre la tête d’un parti qui siège actuellement à la Knesset. Elle a remporté la victoire haut la main face à ses deux adversaires, avec 61 % des voix en sa faveur, lors des primaires de Meretz. Ce qui a permis à Zehava Gal-On d’engranger des points : la promesse d’un retour aux racines du parti. A savoir, une forte opposition au rôle proéminent de la religion dans la politique et aux implantations. Misant sur l’antipathie du public de gauche à l’égard du secteur orthodoxe, notamment à la lumière des récents incidents de Beit Shemesh, Gal-On avait ainsi proposé une mesure, récemment, pour considérer les ex-haredim devenus laïcs comme de nouveaux immigrants, en matière de soutien éducatif et financier.
Elle a accepté de recevoir le Jerusalem Post dans son bureau de la Knesset pour revenir sur son programme.
■ Comment expliquez-vous votre récente victoire aux primaires de Meretz ? Je représentais aux yeux des électeurs du parti une vision du monde, un engagement pour la lutte des citoyens, pour le progrès social et gouvernemental. J’ai fait des propositions claires et j’ai expliqué que notre seule chance de redevenir un parti incontournable, c’était de se différencier des autres partis centristes. Car aujourd’hui, ils sont tous devenus centristes : Kadima, Haavoda et Yaïr Lapid. Si à la tête de Meretz se trouve une candidate similaire à Shelly Yacimovich, pourquoi les gens iraient voter Meretz ? J’ai aussi mis l’accent sur les liens entre la lutte pour la démocratie, la lutte contre l’occupation et la lutte pour la justice sociale. Il s’agit d’une seule et unique lutte. J’incarne le Meretz du bon vieux temps : authentique, insolent, rebelle, énergique, non conventionnel et fier de ses positions, même lorsqu’elles ne sont pas consensuelles ou populaires. Les membres de la formation étaient convaincus que la seule chance du parti, c’était moi.
■ A sa meilleure époque, votre parti détenait 12 sièges à la Knesset. Aujourd’hui, c’est la formation ultranationaliste Israël Beiteinou qui détient ce chiffre. Comment expliquez-vous ce basculement à droite ?Il y a une lutte pour le futur de la société israélienne : elle peut être démocratique, ouverte et plurielle, ou bien uniquement démocratique pour les Juifs. L’été dernier, on a assisté au mouvement de protestation. Il faut continuer ce travail à la Knesset. Mais tout ce que nous y voyons pour le moment, ce sont des mesures antidémocratiques causant du tort aux associations civiques israéliennes, à la Cour suprême et à la liberté de la presse, des mesures qui ne sont qu’en faveur des implantations.Je sais bien que de trois sièges, nous ne passerons sans doute pas à 15 comme le parti d’Avigdor Lieberman, mais Meretz peut incontestablement obtenir un meilleur résultat. Je pense qu’aujourd’hui le public est conscient que nous vivons dans un Etat de droit, non au paradis. Je ne pense pas seulement aux haredim, mais aussi aux habitants des implantations.Nous assistons à des discriminations et ségrégations envers les femmes, nous constatons que tout un secteur de la population n’accepte pas la politique du gouvernement. C’est l’occasion pour Meretz de dire que nous sommes à gauche et que nous n’irons pas au centre.Nos électeurs ont des convictions idéologiques : ils veulent mettre un terme à l’occupation et souhaitent un Etat-providence au sein de la Ligne verte et non au-delà.
■ Vous avez déclaré vouloirfaire entrer le mouvement social en politique. Qu’estce que cela signifie concrètement ? Au sein de Meretz, nous nous engageons pour l’égalité. Notre point de départ, c’est l’égalité sans aucune distinction de religion, race ou sexe... Nous sommes déterminés à rendre tous les citoyens du pays égaux, qu’il s’agisse aussi des résidents sans citoyenneté, des réfugiés ou des travailleurs étrangers. Nous voulons changer les priorités israéliennes. Notre priorité sera la société, au sein des frontières de l’Etat d’Israël. C’est notre combat.
Que pensez-vous de l’insertion des ultra-orthodoxes au sein de la société israélienne ? Je suis très favorable à l’insertion. La pauvreté du secteur haredi est indiscutablement liée à son absence d’insertion dans le monde du travail. Il faut absolument qu’il se mette aux études séculaires. Il est impossible que ses membres puissent intégrer le monde laïc et démocratique sans connaissances élémentaires en matière de civisme, géographie, mathématiques et ainsi de suite. Et n’est que par l’intégration dans le monde du travail qu’ils pourront sortir du cycle de la pauvreté. A mes yeux, les leaders haredi qui tentent de préserver leur secteur à l’abri des études séculaires se montrent injustes envers leur communauté.
Les leaders ne sont pas justes envers leur communauté ? Non. Le leadership religieux, les rabbins et autres, qui ne permettent pas à leurs membres de travailler sont à blâmer. Il est impossible désormais de vivre dans un monde séparé : les temps changent. On ne peut pas subvenir uniquement grâce à des allocations. Je suis aussi favorable au service civil national pour la communauté haredi. Cela ne me dérange pas qu’ils ne fassent pas l’armée, mais ils peuvent effectuer un service civil au sein de leur communauté, à Maguen David Adom ou Zaka (service d’urgence et de réanimation) par exemple.
Vos électeurs ne trouvent-ils pas injuste que les haredim ne participent pas à la défense du pays ? Mon fils effectue 65 jours de devoir réserviste par an. Ce n’est pas égalitaire, mais je pense qu’une société pluraliste peut se le permettre. Nous n’avons pas besoin de tout le monde dans l’armée, c’est justement ce qui la rend plus professionnelle. Ceux qui n’effectuent pas leur service militaire feront un service civil à la place. Je pense que le pays doit se partager les responsabilités, mais pas forcément dans le cadre militaire.
Les Arabes israéliens doivent-ils également effectuer leur service ? Ce qui est vrai pour la communauté haredi l’est également pour le secteur arabe. Mais c’est plus compliqué. Je pense que nous devons réfléchir à un modèle permettant aux Arabes de faire leur service civil au sein de leur communauté. Pas par obligation, mais par souci de dialogue entre nous.
Que pensez-vous d’une personnalité comme le parlementaire religieux Haïm Amsalem, qui s’est rebellé contre le Shas ? Pourriez-vous travailler avec lui ? C’est un homme très courageux. Il s’est révolté contre sa communauté, contre l’autorité du Rav Ovadia Yossef. Il crée un nouveau modèle, celui du haredi qui étudie la Torah mais fait également partie de la vie civile du pays et étudie les sujets non religieux. Je pense que c’est un modèle de leadership courageux.
Pensez-vous que vous pourrez convaincre les leaders orthodoxes de travailler avec vous alors que vous avez la réputation d’être contre la religion ? Je ne suis ni croyante ni religieuse, mais je ne suis pas contre la religion. Je suis contre ceux qui utilisent la religion comme fer de lance pour faire progresser des intérêts sectaires. Je pense qu’il faut séparer la religion de l’Etat et j’y travaille. Je suis opposée à ce que le rabbinat orthodoxe nous dicte nos existences, de notre naissance à notre mort et jusque la façon dont nous sommes enterrés. Je suis très favorable à l’union civile, mais je ne suis pas pour autant contre le mariage orthodoxe. Je ne suis pas contre la religion et les religieux, je suis contre ceux qui utilisent la religion pour contraindre les autres.
Vous avez récemment proposé une loi pour accorder des avantages aux haredim qui quitteraient l’orthodoxie. Qu’est-ce qui a motivé cette proposition ? J’ai rencontré des jeunes hommes haredi devenus laïcs qui avaient abandonné leur ancien mode de vie. Ils deviennent alors des immigrants dans leur propre pays. Ils ne savent pas comment fonctionne le monde laïc. Pour intégrer le marché de l’emploi, ils doivent obtenir leur baccalauréat. Ce sont des choses élémentaires. Il leur manque une éducation de base et l’Etat se doit de les aider. Ce qui peut équivaloir aux avantages accordés par le ministère d’Intégration aux nouveaux immigrants.
■ Que répondez-vous aux critiques qui vous accusent de vouloir éloigner les orthodoxes de la religion sous couvert de bénéfices pécuniaires ? Cette loi n’est pas faite en ce sens. L’Etat a déjà mis en place des lois pour assister les haredim, sous forme d’aides et d’allocations. C’est absurde qu’il existe des cadres de soutien pour les ultrareligieux et pour les laïcs, mais pas pour ceux qui font le choix de quitter leurs communautés orthodoxes.
■ Quelle est votre vision de l’Etat d’Israël ? Le judaïsme doit-il faire partie de l’Etat ? Pour moi, l’Etat d’Israël est l’Etat des Juifs, mais aussi de tous ses citoyens. Il n’y a pas que des Juifs ici, et pour que tous puissent vivre au sein de leur communauté et observer leurs traditions, nous devons opérer une séparation entre la religion et les affaires d’Etat. Nous avons besoin d’une totale liberté de culte, mais aussi d’être libérés de la religion.