L’anxiété, le fléau du siècle

Michael Portman, spécialiste juif américain de l’anxiété, se propose de développer la thérapie comportementale en Israël

TCC (photo credit: Judy Siegel Itzkovich)
TCC
(photo credit: Judy Siegel Itzkovich)

Si Freud était là pour observer la nouvelle tendance desthérapies comportementales, il bourrerait probablement sa pipe et s’allongeraitsur son canapé préféré pour méditer. Mais le père de la psychanalyse, Juifd’origine autrichienne, n’aurait pas trop à s’inquiéter.

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) peuvent être assimilées à descures par la parole, destinées à résoudre des problèmes de comportements,émotions ou pensées inadaptés. Elles ne visent cependant pas à remplacer lestechniques freudiennes, basées quant à elles sur l’analyse de l’inconscient,l’usage du transfert, la détection de désirs sexuels envahissants etl’interprétation des rêves.
Orientées vers des résultats concrets, les TCC promettent en revanche desrésultats plus rapides et, de fait, s’avèrent moins onéreuses. Développée parle Dr Aaron Beck, psychiatre juif américain, la thérapie comportementale est,en outre, parfois complétée par un processus analytique. “Désormais installé enIsraël, je peux venir en aide à mon peuple”, précise Beck. Le nonagénaire aformé nombre des spécialistes actuels du sujet. Il est notamment l’un desmentors du Dr Michael Portman.
Portman, l’un des leaders américains de la TCC, est spécialisé dans letraitement des phobies, des obsessions et de l’anxiété généralisée. Il a faitson aliya en mai dernier et s’est installé à Jérusalem avec sa femme Riva etleurs enfants. Diplômé de psychologie et de sociologie, ses articles sontlargement plébiscités par les professionnels de la santé mentale.
Avant de s’installer en Israël, Portman travaillait comme clinicien à tempsplein au Centre pour vétérans de Cleveland, soignant, individuellement ou engroupe, des vétérans de Corée, du Vietnam, du Golfe persique, d’Irak etd’autres pays, ainsi que des rescapés de la Shoah qui souffraient de troublesmentaux graves. Il avait également une chaire à l’Université Case de WesternReserve, et une pratique privée, spécialisée dans les troubles de l’humeur etl’anxiété.
Redéfinir son estime de soi

Beck, qui avait sérieusement envisagé son aliya à l’âge de20 ans, a encouragé Portman à s’installer en Israël. Les deux thérapeutescontinuent encore d’échanger des emails.

Pour Portman, il existe, entre les deux écoles de pensée, “une admirationmutuelle croissante”, même si les approches et les théories sont trèsdifférentes. “Il y a aussi un certain nombre d’approches hybrides. Nous necherchons pas à creuser dans le passé de quelqu’un. L’idée principale des TCCconsiste à comprendre que ce ne sont pas des personnes ou des événements quisont à l’origine des symptômes, et user à la place de raisonnements rationnels,remplacer les pensées inadaptées par des pensées plus saines”.
Beck a formé des dizaines de milliers de professionnels. “Son travail a amené àun changement de paradigme. Jusqu’alors, la psychiatrie était dominée par lapsychothérapie. Cela a été révolutionnaire, mais le Dr Beck n’a pas été rejetépour autant. Il a d’abord utilisé son traitement pour la dépression, avant des’intéresser aux troubles de l’anxiété. Il a même utilisé la technique pour lesenfants. La TCC s’est avérée capable d’alléger les symptômes de laschizophrénie, bien qu’on l’ait d’abord proscrite pour la psychose. Cespatients-là restent néanmoins sous traitement médical.”
La cure permet néanmoins aux malades de développer de meilleures interactionssociales et d’accepter le caractère chronique de leur condition. Elle est ausside plus en plus utilisée pour traiter les troubles bipolaires, qui alternentdépressions et épisodes euphoriques.
Pour montrer comment fonctionne la TCC, Portman propose de penser à un individuqui a commis une erreur sur son lieu de travail, et qui, honteux d’avoir bâclésa tâche, se considère un raté et un incapable. S’il s’en convainc, il peuttomber en dépression et se mettre à éviter de faire des choses pour lesquellesil est doué. Ce qui confirme son impression de nullité, créant une prophétieauto-réalisatrice. Un thérapeute en TCC peut, en un nombre limité de séances,aider le patient à briser ce cercle vicieux et lui enseigner à penser et agirdifféremment, plus librement, dans ce type de situations. La personne peutalors oublier sa mauvaise image d’elle-même et ses pensées négatives.
Un thérapeute chez les haredim

Portman porte une kippa noire, et se définit comme haredi,quoique plutôt “haredi light” ou “haredi américain”. Une caractéristique qui lerend particulièrement apte à traiter les ultra-orthodoxes, connus pour êtreplus souvent sujets que les laïcs aux troubles obsessionnels compulsifs (TOC).“Aujourd’hui, une personne religieuse ne sollicitera pas l’aide d’unpsychologue laïc, qui ne comprendrait sûrement pas son système de valeurs etpourrait considérer que son comportement religieux n’est pas ce qu’on appellela norme”, dit-il. “Mais les rabbins, en Israël comme à l’étranger, ont prisconscience des TOC, et envoient les fidèles chez les thérapeutes religieux.” Pourtant,peu d’ultra-orthodoxes israéliens exercent ce métier, la majorité n’effectuantpas d’études universitaires laïques.

L’orthodoxie implique un grand nombre de rituels, qui peuvent aisément tournerà l’obsession, comme par exemple les multiples lavages de mains, avant lesrepas et en sortant des toilettes, ou le nettoyage qui précède la fête dePessah. “Les célibataires qui veulent se marier ont peur que leur futur(e)conjoint(e) découvre leur trouble.C’est pourquoi avant un shidoukh religieux,les sujets seraient bien plus heureux s’ils étaient traités. De préférence enTCC”, remarque le psychologue.
“Je ne dis pas qu’il faut éviter de se marier avec une personne atteinte detrouble obsessionnel compulsif, si cette personne est suivie et que le syndromeest sous contrôle. Mais je déconseille d’épouser quelqu’un de non traité, carce trouble peut semer le chaos dans une famille.”
En termes psychologiques, Portman a “tout vu” dans le monde religieux :violence domestique, conflit conjugal, infidélités, abus. “Le monde moderne apénétré le monde religieux, c’est ainsi. Les haredim se cachent, de peur et dehonte. Mais ils doivent être courageux et refuser les stigmates.”
“L’anxiété généralisée est la plus difficile à traiter”

“Freud occupe encore une place très importante en Israël, etles TTC sont moins utilisées. Les Juifs semblent naturellement attirés par lapsychothérapie, en tant qu’intellectuels. Cependant, suranalyser le passé etles relations familiales peuvent empêcher le patient d’aller mieux. Lesthéories freudiennes étaient entièrement basées sur la compréhensionintérieure, mais en TCC nous croyons au changement de comportements. Lathérapie est structurée, limitée dans le temps et axée sur la maîtrise de soi.Contrairement à la psychanalyse, elle est solidement étayée, les guérisons etles progrès sont tangibles”.

Bien que la TTC ne soit pas une cure universelle, Portman estime qu’elle peutrésoudre bon nombre de problèmes psychologiques. Elle est particulièrementadaptée pour les troubles d’anxiété généralisée, un syndrome chronique, avecdes hauts et des bas, que le stress aggrave. “L’anxiété généralisée est l’undes troubles d’anxiété les plus difficiles à traiter. Donc, nous, thérapeutes,devons nous montrer créatifs. La TCC peut aider. Près de 80 % des patientstraités font des progrès, mais le reste non, quoique l’on fasse.” Lesmédicaments peuvent être couplés avec la TTC et/ou la psychothérapie. EtPortman de souligner que la TCC obtient des résultats bien plus élevés pour lestroubles obsessionnels que les troubles anxieux.
Le psychologue s’est intéressé à la TCC, non seulement parce qu’elle est étayéescientifiquement, mais parce qu’il ne croit pas à un “traitement interminable”.“C’est plus effectif et collaboratif lorsque le patient participe. Je ne luidirais jamais que je possède un savoir mystérieux, que lui ne maîtrise pas.Idéalement, le patient fait ses devoirs, pour améliorer les effets, plutôt quede seulement se voir une ou deux fois par semaine.”
La plus grande passion de Portman est d’appliquer la TCC au trouble d’anxiétégénéralisée. “Mes recherches se sont focalisées là-dessus. Tout le mondes’inquiète pour ses enfants ou pour des problèmes financiers, mais l’anxiétégénéralisée est marquée par une anxiété persistante, chronique et excessivealors qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter.”
3 à 5 % de la population, en particulier des femmes

Ce syndrome, poursuit le thérapeute, est le plus répandu destroubles anxieux. Mais il est souvent mal diagnostiqué. Il affecte 3 à 5 % dela population, et les femmes sont de deux à trois plus susceptibles de ledévelopper. Le facteur génétique jouerait un rôle dans environ un tiers descas.

“Je conseille à ces personnes de s’inquiéter 20 minutes par jour et puisd’arrêter, ou de repousser l’inquiétude. Des techniques de relaxation, tellesque la respiration lente, peuvent être d’un grand secours. Je leur dis de seconcentrer sur le moment présent, pour ne pas s’inquiéter du futur. Tout cecipeut s’insérer dans la TCC.” Ces patients, selon Portman, ne savent pas gérerl’incertitude. “Ils n’aiment pas l’ambiguïté. La vie est incertaine paressence, mais certaines inquiétudes peuvent devenir excessives.”
L’anxiété générale concerne tous les secteurs de la population, et tous lesâges. Elle commence en général à l’adolescence ou vers la vingtaine, maiscertains enfants sont également touchés. Parmi eux, beaucoup ont souffertd’abus sexuels. Des problèmes d’attachement, tels que des parents tropprotecteurs, peuvent également être en cause.
“Il y a probablement un sous-groupe de survivants de la Shoah, atteintsd’anxiété généralisée. Freud appelait cela une névrose d’angoisse, mais celaregroupait également d’autres symptômes. Il n’y a que le manuel de psychiatrie(le DSM 4) qui sépare ce trouble des attaques de panique, par exemple. Certainspatients sont diagnostiqués seulement à la fin de la trentaine, voire en milieude vie. Le trouble peut ne pas être traité sur plusieurs décennies, bien quecela nuise à un comportement normal”, déclare Portman.
“La souffrance se construit peu à peu ; cela ne provient pas de nulle part.Nous voyons beaucoup de femmes, mais il se peut que les hommes souffrent autantet évitent la thérapie, ou passent à l’acte en agressant ou en buvant.L’anxiété généralisée peut être très débilitante, et 90 % des personnesatteintes souffrent également d’autres syndromes comme la phobie sociale ou ladépression.”
Pour conclure, Portman réitère sa foi en l’efficacité de la TCC mais ne dénigrepas les psychanalystes pour autant. “J’ai un très grand respect pour eux, maisnous devons nous partager le terrain pour aider le maximum de patients.”