Le Sud de Tel-Aviv s’embrase

Les tensions étaient toujours palpables autour de la gare centrale ce week-end

violences tel aviv (photo credit: © Reuters)
violences tel aviv
(photo credit: © Reuters)

‘Pour l’instant, c’est calme, mais dès que quelque chose seproduira, cela explosera de nouveau”, affirme Moshe Tzioni, 79 ans, habitant duquartier d’Hatikva depuis toujours. Trois nuits plus tôt, certains de sesvoisins s’étaient déchaînés durant la manifestation anti-immigrés, pillant etvandalisant des magasins tenus par des Africains, en attaquant quelques-unsdans la rue. Tout comme le quartier voisin de Shapira où des cocktails Molotovavaient été lancés sur des maisons d’immigrés en avril dernier, Hatikva estdevenu le théâtre des violences contre les infiltrés africains.

Entamée en 2006, l’immigration africaine compte aujourd’hui près de 60 000ressortissants et augmente chaque mois d’entre 2 000 et 3 000 personnes, selonle ministère de l’Intérieur. La majorité est en provenance d’Erythrée, et lereste principalement du Soudan. La plupart vivent à Tel-Aviv, dans les quartierspauvres du sud de la ville, tels que Hatikva.
Tzioni est installé dans un petit centre communautaire sur la rue Haetzel - laprincipale artère du quartier, du nom de l’Irgoun, l’organisation paramilitairesioniste d’avant la création de l’Etat. Sous les photos défraichies de l’ancienpremier ministre Menahem Begin, six hommes d’âge moyen jouent aux cartes.Tzioni pointe du doigt le trottoir et compte les passants : la plupart sontafricains, des familles avec poussettes. Le soir, “vous ne verrez plus aucunIsraélien”, soupire-t-il. La faute au gouvernement ou aux réfugiés ?, luidemande-t-on.
“Les responsables, ce sont les Israéliens qui leur louent des maisons pourgagner facilement de l’argent en divisant les appartements et en les bourrantd’Africains”.
Allumant une cigarette Kent,Rahamim Cohen, 64 ans, sourire édenté, hoche la tête en signe approbation.
Les violences pourraient déloger les Africains, tout comme la seconde Intifadaa vidé Tel-Aviv de ses travailleurs palestiniens, pointe-t-il.
Un Harlem à vitesse grand V

Le centre se situe à une dizaine de mètres d’unpetit bar tenu par un Érythréen, Amin, mis à sac durant les émeutes de mercredi23 mai. Vendredi matin, les vitres étaient déjà remplacées, mais Amin expliquen’avoir aucune intention de rester à Hatikva. Il pense fermer, même s’il yperdrait l’argent investi, car il a peur aujourd’hui pour sa vie.

Le quartier est depuis quelques années déjà le théâtre de peurs et desuspicions réciproques, mêlées à une colère qui déteint parfois sur la réalité.Les anciens habitants tout comme les nouveaux venus affirment craindre pourleur sécurité et ne bénéficier d’aucune protection policière ou municipale. LesIsraéliens autochtones déclarent qu’en cas de conflit avec un Africain, ilsrisquent la prison tandis que les réfugiés, sans papiers, ne sont pasinquiétés. Ils affirment également que de nombreux crimes ne sont jamaisreportés à la police et n’arrivent pas jusqu’aux médias.
Quant aux Africains, ils expliquent qu’en tant que demandeurs d’asile illégaux,ils rasent les murs et ne peuvent toucher à un Israélien, sous peine des’attirer les foudres des forces de l’ordre. Les vétérans israéliens affirment,tous en chœur, qu’à la nuit tombée, les rues ne sont pas sûres pour les Juifs.Et, bien que les quartiers du Sud sont depuis longtemps familiers avec le crimeet l’usage drogues dures, les habitants insistent pour dire que les Africainsont fait monter le taux de criminalité à un taux inédit, principalement despetits larcins, mais également des viols et des vols plus importants.
Certains ont même le cliché raciste facile, et sont persuadés, par exemple,qu’un tiers des immigrés est porteur du sida, ou que le quartier est train dedevenir un Harlem à vitesse grand V. Si beaucoup admettent que la violencen’est pas la réponse adaptée, ils estiment que quelque chose doit être fait parle gouvernement pour vider le quartier de ses habitants africains, car sinonles attaques continueront, de plus en plus violentes.
A deux pas du centre également, un petit kiosque tenu par un Érythréen de 29ans, Effi. Tous les soirs, il demande à son frère de venir au magasin quelquesminutes avant 23 heures pour ne pas fermer et rentrer seul chez lui. Le soir dela manifestation, il a écouté les conseils de ses amis et fermé plus tôt qued’habitude, parvenant à éviter les émeutes. Son frère a eu moins de chance :lorsque la foule a envahi la rue Haetzel, il n’a pu éviter quelques pierres avant de rentrerchez lui.
Effi raconte avoir été attaqué à plusieurs reprises par des Russes israéliensivres, ainsi que par des jeunes en scooters, jetant des pierres, des bouteilles et des grenades avantde disparaître dans la nuit. “Je ne saispas pourquoi ils font cela. Ils disent que nous violons leurs femmes, que nousvolons. Peut-être qu’ils ne comprennent tout simplement pas notre situation deréfugiés”, dit-il alors que deux Soudanais viennent acheter un paquet defarine, marchandant le prix en arabe.
La famille d’Effi en Érythrée a entendu parler des émeutes via Internet. “Ilssont inquiets mais ils savent que je ne peux retourner chez moi sous peined’être tué”, ajoute-il.
Vendredi 25 mai, la police a arrêté un homme de 18 ans, suspecté d’appartenir àun gang attaquant les Africains. La semaine dernière, 7 mineurs et 2 adultesont également été arrêtés pour agression contre les immigrés.
Racisme russe ?

Contrairement à Hatikva, le quartier de Nevé Shaanan s’estentièrement vidé de ses habitants israéliens pour devenir le centre local del’immigration africaine, ainsi que des travailleurs en provenance d’Asie etd’Amérique du Sud. C’est dans le parc Levinsky, jouxtant le quartier, qu’ontcommencé les émeutes de mercredi soir, alors que des centaines de manifestantshurlaient : “Les Soudanais au Soudan !” avant d’être dispersés par la police.

Dans la rue Salomon, des prostituées hagardes, des junkies et des dealersarabes israéliens lambinent au soleil.
Deux travailleurs chinois commencent à se bagarrer, se jetant des bouteilles àla figure, avant d’être séparés par leurs amis et de se perdre dans la foule.
Au numéro 22, un autre bar d’Erythréens. C’est ici qu’une jeune fille de 19 anss’est disputée avec un groupe d’Africains qui l’ont ensuite suivie et violéedans un parking à proximité le 14 mai dernier, selon la police.
Au centre de la rue, on trouve un refuge dirigé par l’association Bnei Darfourabritant quelque 150 émigrés d’Erythrée et du Soudan. Ahmed, 21 ans, originairedu Darfour, explique que les émeutes ne sont pas parvenues jusqu’à eux, lecentre étant en sous-sol. Ils ont surtout peur, confesse-t-il, des jeunesRusses ivres qui envahissent le quartier après 23 heures et frappent lesAfricains. Sans qu’on le lui demande, il explique avec insistance que ses amiset lui rêvent de retourner en Afrique et qu’ils ne demandent rien augouvernement israélien.
Même son de cloche chez David Abraham, Érythréen de 23 ans : “J’ai vu beaucoupde mes amis attaqués au poing, avec des bouteilles, des chaînes. Je m’enfuis àchaque fois que je vois de bandes ivres. C’est la seule chose à faire parce quesi on se tourne vers la police, on s’entend répondre : ‘Il n’y a rien que nouspuissions faire, rentrez chez vous’”.
Vendredi après-midi, une manifestation se tenait devant l’ambassade d’Erythréeà Ramat-Gan. Environ 2 000 Érythréens, bien mieux organisés que l’annéedernière et cette fois-ci entourés de journalistes que les récents évènementsont attirés, appellent à la fin de la dictature en Érythrée et protestentcontre la torture et les abus commis par les Bédouins de la péninsule du Sinaïenvers les immigrés africains.
Leurs demandes sont claires : mettre fin au régime ainsi qu’au soutien d’Israëlà la dictature. De nombreux protestataires expriment le sentiment que la viedans l’Etat hébreu est devenue plus périlleuse depuis un an, mais qu’il n’y apas de meilleure solution pour le moment. “Je veux rentrer chez moi, aucun Érythréen ne souhaite rester en Israël, mais nous ne pourrons rentrer quelorsque le régime sera tombé”, explique Abraham, moins de 48 heures après lespremières émeutes violentes contre la communauté africaine d’Israël.