Pèlerinage agricole

Le renforcement de la coopération franco-israélienne sur le front agricole était au coeur des discussions, lors de la récente visite d’une délégation de professionnels français

agr (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
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(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
"J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers”, écrivait Montesquieu. Si les clichés sur le “bon sens paysan” ont pris une énorme ride depuis le 18e siècle, les préoccupations du monde agricole restent centrées sur le très concret problème de la résistance aux éléments. Tant et si bien qu’il constitue une source centrale d’applications pratiques des progrès de la recherche en sciences et techniques.
La France est notamment réputée pour avoir suffisamment modernisé son secteur primaire afin de fournir des rendements croissants, capables de faire face à l’augmentation de la population à l’époque moderne. Aujourd’hui encore, l’Hexagone maintient un tissu agricole plus conséquent qu’en Allemagne ou au Royaume- Uni, puisqu’il pèse pour 4,1 % des emplois et 2,2 % du PIB.
La semaine dernière une délégation d’une vingtaine de professionnels français de l’agrobusiness s’est rendue en Israël pour chercher des réponses aux nouveaux défis auxquels ils doivent faire face.
Des défis, les agriculteurs israéliens en ont rencontrés depuis plus d’un siècle. Le secteur primaire local demeure en effet sous la contrainte de trois facteurs structurels, selon Yossi Ishaï, directeur général du ministère de l’Agriculture : le manque d’eau, le manque de terres arables et le manque de main-d’oeuvre. Et la problématique de la gestion de l’or bleu résonne particulièrement bien chez les Français où le scénario de récoltes menacées par la canicule n’est plus rare.
Quatre jours sur le terrain israélien
C’est donc un parcours de quatre jours qu’ont effectué des professionnels des différentes branches du secteur. Tant représentants de société d’investissement que céréaliers, producteurs de légumes ou de lait, horticulteurs... qui sont aussi pour la plupart des représentants syndicaux, essentiellement membres de la puissante FNSEA ou de ses filiales régionales.
Enfin, plusieurs journalistes de la presse agricole et nationale ont également accompagné le groupe, encadré par la fondation France-Israël. Au programme : réunions avec des hauts-responsables israéliens et rencontres sur le terrain, dans quelques-uns des 900 kibboutzim et moshavim que compte le pays.
C’est au centre Volcani, un immense complexe à proximité du Beit Dagan qui abrite notamment les locaux du ministère de l’Agriculture, que les principaux experts en agriculture se sont rencontrés pour faire le point sur la position et les avancées israéliennes en la matière. “L’agriculture israélienne a connu une évolution parallèle même si un peu différée à celles des principaux pays développés, avec notamment le gros de la vague de concentration des propriétés agricoles à partir des années 1980”, explique Itzik Ben David, l’adjoint d’Ishaï, dans un français presque parfait.
“De même, avec notre récente entrée dans l’OCDE, nous allons devoir remettre progressivement en question les protections que nous offrons traditionnellement aux agriculteurs, à travers notamment des systèmes de prix garantis et de quotas.”
Si le marché israélien ne subventionne déjà plus directement les professionnels, les surcoûts de production rendent ces derniers particulièrement sensibles à la concurrence extérieure. Solution proposée : un programme d’aide à l’investissement pour les projets innovants, qui couvre jusqu’à 40 % de son coût. Un moyen, peut-être, de sortir par le haut de la difficile alternative entre libre-échange et protectionnisme, qui oppose depuis longtemps Etats-Unis et Union européenne.
L’eau : un enjeu sans frontière
Mais ce qui fait évidemment la spécificité du secteur primaire israélien, c’est son habileté à surmonter certains obstacles.
L’exemple de l’eau est le plus frappant : une utilisation annuelle supérieure à 1 milliard de mètres cubes en 1989, et autant en 2008 malgré l’augmentation concomitante de la production. Mieux, la part de l’eau fraîche dans le volume utilisé est passée en 20 ans de près de 100 % à 48 %, remplacée par une utilisation plus optimale des eaux marginales, c’est-à-dire de qualité moyenne : saumâtre, salée, semisalée...
notamment extraites de nappes phréatiques non potables du Néguev.
Parmi les plus récents usages, l’adaptation à ces changements par le développement de la pisciculture, qui répond désormais à 40 % des besoins nationaux. Cela sans parler de la désormais classique irrigation goutte-àgoutte, découverte israélienne révolutionnaire. Des techniques qui intéressent donc au plus au point les représentants français, qui subissent de plus en plus régulièrement des phases de stress hydrique.
Des partenariats franco-israéliens existent déjà en matière d’agrobusiness. C’est le cas, notamment, de l’élevage et de l’agriculture de précision. Dans le cas de l’élevage laitier, le suivi peut désormais s’effectuer de façon totalement informatisée tandis que l’agriculture de précision utilise le satellite, qui permet d’identifier les besoins exacts d’une parcelle de terre donnée. Dernier projet en date : le lancement, en 2013, du satellite Vénus chargé du suivi de la végétation, une réalisation conjointe du Centre national d’études spatiales (CNES) et de l’Agence spatiale israélienne.
Le projet est loin d’être une exception.L’agriculture est en effet un des piliers de la coopération avec l’Union européenne en général et avec la France en particulier.C’est d’ailleurs à Paris que se trouve l’Institut national de recherche agronomique (INRA), deuxième centre en importance au monde dans ce domaine. “La coopération permet d’optimiser les résultats notamment côté israélien, où le budget total ne dépasse pas les 150 millions de shekels [30 millions d’euros], répartis à travers les trois centres de recherche nationaux, les antennes régionales et les facultés”, selon Youval Ashdate, chef scientifique au ministère de l’Agriculture.
Un secteur aux revenus importants Pour cela, et malgré sa part relativement faible dans une économie moderne, le poids de l’agriculture ne doit pas être sousestimé, explique Dan Catarivas, directeur des relations internationales au centre pour le commerce mondial.
Grâce à un fort lien avec la recherche fondamentale, l’agriculture israélienne permet des revenus importants issus de la vente de nouvelles technologies et de brevets. Que l’on parle de sélections de semences - notamment depuis l’ouverture d’une banque de gènes chargées de collecter ces semences dans la plus grande diversité en 2006 - ou d’agriculture biologique - fertilisation par des abeilles, nouvelles méthodes de stérilisation sans bromure.
La délégation française, en la personne de Jean-Claude Sabin, fondateur de Sofiprotéol, leader dans le secteur des huiles et protéines végétales, est enthousiaste : “Nous considérons ces rencontres comme une importante prise de contact. Les thèmes abordés correspondent à nos préoccupations, que ce soit le développement durable ou la génétique.” Une satisfaction, donc, pour Nicole Guedj, présidente de la fondation France-Israël, et dont le but est de développer les relations bilatérales au travers d’actions concrètes. “Il est intéressant de constater que malgré la réputation d’excellence de l’agriculture française elle doive et puisse venir chercher de nouvelles réponses ici”, commente-t-elle.
Côté israélien, également, on attend beaucoup du futur dans le domaine : hormis le fait que l’Union européenne soit son principal débouché avec 66 % des exportations primaires, “l’attentisme est grand chez les producteurs au regard de la question des OGM”, selon Catarivas.
Théoriquement développées par des centres de recherches comme Volcani, les semences ne sont pas encore commercialisées puisque le risque de leur interdiction plane toujours sur le marché européen.